La fonte de la cryosphère et la hausse des températures augmentent le risque d'exposition à des pathogènes humains, laissant craindre que la pandémie de Covid-19 ne soit que la première des épidémies à venir si le dérèglement du climat n'est pas enrayé.
Ferons-nous face à plus d'épidémies dans un monde plus chaud ? Si l'érosion de la biodiversité et la déforestation font partie des principaux facteurs d'apparition et de diffusion de pathogènes humains, comme dans le cas de la pandémie de Covid-19, le dérèglement climatique pourrait aggraver la situation. Les épidémies font en effet partie des nombreux risques sanitaires associés à la hausse des températures globales, et vont vraisemblablement augmenter si les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître.
Le dégel du pergélisol pourrait réactiver certains virus disparus ou inconnus
Parmi les facteurs climatiques susceptibles d'accroître les risques épidémiques, on trouve en premier lieu le dégel du pergélisol, qui pourrait perdre jusqu'à 70 % de sa surface d'ici 2100, selon le Giec. Ce type de sol, composé de glace et de matières organiques, ne contient en effet pas seulement des quantités importantes de carbone, mais également des virions, des particules virales qui sont aux virus ce que les graines sont aux plantes. C'est ce qu'a montré une équipe de chercheurs menée par Chantal Abergel et Jean-Michel Claverie en 2014.
« Des travaux publiés par un laboratoire russe démontraient qu'on pouvait réactiver une plante à fleurs à partir d'un fragment de fruit congelé dans du pergélisol vieux de 30 000 ans », raconte Chantal Abergel, biologiste et directrice de recherche au CNRS. « Nous nous sommes dit que s'il y avait des virus dans l'échantillon, ils seraient probablement également réactivables, à condition qu'on les mette en contact avec l'hôte approprié. C'est comme ça que tout a commencé pour nous. »
L'équipe de chercheurs est ainsi parvenue à identifier et réactiver deux virus géants vieux de 30 000 ans, inoffensifs pour l'homme. Leur découverte montre que d'autres virus piégés dans le pergélisol, parfois oubliés voire inconnus de la médecine contemporaine, pourraient également être réactivés en cas de dégel important. « Le pergélisol est un très bon conservateur, » précisent les deux chercheurs. « Il n'y a pas plus, ou moins, de virus dans le pergélisol que dans d'autres endroits de la planète. Mais ce qui le rend spécial est qu'il est possible que des microbes ayant été éradiqués de la surface de la planète soient encore présents dans ses couches les plus profondes. »
Parmi les pathogènes pouvant être piégés dans le pergélisol, les deux chercheurs évoquent la variole, maladie présente en Sibérie au XIXe siècle, mais aussi des virus beaucoup plus anciens, qui pourraient dater de l'époque de l'Homme de Néandertal et contre lesquels nous ne serions pas immunisés. D'autres pathogènes plus récents, mais tout aussi dangereux, pourraient également être libérés, comme celui de l'anthrax : le dégel du cadavre d'un renne vieux de soixante-dix ans infecté par cette bactérie a déjà causé la mort d'un enfant dans la région de la Lamalie en août 2016.
La fonte de la banquise augmente indirectement le risque d'exposition à des virus
Le dégel du pergélisol n'est pourtant pas le danger le plus immédiat, selon les chercheurs. L'exploitation industrielle des ressources minières et gazières du nord de la Sibérie, facilitée par la fonte de la banquise, représente une menace toute aussi importante pour la santé humaine. « Les prospections n'ont pas encore commencé, explique Chantal Abergel, mais elles ne deviennent possibles parce qu'avec le réchauffement climatique, ces terres sont beaucoup plus accessibles qu'auparavant. Tant qu'il n'y a pas de passage humain dans ces zones-là, il n'y a pas tellement de risques que l'on réactive des pathogènes humains. Par contre, creuser dans le passé avec des pelleteuses et remuer des milliers de tonnes de pergélisol pour aller chercher ces richesses va ramener des choses beaucoup plus anciennes en surface », prévient-elle.
Existerait-il un risque que les virus ainsi libérés se propagent de la Sibérie au reste de la planète ? « Tout dépendra des précautions sanitaires qui seront prises dans ces endroits-là », estime Chantal Abergel. « Il peut ne rien se passer si l'on établit des campements où il y a tout sur place, afin d'éventuellement enrayer une infection bactérienne ou virale. Si les choses restent confinées, il y a moins de danger que cela s'éparpille partout, même si, à partir du moment où il y a des humains, il y a toujours un danger. »
Le réchauffement climatique bénéficie à certaines espèces porteuses de pathogènes humains
Autre risque lié au dérèglement du climat : la diffusion de virus dans de nouvelles zones géographiques en raison de la migration de certaines espèces potentiellement porteuses de pathogènes humains. Une étude, parue dans la revue scientifique PLOS One en 2019, montrait que la hausse des températures mondiales était susceptible de modifier le comportement de certains moustiques de la famille Aedes, dont Aedes aegypti et Aedes albopictus (également connu sous le nom de moustique tigre), qui sont les principaux vecteurs de la dengue, de la fièvre jaune, de l'infection au virus Zika et du chikungunya. La hausse des températures pourrait encourager ces insectes à se déplacer plus au nord, jusqu'en Alaska.
Creuser dans le passé avec des pelleteuses et remuer des milliers de tonnes de pergélisol pour aller chercher ces richesses va ramener des choses beaucoup plus anciennes en surface.
Chantal Abergel, biologiste et directrice de recherche au CNRS
Selon cette étude, le nombre d'Européens exposés aux virus transmis par les moustiques de la famille
Aedes pourrait doubler d'ici la fin du siècle. Une autre
étude sur le sujet, publiée en 2015, estimait, quant à elle, que 2,4 milliards d'individus seraient exposés au moustique tigre d'ici 2050, notamment en France, en Irlande, au sud de la Grande-Bretagne, au nord-ouest de la Péninsule Ibérique et à l'est des États-Unis et de la Chine. La zone de répartition de ce moustique pourrait cependant décroître en Afrique centrale, au sud de l'Europe, en Asie du Sud et au nord de l'Amérique du Sud, en raison du climat trop chaud et sec.
La hausse de la température globale pourrait également bénéficier aux tiques, vectrices de la maladie de Lyme : selon une étude publiée en 2014, leur taux de reproduction et leurs aires de répartition augmentent effectivement en raison du réchauffement climatique. En Amérique du Nord, l'élévation de la température a ainsi augmenté le taux de reproduction des tiques de 2 à 5 fois au Canada, et de 1,5 à 2 fois aux États-Unis. Des prévisions inquiétantes qui laissent à penser que les conséquences dramatiques de la pandémie de Covid-19 pourraient n'être que les prémices des épidémies à venir si des actions d'envergure ne sont pas menées rapidement pour enrayer le dérèglement du climat.
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Note Accéder au rapport du Giec sur la cryosphère et l'océan de 2019 Plus d'infos
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