"La question des brevets focalise les crispations", constate Guillaume Henry, avocat et chercheur associé à l'Institut de recherche en propriété intellectuelle (IRPI), qui s'exprimait le 16 décembre devant les membres de l'Association française des juristes d'entreprises (AFJE). Le spécialiste identifie trois enjeux : l'innovation pour accélérer la transition vers une économie décarbonée, la diffusion de ces technologies novatrices et les transferts technologiques "Nord/Sud", ou plus largement entre entités de niveau technologique différent.
Procédure accélérée de délivrances de brevets
"Il n'y a pas de réforme majeure susceptible d'accélérer l'innovation", estime Guillaume Henry. L'interdiction des technologies polluantes ou l'assouplissement des conditions de brevetabilité des technologies vertes se révèlent difficiles à mettre en œuvre, explique-t-il. Faute de définition consensuelle de la notion de "brevet vert" dans le premier cas. En raison du risque d'explosion des procès pour contrefaçon dans le second.
Le chercheur relève malgré tout l'existence de mesures favorables, comme la création par l'Office européen des brevets (OEB) d'une base de données qui permet de connaître les brevets déposés pour chaque greentech ou encore la mise en place d'une procédure accélérée d'examen des brevets verts par une quinzaine d'offices nationaux. Ainsi, au Brésil, la durée de la procédure qui était de dix ou onze ans est tombée à deux ans, illustre M. Henry.
La délivrance accélérée d'un brevet n'est pas forcément avantageuse pour le déposant, objecte toutefois un représentant de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). D'une part, car la protection joue à compter du dépôt de la demande. D'autre part, parce que la durée de la procédure permet de prendre en compte d'éventuelles évolutions. "Il n'y a pas de règle générale, cela dépend du business et des concurrents en face", témoigne Fabirama Niang, Directeur Propriété intellectuelle du Groupe Total. En tout état de cause, la procédure accélérée est utile pour les start-up en vue de convaincre des investisseurs, relève Guillaume Henry.
Diffusion de brevets non-stratégiques
En ce qui concerne la diffusion des technologies vertes, il n'y a pas de réponse réellement intéressante, estime l'avocat-chercheur. Les plateformes existantes, comme Eco-Patent Commons, ne diffusent que des brevets non stratégiques et sont donc largement insuffisantes, explique-t-il.
En outre, les licences brutes de brevets ne permettent pas de mettre en œuvre une technologie. "Un brevet ne protège qu'une brique d'une technologie", confirme Fabirama Niang. De ce fait, indique le représentant de Total, un brevet n'est pas vert en tant que tel mais c'est son utilisation dans tel ou tel système qui fait qu'il devient vert.
Certaines pistes sont à étudier, estimait toutefois Guillaume Henry devant la commission de la propriété intellectuelle du barreau de Paris en février dernier : "l'une d'elles consisterait à proposer aux brevetés d'offrir des licences gratuites, bien entendu non-exclusives, en échange d'une contrepartie qui peut être une incitation fiscale ou une augmentation de la durée de protection des brevets (de 20 ans à 25 ou 30 ans)".
En ce qui concerne les transferts technologiques, Guillaume Henry fait état des revendications du G77, une coalition de pays en développement qui, dans le cadre des négociations "climat", réclament un meilleur accès aux technologies détenues par les pays "du Nord" et mettent en cause l'obstacle que constituent les brevets. L'avocat estime toutefois que la crispation sur les brevets est un faux problème dans la mesure où les brevets sont des titres territoriaux et que, dans la plupart des cas, ils ne sont pas déposés dans les pays en développement.
"La difficulté est plus large ; elle est technologique. Octroyer des licences sur des brevets à des personnes qui n'ont pas les compétences techniques n'aboutit à rien de satisfaisant. C'est pourquoi, la seule solution pour que les pays du Sud puissent opérer une transition verte réside dans le transfert de technologies", précisait M. Henry devant le barreau de Paris.
Seuls les outils volontaires efficaces ?
L'idée de mettre en place des outils contraignants en vue d'accélérer la diffusion et les transferts de technologie ne fait pas recette auprès de ces spécialistes du droit de la propriété intellectuelle. "Obliger une entreprise à diffuser son savoir est assez illusoire", estime Guillaume Henry, pour qui seuls les outils de transfert volontaire peuvent se révéler réellement efficaces. Et de citer la mise en place récente de la plateforme Wipo Green par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), qui permet de mettre en relation les entreprises proposant des technologies vertes et les besoins dans les pays en développement.
"Il serait dangereux de légiférer sur la définition du brevet vert", renchérit Fabirama Niang. Pour permettre aux entreprises d'investir et de développer les technologies vertes, le retour sur investissement est indispensable, explique-t-il. "Si on commence à parler de licence obligatoire ou de libre accès aux brevets, les sociétés qui investissent beaucoup d'argent dans leurs innovations craindront de perdre le bénéfice de leur travail - et elles cesseront selon toute probabilité d'investir dans les technologies vertes", expliquait dans le même sens Pekka Kosonen, membre du groupe d'experts sur les technologies de l'UE, dans une interview à l'Office européen des brevets en 2011.
Des outils fiscaux peuvent toutefois être envisagés pour inciter la diffusion des brevets et les transferts de technologies vertes, admet Guillaume Henry. Mais ce n'est pas une incitation fiscale qui va pousser l'entreprise à déposer ou non un brevet, estime Fabirama Niang.
En tout état de cause, au-delà des outils traditionnels comme la fiscalité ou des normes contraignantes à l'émission, "la place de la propriété intellectuelle, son efficience mais aussi ses limites au niveau mondial permet de mesurer que la propriété intellectuelle est un vecteur puissant" en matière de développement des technologies vertes, relevait Caroline Juguet de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) devant le barreau de Paris.