
Inquiète de voir s'atténuer la motivation de l'Europe à demeurer un moteur des négociations, la France a présenté à Luxembourg, au Conseil des ministres européens de l'environnement, ce jeudi 25 juin, un mémorandum de treize pages sur le climat figurant l'accord idéal post Kyoto tel que Paris l'imagine. Les modalités du soutien aux pays du Sud pour leur transition énergétique n'y sont pourtant pas plus précises qu'au Forum des économies majeures. En revanche la France, qui se veut proactive dans les négociations climatiques internationales, préconise un objectif de réduction de 30% de leurs émissions aux pays dits émergents d'ici à 2020 par rapport à leurs émissions tendancielles. De quoi contrarier la Chine, qui ne veut pas entendre parler de contraintes sur ses émissions et qui considère les prétentions européennes de leadership climatique d'autant moins légitimes que l'Europe n'en avance pas les moyens financiers.
Diktats chinois
Comme l'a souligné Valérie Niquet, directrice du Centre Asie de l'IFRI, lors d'un séminaire récent d'Enerpresse, pour la Chine, c'est le développement d'abord et ensuite le changement climatique. Pour autant la prise de conscience du coût du changement climatique s'est affirmée en Chine, où les enjeux de changements environnementaux deviennent aussi des enjeux de stabilité interne, selon Mme Niquet. En témoigne le 11ème Plan quinquennal chinois (2006-2010), qui marque un tournant environnemental en reconnaissant la nécessité d'un développement harmonisé par rapport au maintien des ressources naturelles. Pour la première fois, le plan quinquennal fixe des objectifs quantitatifs d'intensité énergétique (consommation énergétique par point de PIB). Le National Climate Change Program, adopté en 2007, introduit une autre inflexion fondamentale en Chine, qui prévoit d'économiser 950 millions de tonnes de CO2 d'ici à 2010 et de porter la part des énergies renouvelables à 15% d'ici à 2020, tout en améliorant l'efficacité énergétique. Quant aux normes d'émission des véhicules particuliers chinois (170g de CO2/km), elles sont malgré tout plus contraignantes que celles pratiquées aux Etats-Unis, à savoir 270 g de CO2/km. Pour rappel, selon le baromètre Ademe 2008, la moyenne en France est de l'ordre de 140 g de CO2/km (149g en 2007).
Quoi qu'il en soit, la Chine estime ne pas avoir de leçons à recevoir de la part de l'Occident. Arguant à la fois de son droit au développement et de ses efforts pour « décarboner » son économie, elle entend maintenir son statut dérogatoire par rapport aux objectifs du Protocole de Kyoto. Cette posture risque cependant de la mettre en porte-à-faux par rapport au rôle de grande puissance responsable qu'elle entend jouer dans les négociations climatiques. Cette prétention la met du reste déjà en décalage par rapport aux autres pays membres du groupe des pays en développement, dit groupe des 77, dont elle se réclame lors des négociations. Devenue premier émetteur mondial de gaz à effet de serre en valeur absolue devant les Etats-Unis, elle ne peut plus invoquer la position américaine pour justifier son statut d'exemptée, puisque l'administration Obama a présenté un objectif de -17% de ses émissions en 2020 par rapport à 2005. La Chine est donc provisoirement condamnée à la surenchère, qu'elle pratique depuis la conférence de Poznan en réclamant toujours plus d'efforts de la part des pays industrialisés jusqu'aux -40% qu'elle en exige actuellement, quitte à pousser les Etats-Unis dans leurs retranchements, et à placer indirectement l'Europe en position d'arbitre, voire de donneuse de leçons d'intégrité environnementale.
De son côté, l'émissaire climatique du président Obama, Todd Stern, martèle que son pays ne pourra pas consentir plus de réductions que celles annoncées dans le projet de loi Waxman-Markey, qui vient d'être adoptée par la Chambre des représentants à une courte majorité. Invoquant la comparabilité des efforts, l'administration américaine suggère que les Etats-Unis ont accumulé du retard par rapport à l'Europe. Les émissions américaines ont augmenté de 20% entre 1990 et 2005, les émissions européennes ont baissé de 3,5%. Selon Claude Henry, professeur à la chaire de développement durable de Sciences po, les Etats-Unis ne sont pas prêts de lutter contre le changement climatique, malgré l'équipe galactique du professeur Steve Chu et autres conseillers du président Obama. Sous la pression du « Big Coal », le lobby du charbon, l'administration Obama n'a pas les mains libres et le Sénat américain pourrait bien réduire les ambitions de l'American Clean Energy and Security Act, l'équivalent américain du paquet énergie-climat.
Pour éviter un clash à Copenhague et ne pas apparaître isolée sur la scène internationale, la Chine sera peut-être obligée de revoir ses oukases et d'accepter de rejoindre les pays de l'annexe 1 (soumis à des engagements de réduction de CO2), sur la base de ses engagements à réduire son intensité carbone, ne serait-ce que pour assumer son rôle de grande puissance et protéger son image.