« C'est un moment émouvant pour nous », a déclaré le député Claude Birraux (UMP), président de l'OPECST, lors de la présentation à la presse du dernier rapport de l'Office adopté la veille à l'unanimité, dont lui et le député Christian Bataille (PS) sont rapporteurs et qui porte sur une évaluation du Plan national de gestion des matières et des déchets nucléaires (PNGMDR) 2010-2012. « C'est le 25 ème rapport que l'OPECST consacre à la sécurité nucléaire et autres questions connexes depuis 1990 – 23 dont nous avons été rapporteurs, et le 20ème anniversaire du rapport qui a donné lieu à la première loi sur la gestion des déchets nucléaires - dite loi « Bataille » ; nous avons une certaine durée de vie, certes moins longue que celle des déchets nucléaires ! ».
L'essentiel étant pour eux qu'au-delà de leurs mandatures, l'OPECST continue d'exister et de contribuer à l'appropriation parlementaire des questions scientifiques.
Acquis à la complexité du sujet, ayant en 2007 évalué la précédente version du PNGMDR, les rapporteurs de cette nouvelle évaluation encouragent l'évolution de ce plan vers un véritable « document de référence » sur le fonctionnement des filières de gestion des déchets et des matières radioactives, facilement lisible non seulement par les professionnels mais aussi par le grand public. Ils encouragent la poursuite de l'amélioration de ce plan, en intégrant les résultats du Groupe d'Expertise Pluraliste sur les mines d'uranium, les solutions de gestion existantes ou pas (entreposage, stockage), des données historiques, voire un bilan des flux et des stocks de déchets nucléaires comme le recommande le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTSIN) (1) . Ils recommandent également à l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et à la Direction Générale de l'Energie et du Climat (DGEC), de veiller à plus d'équité dans la participation à la réflexion entre les associatifs, et les représentations de l'Agence de la gestion des déchets nucléaires (Andra) et des exploitants (EDF, Areva, CEA). « Lorsqu'après une recherche approfondie du consensus, des désaccords subsistent sur un point, ceux-ci doivent être mentionnés dans le PNGMDR », recommandent-ils.
Avec regret, ils constatent que cette version actualisée du PNGMDR ne contient pas encore d'indication sur les coûts et les mécanismes de financement, faute du retard pris par le Gouvernement à mettre en place la Commission Nationale d'Evaluation du Financement (CNEF) des charges de démantèlement des Installations Nucléaires de Base (INB) et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs. En annonçant en septembre dernier une estimation du concept de stockage souterrain des déchets de Haute et de Moyenne Activité à Vie Longue (HA-MA VL) à 35 milliards d'euros, et non plus à 15 (dernière estimation validée par le ministre en charge de l'énergie datant de 2005), l'Andra a certes provoqué la colère d'EDF, concernée par plus de la moitié des coûts de cette future infrastructure en application du principe « pollueur-payeur ». Mais elle a aussi souligné ce manque crucial de « transparence » alors que la CNEF est prévue par la seconde loi sur la gestion des matières et des déchets radioactifs du 28 juin 2006 - dite « loi Birraux ».
Des objectifs de rentabilité incompatibles
Les rapporteurs ont aussi exprimé leur opposition commune à la loi sur la Nouvelle Organisation des Marchés de l'Electricité (NOMÉ) adoptée en novembre dernier, dont le schéma autorise des « passagers clandestins de l'offre électronucléaire » selon leur expression. Ils estiment qu'elle risque d'une part d'« entamer le pacte national implicite que la France a passé avec son industrie nucléaire depuis le premier choc pétrolier » (redistribution de la rente nucléaire aux consommateurs d'électricité) et d'autre part d'entraîner un désinvestissement dans la gestion des risques d'exploitation inhérente à la production électronucléaire. Bien que n'ayant pas eu accès à la globalité du rapport Roussely sur l'avenir de la filière française du nucléaire civil, de même que l'ASN, les deux rapporteurs expriment d'une manière générale leur crainte de voir les industriels se focaliser sur « la rentabilité à court terme », et de l'ouverture au privé d'un secteur au comment d'intérêt général avec le risque de « remettre en cause toute la crédibilité du dispositif ».
