Par exemple, selon l'Institut de veille sanitaire (InVS), les chiffres sur la part des cancers dus à l'environnement vont de moins de 1 % à plus de 70 %, selon que l'on considère ce qui est connu de manière certaine ou que l'on attribue à l'environnement une partie de l'inconnu. Si la relation est bien connue entre radiations ionisantes et cancers de la thyroïde, rayonnement solaire et cancers de la peau, plomb et effets neurotoxiques, il est rare qu'un seul facteur environnemental soit à l'origine d'une maladie. De plus, les produits (substances chimiques…) ou pollutions peuvent interagir entre eux. L'association de deux substances peut alors être très nocive et démultiplier les effets négatifs sur la santé.
En l'absence de certitudes ou de connaissance des effets sanitaires de certains produits, il est très difficile de surveiller les expositions. C'est pourtant une priorité dans notre société actuelle. La santé environnementale vise à évaluer et gérer au mieux le risque. Le principe de précaution est une des armes de protection et de prévention.
Pourtant, entre difficultés méthodologiques, protection de la confidentialité des données et difficile coopération entre acteurs, la surveillance de la santé environnementale s'avère complexe. Elle est confrontée à une contradiction : les demandes pressantes des pouvoirs publics et des citoyens qui souhaitent que l'on surveille tout ce qui pourrait arriver et la difficulté d'obtenir des données sanitaires précises, souvent protégées par le secret professionnel ou la protection des données individuelles. Pour améliorer la surveillance, il faut donc informer public et professionnels de santé sur les enjeux de la santé environnementale.
Des données souvent insuffisantes
La surveillance de la santé environnementale se heurte à de nombreuses difficultés. Il y a une rareté des données d'expositions à des facteurs environnementaux, note Jérome Lozach, de l'agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET). Les données sont parcellaires dans le temps et dans l'espace. Certains thèmes émergents, comme les pesticides ou le bruit, ne sont pas suffisamment couverts aujourd'hui. Cela conduit les chercheurs à faire de la modélisation ou de l'extrapolation.
Pour Marielle Schmitt, de la cellule d'épidémiologie Rhône-Alpes de l'InVS, il est très difficile d'apporter une réponse en l'absence de données de surveillance sanitaire exhaustives et pérennes et en l'absence d'un registre de cancers sur le territoire.
Les chercheurs plébiscitent des bases de données plus riches et interconnectées, des informations statistiques plus facilement disponibles. Mais ils se heurtent au droit sur les données individuelles et à la confidentialité des données privées.
La contradiction entre exigence de surveillance et protection de la vie privée
Le secret médical, les lois sur la protection des données individuelles freinent la mise en place d'outils statistiques. Nous avons de grosses difficultés pour établir des registres du cancer. Il est très difficile d'obtenir des données nominatives car il faut respecter le secret médical, explique Juliette Bloch, de l'InVS.
Les chercheurs travaillent donc à partir de bases de données existantes, d'études ou d'enquêtes spécifiques. Mais ces systèmes ne sont pas forcément adaptés aux besoins de la recherche. Nous devons monter des dispositifs spécifiques mais cela est très long et souvent très coûteux, note Juliette Bloch.
Il est également difficile de connaître le parcours professionnel, environnemental, géographique d'un individu et donc d'identifier toutes les expositions auxquelles il a pu être soumis au cours de sa vie.
La biosurveillance, qui permet de surveiller la présence et les effets sur l'organisme des polluants environnementaux, est confrontée aux mêmes limites. Nous avons des difficultés à trouver des bases de données fiables pour identifier dans un premier temps la population, explique Nadine Frery, de l'InVS. Ensuite, il y a la question de l'acceptabilité de l'étude : comment inciter les gens à y participer en créant le moins de biais possibles ? Certaines études nécessitent en effet des prélèvements biologiques et sont difficilement acceptées par les citoyens. L'utilisation de biomarqueurs non invasifs (urine, cheveux…) améliorerait la participation. Nous devons informer la population sur les enjeux de la biosurveillance, analyse Nadine Frery.
Une nécessaire coopération des différents acteurs
Autre limite : les difficultés de recoupement des informations. La santé environnementale nécessite une interdisciplinarité et une coopération entre acteurs qui n'est pas toujours évidente à mettre en place.
Le cas de l'épidémie de dermatites liées à des produits contaminés au diméthylfumarate (produit anti-moisissure utilisé sous forme de sachets dans de nombreux produits fabriqués en Chine notamment), en 2008, souligne bien cette problématique. Un système de toxicovigilance a été mis en place à la suite d'un signalement donné par un journaliste, alerté par des particuliers. L'InVs a mobilisé un grand nombre d'acteurs afin de faire remonter des informations sur les cas signalés (centres antipoison, dermatologues, urgentistes, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes…). Ce cas révèle les difficultés d'organisation entre des acteurs qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble mais aussi les problèmes de signalement. Ici c'est un journaliste et non un médecin qui a donné l'alerte. Les professionnels de santé ont pourtant un rôle de signaleurs d'événements inhabituels. Il y a une nécessité d'informer et de former les professionnels, analyse Amandine Cochet.
Pour l'instant, hormis les pathologies infectieuses, seules deux affections d'origine environnementale font l'objet d'une déclaration obligatoire par les professionnels de santé : le saturnisme de l'enfant et la légionellose.