C'est un feuilleton sans fin. Rapport après rapport, le cas de l'estuaire de la Seine est étudié, depuis que, saisie en 1991 par des associations, la Commission européenne a ouvert un contentieux contre la France pour manquement à la directive Oiseaux. Cette fois-ci, c'est au tour du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) de se pencher sur ce sujet afin d'apporter des réponses pour en finir avec le contentieux européen. Trois points principaux ont été étudiés : la diminution de la pression de chasse, les voies d'indemnisation des contraintes proposées à l'agriculture et la gestion des niveaux d'eau favorables à la protection de l'avifaune.
Mais situé à proximité des ports de Rouen et du Havre, ce site a été peu à peu grignoté par le développement d'infrastructures, ce qui a conduit à la diminution des zones humides, qui sont passées de 140 km2 à 30 km2 en un demi-siècle.
En 1991, plusieurs associations ont saisi la Commission européenne qui, à son tour, a saisi la Cour de justice européenne (CJUE) en 1997 pour manquement de la directive Oiseaux. Elle estimait alors que la zone de protection spéciale (ZPS), créée en 1984, était insuffisante et qu'aucune mesure n'avait conféré à cette zone un statut de protection suffisant. En 1997, la France a créé la réserve naturelle de l'estuaire de la Seine mais elle a néanmoins condamnée en 1999 par la CJUE. Si la France a étendu la surface de la ZPS, elle n'a pas renforcé son statut. C'est pourquoi la Commission a ouvert une deuxième procédure a été lancée par la Commission, avec avis motivé en 2001. En novembre 2004, la France a étendu par décret la surface de la réserve naturelle.
La mission du CGEDD et du CGAAER était donc de proposer "un plan de gestion raisonnable et d'application pratique des mesures envisagées", acceptable par toutes les parties et "reçu comme satisfaisant notamment à Bruxelles".
Relancer le dialogue pour définir une gestion partagée
Les rapporteurs préconisent d'abord la nomination d'un médiateur, chargé de préparer "avec chaque catégorie d'acteurs (essentiellement sur le département de Seine-Maritime) le démarrage d'un travail constructif du comité consultatif de la réserve" avant la reprise de la concertation.
La problématique doit être abordée de manière "réglementaire, sur la base notamment du code de l'environnement relatif aux réserves naturelles, scientifique, dans l'idée qu'il faut objectiver les impacts des mesures choisies, tactique, car le préfet devra mettre en œuvre un projet avec des chances de réussite". Les rapporteurs estiment qu'il faut prioriser les objectifs et tendre vers une gestion partagée du patrimoine. Car jusque-là, les impératifs réglementaires "ont parfois été arrêtés dans une certaine précipitation ou par compromis, avec un risque de commettre certaines erreurs tactiques préjudiciables à une mise en place de mesures plus acceptables". Il faut éviter que ce territoire ne devienne "le sanctuaire d'un groupe d'acteurs", soulignent les rapporteurs, afin de débloquer la situation. L'Etat doit être au cœur de la concertation car il "dispose de l'atout foncier" : une majeure partie de la réserve est située sur le domaine public maritime et un certain nombre de parcelles a été acquis par le conservatoire du littoral. Il revient donc à l'Etat, via le préfet, de fixer des objectifs et de s'assurer que les parties bénéficiaires d'autorisations d'occupation temporaires les respectent.
Chasse, agriculture et prélèvement de l'eau
Pour limiter les pressions liées à la chasse (prélèvements et dérangement), les rapporteurs préconisent la désignation d'une zone continue et fréquentée par les oiseaux, pour établir une aire de quiétude étendue. L'ouest de la réserve pourrait être mise hors chasse, en indemnisant les chasseurs pour les installations non utilisées. La sélection de la chasse pratiquée et la mise en place de quotas pourraient également être envisagés réglementairement.
Mais les chasseurs jouent également un rôle positif en entretenant les mares et les roselières. La réserve doit donc prévoir l'entretien des mares devenues orphelines dans les zones hors chasse. "Une certaine pression de chasse est par ailleurs utile vis à vis de prédateurs des nids. Il faut la conserver dans les zones favorables, voire l'amplifier en réponse à la craintede destruction de nichées face à laquelle on développe principalement une réponsepar l'inondation des terrains".
Quelques 148 agriculteurs sont également installés sur la réserve (2.000 ha). Pour inciter à une remise en prairie des terres cultivées et à une exploitation écologique de l'herbe, le financement fait défaut, car les mesures de la PAC (mesures agro-environnementales) ne sont pas adaptées. Il faut donc étudier les possibles dérogations applicables aux financements européens ou d'autres sources de financement. Le propriétaire du terrain peut également utiliser des baux environnementaux ou fixer des conditions à l'occupation temporaire du domaine public maritime pour influencer le mode de gestion de ces terres cultivées. "Il est important de chiffrer la contribution de l'agriculture au maintien del'écosystème, en évitant les globalisations théoriques. Et pour l'avenir, il peut êtreintéressant de regarder avec précision le potentiel des différents territoires".
Enfin, concernant la maîtrise des niveaux d'eau, "le plan de gestion doit permettre le meilleur compromis entre les intérêts de l'écologie des espèces jugées les plus emblématiques et les besoins de l'agriculture notamment". Cela passe par la mise en place de comités des usages de l'eau "pacifiés", dont les grandes lignes auront été arrêtées par le préfet, une meilleure connaissance des besoins sur le plan écologique et une meilleure cohérence entre les services déconcentrés de l'Etat et le gestionnaire de la réserve (création d'un guichet unique pour les usagers de la réserve).