Tandis que se discute lors des auditions des rapporteurs l'opportunité d'intégrer au PNGMDR un « seuil de libération » - ce à quoi s'oppose fermement l'ASN – afin de sortir de la filière nucléaire des déchets radioactifs de très faible activité (les déchets métalliques notamment) et de ralentir la saturation déjà perceptible des sites de stockage gérés par l'Andra dans l'Aube. Les rapporteurs constatent avec regret la perte d'intérêt pour la recherche sur le développement industriel de la séparation/transmutation – faisable en laboratoire – pour diminuer la chaleur et la durée de vie des déchets HAVL. Cet axe figure dans les deux lois qui portent leur nom. L'idée étant qu'après le retraitement du combustible usé des centrales sur le site de La Hague, les actinides mineurs contenus dans les produits de fission soient séparés, pour « être brûlés » dans des réacteurs à neutrons rapides (surgénérateur). Or actuellement, les produits de fission sont vitrifiés (confinés dans du verre), et laissés à refroidir au moins 50 ans dans des piscines ; avec comme finalité le stockage souterrain dans une couche d'argile à 500 mètres de profondeur à proximité de Bure (Meuse). « La transmutation doit rester au coeur des réflexions de conception sur les réacteurs de quatrième génération », recommandent les rapporteurs, sachant que la loi Birraux prévoit « une évaluation des perspectives industrielles » des nouvelles générations de réacteurs nucléaires en 2012.
Forts d'une analyse de l'échec du calendrier fixé par cette même loi concernant l'ouverture en 2013 d'un site de stockage souterrain à faible profondeur pour les déchets de Faible Activité à Vie Longue [FAVL, notamment ceux issus de la première génération de réacteurs au graphite-gaz] - un échec imputé non seulement à un problème d'acceptation sociale locale mais aussi à un manque de protection de l'Etat aux responsables des collectivités qui apportent leur soutien à la politique nationale de gestion des déchets - les deux rapporteurs semblent confiants dans le respect de ce même calendrier pour le stockage géologique profond. Ainsi, ils anticipent sur le débat public prévu en 2013 sur ce projet, en encourageant la possibilité de modifier la procédure (par la voie d'un amendement) en donnant la possibilité de restreindre le débat aux seules associations « parties prenantes ».
Débat public
Une préoccupation qui ne semble pas partagée par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) qui, tout en reconnaissant les perturbations subies lors du débat public sur les nanotechnologies, estime qu'il a permis d'informer la population sur un sujet pourtant déjà largement développé en France à l'échelle industrielle et dans des labos de recherches.
Pour l'instant, le périmètre du débat public sur le stockage géologique, régional ou national, n'est pas encore acté. Mais dans l'éventualité où la procédure de « consultation restreinte » était adoptée et mise en oeuvre, le Réseau Sortir du Nucléaire (RSN) serait-il convié en tant qu'association de défense de l'environnement ? « Nous avons proposé de les auditionner au cours de cette évaluation du PNGMDR, mais ils n'ont pas répondu », a précisé le député Birraux lors de la conférence de presse. Une lettre a été adressée à l'association, portant sur « l'afflux supplémentaire de déchets nucléaires dus au démantèlement » dans l'hypothèse d'un arrêt de la production électronucléaire. Une hypothèse qui, pour l'instant, n'est pas encore prise en compte dans l'élaboration du PNGMDR. Cette lettre est en effet restée sans suite, le RSN ne souhaitant pas s'y engager en tant que fédération nationale de plus de 600 associations. Elle n'a pas non plus été transmise à l'un de ses membres directement concerné par le sujet : l'association CEDRA (collectif Contre l'enfouissement des déchets radioactifs) née en Haute-Marne en opposition à l'implantation du laboratoire de recherche sur le stockage souterrain à Bure. Les rapporteurs ne l'ont pas non plus contactée, alors qu'elle aurait pu apporter à l'édifice son retour d'expérience de l'échec dans la recherche d'un centre de stockage de déchets TFA dans l'Aube ou du débat public sur les déchets nucléaires en 2005/06 que bon nombre de ses membres ont suivi. Mais pour les rapporteurs, le Cedra désigne ce site qu'ils ont eu l'occasion de visiter au court de leur évaluation, celui du nouveau site d'entreposage sécurisé de Conditionnement et d'entreposage de déchets radioactifs prévu pour durer 50 ans avec des déchets de Faible et Moyenne Activité à Vie Longue, et géré par le CEA, non par l'Andra. De quoi les laisser songeurs sur l'avenir d'un dispositif national qui inspire fort le projet de directive européenne sur la gestion des déchets nucléaires.