Sous l'égide du Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), des négociations internationales visant à élaborer un instrument juridiquement contraignant sur le mercure au niveau mondial devraient s'achever en janvier 2013 lors d'une conférence à Genève (Suisse).
Le texte qui a pour objectif de limiter l'emploi de ce métal lourd et ses impacts devrait être présenté pour signature courant 2013 au Japon. Mais à la veille de la clôture des négociations internationales, le président du Conseil National de l'Ordre des Dentistes (ONCD) et les secrétaires généraux de l'Association Dentaire Française (ADF) ont cosigné à l'attention de la ministre de la Santé Marisol Touraine, une lettre publiée dans le dernier bulletin de l'Ordre daté de septembre 2012, lui demandant de s'opposer "à toute mesure visant à interdire ou limiter l'utilisation de l'amalgame dentaire".
Selon eux,"en adoptant une approche réfléchie et pondérée, la France contribuera à assurer des soins dentaires de qualité accessibles à tous et s'inscrira dans une campagne mondiale de lutte contre la maladie carieuse au service des populations les plus fragiles et des nations les plus démunies". L'ONCD et l'ADF ont réitéré la nécessité de "ce matériau de restauration dentaire pour dispenser les soins les plus efficaces dans des situations cliniques spécifiques'' et estiment que "la dangerosité " de ces amalgames "n'a pas été prouvée" en s'appuyant notamment sur un rapport de mai 2005 de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, ex Afssaps). D'ailleurs, la question des alternatives à l'amalgame doit faire l'objet d'une étude de l'ANSM, initialement prévue pour début 2012, mais qui n'est toujours pas parue à ce jour.
Des points de vue divergents sur la "dangerosité" du produit
Avec 17 tonnes, la consommation annuelle de "plombages" au mercure en France représente aujourd'hui près du tiers de la demande européenne. Or, ce courrier n'a pas été "du goût des nombreux dentistes français qui ont cessé depuis longtemps de poser des amalgames pour se tourner vers des techniques modernes et biocompatibles, bien conscients des effets environnementaux et sanitaires des obturations au mercure", a indiqué l'ONG Non Au Mercure Dentaire qui, avec le Réseau Environnement Santé (RES), ne cessent de dénoncer la toxicité de ces "plombages" qui contiennent 50% de mercure, "un métal neurotoxique, génotoxique'' mais aussi "perturbateur endocrinien".
En effet, une centaine de chirurgiens-dentistes ne partagent pas la position du Conseil national de l'Ordre et regrettent qu'il ait envoyé ce courrier à Mme Touraine "au nom de toute la profession". En réponse, les dentistes signataires viennent de mettre en ligne une lettre-pétition adressée à la ministre de la Santé, et estiment "au contraire que la pollution au mercure dentaire est préjudiciable à la fois à l'environnement (et, par suite, à la santé de la population) et à la réputation de notre profession". Et de s'interroger : "Comment justifier qu'elle seule continue de dispenser du mercure quand tous les autres secteurs sont contraints d'en limiter drastiquement ou d'en cesser l'usage ?"
Dans cette lettre, "au nom du principe de précaution", les chirurgiens dentistes souhaitent "voir supprimer l'amalgame [au mercure] et valoriser les biomatériaux pour une dentisterie saine et moderne" et préviennent des risques professionnels "encourus pour les dentistes et leurs assistant(-es) suite à une exposition au mercure". Et d'ajouter : "Nous-même, chirurgiens dentistes, constatons fréquemment en clinique des pathologies liées aux amalgames ou aux courants galvaniques consécutifs à la présence de métaux en bouche, entraînant notamment des névralgies invalidantes, des inflammations muqueuses et musculo-tendineuses". Ces derniers affirment que "l'amalgame est parfaitement remplaçable comme notre propre pratique le démontre chaque jour (….). Il est donc inexplicable que la France continue d'encenser un matériau contestable et dépassé, dont une résolution du Conseil de l'Europe et un rapport commandité par la Commission européenne recommandent le retrait", soulignent-ils.
Position ambiguë de la France ?
Dans le cadre de la révision de la stratégie européenne de 2005 visant à réduire les concentrations de mercure, les autorités françaises déclaraient en juin dans une note "ne pas s'opposer à une suppression des amalgames au mercure dans le traitement de la maladie carieuse" compte tenu "des préoccupations environnementales et des questions émergentes relatives aux conséquences de la multi-exposition et aux effets des faibles doses". Mais elles n'avaient toutefois pas défini un calendrier de retrait. Les autorités françaises jugeaient également "plus judicieux" de mener des actions de sensibilisation sur les impacts environnementaux liés à l'usage des amalgames dentaires, de prendre des mesures au niveau national pour réduire leur utilisation, "tout en faisant la promotion des alternatives sans mercure".
Les dentistes signataires, en marquant "leur désaccord avec l'ONCD", ont "bravé une institution dont on sait l'emprise considérable sur ses membres, puisqu'elle est à la fois juge et partie de ses juridictions'', a déclaré le RES en qualifiant cette lettre-pétition de "fait extraordinaire". Reste à savoir si le ministère de la Santé "sera plus sensible à la voix de la probité, de l'évidence et du courage… ou à celle des lobbys", se questionne-t-il.