L'exploitation du pétrole offshore représente un tiers du pétrole consommé actuellement dans le monde. Et il faut aller le chercher de plus en plus loin. Des permis d'exploitation sont accordés à des forages de plus de 3.000 mètres de profondeur. La part de ce pétrole dit non conventionnel – extrait à de très grandes profondeurs – ne représente pour le moment que 3% du pétrole extrait sur la planète, mais elle est appelée à croître pour compenser partiellement l'érosion des puits matures de pétrole conventionnel. Les accidents survenus en Australie (Montara, 21 août 2009), aux États-Unis (Deepwater Horizon, 20 avril 2010), en Chine (Penglai 19-3, 4 juin 2011), sur une plate-forme gazière en mer du Nord (Elgin-Franklin, 25 mars 2012) et, le 14 juin dernier, sur la plate-forme L5FA de GDF-Suez au large des Pays-Bas, sont des conséquences de cette fuite en avant.
L'adoption par le Conseil européen, le 10 juin dernier, d'une direcrtive sur les plateformes pétrolières et gazières de la Mer du Nord vient partiellement combler un vide juridique. L'industrie offshore relève jusqu'à présent de la responsabilité des Etats où elle opère, sans que ceux-ci aient à rendre compte de leurs actions. La directive sur la sécurité des opérations pétrolières et gazières en haute mer enjoint les États membres d'imposer aux exploitants de veiller à ce que toutes les mesures adéquates soient prises pour prévenir les accidents majeurs. A charge, pour les Etats-membres, de définir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives en cas d'infractions et de se doter d'une autorité compétente pour veiller à l'application de la directive. Les États membres veillent à ce que l'exploitant prépare un rapport sur les dangers majeurs, qui peut donner lieu à l'interdiction, par l'autorité compétente, de l'exploitation d'une plate forme.
L'Arctique sans moratoire
L'environnement fait l'objet de clauses spécifiques. "Lors de l'évaluation de la capacité technique et financière d'un demandeur sollicitant une autorisation, une attention particulière est accordée à tous les environnements marins et côtiers écologiquement sensibles, en particulier les écosystèmes qui jouent un rôle important dans l'atténuation du changement climatique et l'adaptation à ces derniers, tels que les marais salants et les prairies sous-marines, et les zones marines protégées, comme les zones spéciales de conservation", insiste la directive. Le texte réserve un paragraphe aux eaux arctiques : "Les problèmes environnementaux majeurs touchant les eaux arctiques requièrent une attention spéciale afin de garantir la protection environnementale de l'Arctique à l'égard de toute opération pétrolière et gazière en mer, y compris d'exploration, en tenant compte du risque d'accidents majeurs et de la nécessité d'y apporter une réponse efficace. Les États membres qui sont parties au Conseil de l'Arctique sont encouragés à promouvoir activement les normes les plus élevées en ce qui concerne la sécurité environnementale dans cet écosystème vulnérable et unique, en mettant par exemple au point des instruments internationaux en matière de prévention, de préparation et de réaction à la pollution pétrolière marine (...)".
A l'origine de ce passage, des amendements défendus en commission environnement au Parlement européen par le groupe écologiste, qui proposaient un moratoire sur les forages en Arctique et instituaient la responsabilité financière et civile des industriels. Le texte final ayant été édulcoré, les écologistes ne l'ont pas voté. "Exit la supervision des activités pétrolières par l'Agence européenne pour la sécurité maritime. Exit la couverture financière globale des risques en cas d'accident. Exit la criminalisation des dégâts environnementaux et, enfin, exit l'indépendance des autorités compétentes au sein des États membres", s'est émue l'eurodéputée Michèle Rivasi (Verts-ALE).
Pas de superviseur européen
La pression des États concernés par les forages offshore, notamment la Hollande, le Danemark et l'Angleterre, est à l'origine du rabotage de la directive. Le Commissaire européen à l'énergie, Günther Oettinger, a initialement défendu des positions ambitieuses, allant jusqu'à suggérer aux États membres un moratoire sur les futurs forages. La Commission s'est alors mise au travail. "Le Conseil a ravalé le projet de règlement, qui permettait une application cohérente par les États, pour ne trouver qu'une directive. Le Conseil a ensuite sabordé les propositions les plus ambitieuses du Parlement, en particulier le renforcement des instruments existants, comme l'Agence de sécurité maritime pour le contrôle européen des régulateurs nationaux", commente Corinne Lepage, eurodéputée (Alliance Libéraux et démocrates).
Yves Cochet, eurodéputé (Verts-ALE) "déplore ces renoncements exercés sous l'influence de l'industrie et des États membres directement concernés par ces forages. L'indépendance des évaluations de sûreté ne peut plus être assurée. Il aurait fallu élargir les compétences de l'Agence européenne de sécurité maritime (EMSA) pour la supervision et en matière de certification." L'ONG Océana-Europe corrobore ce point de vue. Pour Xavier Pastor, son directeur, "ce texte n'apportera que des améliorations mineures à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en haute mer. L'issue de ce vote révèle à quel point le court termisme a sacrifié la prévention sur l'autel d'une industrie multi-millionnaire, alors que la société civile demande un renforcement des régimes de responsabilité, des systèmes de compensation plus accessibles, et la désignation des marées noires comme crime environnemental". La directive n'entrera pas en vigueur avant 2019.