Capital pour l'élaboration de la politique de l'eau, le dispositif de surveillance et d'obtention de données sur les milieux aquatiques doit aujourd'hui évoluer pour mener à bien sa mission, selon le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).
A la demande du ministère de l'Ecologie, il a mené une évaluation du dispositif d'agrément des laboratoires d'analyse dans le domaine de l'eau et des milieux aquatiques.
Cette remise en question n'est pas nouvelle : un premier rapport du CGEDD s'inquiétait déjà, en septembre 2013, de la situation oligopolistique de certains laboratoires d'analyse. Le chantier de modernisation de l'action publique prévoyait également un audit de la production et la gestion des données sur l'eau.
Un problème d'accessibilité des laboratoires agréés
En France, le système de qualification des laboratoires dispose de deux niveaux : l'accréditation, qui atteste la compétence technique des laboratoires pour effectuer des tâches spécifiques et l'agrément qui reconnaît la capacité d'un laboratoire à atteindre certaines performances (notamment limites de quantification et incertitudes obtenues).
Une première évolution nécessaire relevée par le CGEDD concerne l'accessibilité des laboratoires agréés (plus particulièrement dans les départements d'Outre-mer).
Lors de sa mission, il a en effet constaté que si l'intervention de laboratoires agréés pour évaluer la qualité des eaux est obligatoire, dans les faits ce ne sont cependant pas systématiquement ces derniers qui réalisent ces prestations. Et pour cause : l'état des lieux du CGEDD relève ainsi qu'aucun laboratoire n'est aujourd'hui agréé pour l'ensemble des paramètres de la Directive cadre sur l'eau (DCE). L'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) a par ailleurs montré qu'en 2013, quatre laboratoires étaient agréés pour plus de 80 % des paramètres DCE et un seul laboratoire atteignait les 90 %.
Pour ce qui concerne les mesures hydrobiologiques, 27 laboratoires étaient agréés en juin 2013, dont 12 laboratoires des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Jusqu'à 2 ans pour un agrément
Au titre des ICPE, 5.000 à 6.000 sites font l'objet d'une autosurveillance des rejets. Les résultats de cette dernière sont confrontés, pour validation, aux résultats obtenus par un laboratoire agréé pour l'analyse de ces rejets.
Les stations de plus de 2.000 équivalent habitants font également appel à des laboratoires agréés pour valider leurs analyses : elles doivent en effet vérifier annuellement les performances de leurs dispositifs d'autosurveillance.
Enfin, pour le contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine, les agences régionales de santé (ARS) passent également par des laboratoires agréés par le ministère chargé de la santé.
Une évolution réglementaire nécessaire
Différentes évolutions réglementaires pourraient encourager l'agrément des laboratoires, selon le CGEDD : une formalisation juridique du fait que ce soit l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) qui délivre les agréments pour le compte du ministère chargé de l'environnement, l'introduction de la notion d'agrément provisoire (en attendant l'audit prévu par la procédure) mais également de porter de 2 à 5 ans la durée de ces agréments (avec un dispositif de contrôle renforcé). Elle propose également une réflexion sur la possibilité d'accorder des correspondances automatiques d'agréments entre le ministère chargé de l'environnement et le ministère chargé de la santé.
Il n'existe pas de texte réglementaire demandant qu'en cas de mesures commanditées par les agences de l'eau pour contribuer à la détermination des primes et redevances, il soit fait appel à des laboratoires agréés. La mission considère qu'il serait souhaitable de modifier ce point.
Le CGEDD préconise enfin une actualisation des référentiels utilisés pour l'accréditation en hydrobiologie et une détermination des limites de quantification harmonisée avec les pratiques des autres pays européens
Enfin, certains paramètres ou natures d'échantillons ne disposent pas de référentiel d'agrément (comme la matrice sédiment ou les mesures du phosphore dans les eaux résiduaires).
Un contrôle de la qualité des prestations insuffisant
Autre point à améliorer, selon le CGEDD : le contrôle de la qualité des prestations des laboratoires agréés. "A l'heure actuelle, aucune action est menée pour contrôler le respect des critères d'agrément entre deux examens par les auditeurs Cofrac", déplore la mission du CGEDD.
Elle recommande donc un suivi plus actif des pouvoirs publics pour confirmer le bien-fondé ou le retrait de l'agrément. Elle propose pour cela un meilleur partage des informations sur la qualité des prestations des organismes agréés entre les agences de l'eau, les agences régionales de santé (ARS), l'Onema et le Comité français d'accréditation (Cofrac).
La phase de prélèvement et transport des échantillons joue également dans la qualité de l'analyse. Aujourd'hui, c'est au laboratoire d'analyses agréé de s'assurer qu'il travaille sur des échantillons prélevés sous accréditation.
Pourtant, "une telle clause ne figure pas, par exemple, dans le cahier des charges des agences de l'eau relatif à la détermination de la qualité des masses d'eau, souligne le CGEDD, de fait aujourd'hui, tous les prélèvements ne sont pas réalisés par des préleveurs accrédités".
La mission souhaiterait que, désormais, ce soit le maître d'ouvrage de la détermination des données qui vérifie que les prélèvements soient réalisés par des organismes accrédités.
Pour le CGEDD, tous les préleveurs (hors inspecteurs de l'environnement ou des installations classées pour la protection de l'environnement commissionnés) devraient être accrédités dans un délai de trois ans.
Le traitement de l'incertitude des données constitue un autre manque relevé par le CGEDD. "Les laboratoires qualifient en général l'incertitude des mesures qu'ils fournissent. Cette qualification n'est pas très précise, ce qui demanderait des travaux disproportionnés, pointe-t-il, l'incertitude des prélèvements est en revanche mal qualifiée".
Pour la mission, afin de déterminer de façon plus rigoureuse la qualification des masses d'eau, le ministère chargé de l'environnement devrait se pencher sur cette question.
Des enjeux financiers importants
Outre les implications pour l'évaluation de la qualité de la ressource, l'enjeu autour de la surveillance des masses d'eau est également financier : selon le CGEDD, les marchés de prélèvements et d'analyses d'eau hors auto-surveillance ont été estimés annuellement à 30 M€ pour l'appréciation de la qualité des masses d'eau, 10 M€ pour l'analyse physico-chimique des rejets dans l'eau et 80 M€ pour le contrôle de l'eau destinée à la consommation humaine.
Or, que ce soit pour le contrôle de l'eau distribuée ou l'analyse de la qualité des masses d'eau, deux laboratoires privés dominent le secteur : Eurofins et Carso.
"Il est souhaitable que la concentration du secteur privé observée ces dernières années n'aille pas au-delà du stade actuel", rappelle le CGEDD. Dans le domaine de l'hydrobiologie où les intervenants sont plus petits et plus nombreux, il considère en revanche que la concurrence est suffisante.
"Les laboratoires publics départementaux sont aujourd'hui dans une situation difficile du fait d'un manque de compétitivité, constate le CGEDD, au-delà de leur regroupement, un recentrage sur le prélèvement ferait sens pour les prestations relevant du ministère chargé de l'environnement qui restent, à de rares exceptions près, marginales dans leurs activités".
La mission estime également que les pouvoirs publics ont intérêt à garder une capacité d'expertise dans le domaine des analyses. Pour elle, toutefois, le consortium Aquaref constitue une bonne solution pour y parvenir.