La valorisation des digestats de méthanisation à la ferme "ouvre une nouvelle filière de fertilisants organiques avec des perspectives de développement importantes compte tenu de la nécessité de déplacer les excédents produits dans certaines régions". En effet, l'homologation de digestats, passage obligé pour les valoriser comme engrais, est maintenant à porté de main. Mais attention cependant, l'harmonisation européenne pourrait disqualifier certains digestats issus du modèle français de la méthanisation agricole promu par le gouvernement.
Telles sont les principales conclusions auxquelles aboutit la mission de suivi des demandes d'homologation des digestats issus de méthanisation agricole, notamment en Bretagne. Le ministère de l'Agriculture vient de publier les conclusions de cette mission dont l'objectif est d'identifier les éventuels obstacles techniques ou réglementaires liés à la valorisation et à la commercialisation de digestats homologués.
Exporter l'azote excédentaire
En février 2010, le gouvernement Fillon proposait un plan d'action de lutte contre les algues vertes basé sur la méthanisation des effluents agricoles pour réduire les "fuites de nitrates". Le gouvernement Ayrault propose lui aussi un plan "Energie Méthanisation Autonomie Azote" (EMAA) dont l'un des objectifs est de valoriser l'azote pour résoudre le problème des nitrates agricoles. Globalement, ces deux plans visent à méthaniser les effluents d'élevage afin de produire du méthane et d'obtenir des digestats contenant l'azote valorisables sous forme de substitut aux apports d'azote minéral.
Las, cette stratégie ne fonctionne pas, relève le document. "La méthanisation conserve les fertilisants que sont l'azote et le phosphore", rappelle la mission qui juge que la méthanisation "n'apporte donc pas en elle-même de solutions aux excédents de fertilisants organiques dans les zones structurellement excédentaires, en particulier la Bretagne, où les plans d'épandage sont saturés". En effet, les digestats sont aujourd'hui considérés comme un déchet, car issus d'installations classées. Ils ne peuvent donc pas être valorisés en dehors des plans d'épandage des exploitations agricoles. Dans ce contexte, "[la méthanisation] aggrave même la situation si des co-produits extérieurs sont importés dans le méthaniseur afin d'améliorer le rendement énergétique", pointe le rapport.
Pour être efficace, la méthanisation des effluents d'élevage doit s'accompagner de "l'exportation" des digestats qui concentrent l'azote. Il est indispensable de les faire sortir du statut de déchet pour qu'ils soient considérés comme des produits fertilisants. D'où l'importance d'une procédure d'homologation des digestats.
Quels intrants complémentaires ?
Bonne nouvelle, "l'homologation de digestats apparaît maintenant possible à horizon de 8 à 12 mois, compte tenu des démarches engagées par les porteurs de projet", indique le rapport, précisant que "l'homologation peut-être demandée, individuellement, selon la procédure habituelle d'homologation des produits fertilisants et supports de cultures, mais également sous forme collective, dans le cadre d'une procédure qualifiée « d'individuelle sous forme collective »".
Reste que "la valorisation [des digestats] sera sans doute marginale, dans un premier temps", craint le rapport qui estime que la recherche de co-produits reste un problème aussi bien pour améliorer le rendement énergétique du méthaniseur que pour obtenir des digestats susceptibles d'être homologués. Les co-produits les plus évidents sont les sous-produits agricoles et les déchets fermentescibles. Las, "des débouchés plus rémunérateurs existent, notamment pour la fabrication d'aliments pour animaux de compagnie et dans l'industrie pharmaceutique". Une autre source possible provient des déchets ménagers et des boues d'épuration. Cependant, les porteurs de projets se sont engagés à ne pas les utiliser, notamment parce que l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'environnement et du travail (Anses), en charge de l'homologation, juge qu'ils présentent des risques sanitaires éventuels.
Finalement, "les produits végétaux et les effluents d'élevage apparaissent a priori les moins préoccupants". Mais le recours aux produits végétaux soulève la question des cultures énergétiques. Sur ce point le rapport ne tranche pas, tout juste signale-t-il qu'il reste "à reconsidérer l'utilisation des cultures énergétiques, si possible dans le cadre d'une concertation franco-allemande".
S'entendre avec l'Allemagne
Si le rapport pointe la concertation franco-allemande c'est que l'homologation des digestats se traite aussi (et surtout) au niveau européen et qu'en matière de méthanisation, l'Allemagne a plusieurs longueurs d'avance sur la France : quand l'Hexagone soutenait la filière concurrente du bio-éthanol et du diester, l'Allemagne privilégiait le développement de la méthanisation.
De plus, la Commission européenne prépare actuellement un règlement encadrant la sortie du statut de déchet des déchets biodégradables ayant subi un traitement biologique, rapporte la mission. Ce règlement se basera en particulier sur des normes physicochimiques et microbiologiques. Or, "il est très probable que les normes proposées seront plus restrictives que les normes des produits homologués ou normés par la France", alerte la mission qui juge que cela "pourrait remettre en question les homologations françaises sur certains produits".
Selon la mission, la position allemande serait particulièrement stricte puisqu'elle ne dispose pas de procédure d'homologation et qu'elle "souhaite mettre de fortes restrictions à la sortie du statut de déchet". L'homologation des digestats est probablement moins urgent en Allemagne puisqu'elle affiche des résultats globalement satisfaisants concernant l'application de la directive nitrates de 1991. Une décision de la Commission rendu en 2009 pointait notamment une diminution de la concentration de nitrates dans 85% des stations de surveillance des eaux de surface et dans 55% des stations de surveillance des eaux souterraines. De plus, entre 1991/1993 et 2007, l'excédent moyen d'azote est passé de 120 kg/ha à 94 kg/ha et l'utilisation d'azote issu d'effluents d'élevage est passée de 88 kg/ha à 76 kg/ha.
"La France devra se positionner très vite dans la négociation afin de préserver ses filières compost et fertilisants organiques, ainsi que le digestat homologué", prévient la mission qui juge que "le digestat obtenu à partir d'effluents d'élevage pourrait a priori satisfaire aux conditions du règlement européen, avec une forte interrogation cependant concernant les micro-éléments métalliques, en particulier le cuivre et le zinc, dont les teneurs sont élevées dans le lisier de porc (la norme européenne serait plus stricte que la norme française dans le projet en préparation)". Une telle situation affaiblirait sensiblement le plan gouvernemental qui vise notamment à répondre aux problèmes rencontrés en Bretagne. Or, seulement trois projets bretons d'homologation de digestats de méthanisation (Geotexia, Gazea et Guernequay) ont été référencés et ils concernent tous le traitement de lisier de porc.