Le principe de l'interdiction de destruction des espèces protégées est inscrit dans le code de l'environnement. Mais ce dernier prévoit, dans le même temps, la possibilité de déroger à cette interdiction dès lors que plusieurs conditions sont réunies. Dans le cadre de leurs projets, de nombreux aménageurs et exploitants font des demandes d'autorisations de destruction d'espèces protégée auprès du préfet.
La Dreal Occitanie a établi une synthèse de la jurisprudence nationale portant sur les dérogations bénéficiant aux projets d'aménagements et d'infrastructures. Les conclusions de cette analyse, effectuée par l'avocate stagiaire Morgane Massol et rendues publiques le 2 avril, sont très instructives. La majeure partie des autorisations préfectorales de dérogation ont été suspendues ou annulées par la justice. L'absence de « raisons impératives d'intérêt public majeur » en est très souvent la cause.
« Dérogation érigée en droit »
Cinquante-six pour cent des 125 décisions de justice analysées, rendues par les trois niveaux de juridictions administratives, ont suspendu ou annulé les arrêtés préfectoraux. « On voit très bien, par cette analyse jurisprudentielle, que la dérogation a été érigée en droit, en droit à détruire. Et cela, dès le départ. Car les autorisations sont quasi systématiquement accordées, même dans le cas d'avis défavorable du Conseil national de protection de la nature », analyse Gabriel Ullmann, docteur en droit.
Trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que puisse être accordée une dérogation. En premier lieu, qu'il n'existe pas de solution alternative satisfaisante. Ensuite, que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Enfin, que le projet réponde à une « raison impérative d'intérêt public majeur ».
L'absence de cette dernière condition motive la majorité des décisions d'annulation ou de suspension rendues. En effet, sur les 57 décisions annulées pour des raisons de fond, 79 % le sont pour cette cause, rapporte l'étude. « L'essentiel des décisions porte sur l'absence de caractère impératif et/ou majeur du projet, plus que sur l'intérêt public lui-même », explique la Dreal. En d'autres termes, il ne suffit pas de démontrer l'intérêt public d'un projet, son caractère impératif et majeur devant l'être également.
Carrières et zones d'activité particulièrement touchées
Autre enseignement de l'étude : aucun projet n'est systématiquement exclu du bénéfice de la dérogation, ni en fonction de son type, ni de la qualité de la personne qui le porte, publique ou privée. Mais certaines catégories de projets ressortent davantage visées par les annulations ou les suspensions. C'est le cas des carrières (83 % des décisions annulées ou suspendues), des constructions de logements (75 %) et des zones d'activité (72 %), tandis que les autres projets présentent des taux plus faibles : projets d'énergie (44 %), infrastructures (44 %).
Absence de ligne jurisprudentielle claire et précise
La Dreal souligne qu'il n'existe aucune définition des « raisons impératives d'intérêt public majeur », ni dans les textes français, ni dans les textes communautaires. L'analyse de la jurisprudence se révèle donc primordiale. Mais « aucune définition n'est donnée par le juge », pointe aussi la Dreal dans une note plus spécifiquement attachée à l'analyse jurisprudentielle de cette condition. Et ce, précise-t-elle, malgré les quelques décisions du Conseil d'État en la matière, en particulier celle du 24 juillet 2019 portant sur le centre commercial Val Tolosa.
« Certaines formules sont employées régulièrement par les juges", relève la Dreal, mais elles sont floues et les juges ne les appliquent pas toujours à bon escient, ajoute-t-elle. Conclusion de l'analyse ? Une absence de ligne jurisprudentielle claire et précise. « Les décisions se suivent et ne se ressemblent pas, notamment en raison du fait qu'il s'agit de décisions de première instance et d'appel, où chaque juge apprécie au cas par cas la notion », explique Morgane Massol. « Une définition claire et précise par la Cour suprême serait la bienvenue », estime l'avocate.
« Vu les annulations en cascades, qui s'accélèrent d'ailleurs, je parie qu'au nom de la sécurité juridique et de la liberté d'entreprendre, la loi sera changée afin d'alléger les exigences et ne plus conduire à des annulations, quelles que soient les conséquences en termes de destruction de la biodiversité », parie de son côté Gabriel Ullmann.