Le Parlement a adopté, le 28 novembre, la proposition de loi du député UMP Christian Demuynck sur les certificats d'obtention végétale. Celle-ci vise à renforcer le "système particulier de propriété intellectuelle sur les variétés végétales (dénommé protection des obtentions végétales) [adopté en 1970], lequel permet de rémunérer la recherche mais qui, contrairement au brevet, laisse à tous un accès libre à la variété créée en tant que nouvelle ressource génétique", explique l'exposé des motifs. Cette loi vise à transposer en droit français la convention de l'Union internationale pour la protection végétale (Upov), adoptée en 1991 et ratifiée par la France en 2006.
Les semences de ferme limitées à quelques variétés
Concrètement, ce texte doit encadrer l'utilisation de semences de variétés protégées et la pratique dite "de semence de ferme", c'est-à-dire le fait que, d'une année sur l'autre, l'agriculteur récolte des graines à partir de variétés sélectionnées par l'industrie semencière, et les multiplie lui-même en vue de les semer.
Le texte prévoit que "toute obtention végétale peut faire l'objet d'un titre appelé « certificat d'obtention végétale » qui confère à son titulaire un droit exclusif de produire, reproduire, conditionner aux fins de la reproduction ou de la multiplication, offrir à la vente, vendre ou commercialiser sous toute autre forme, exporter, importer ou détenir à l'une de ces fins du matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée".
La semence de ferme sera autorisée pour 21 espèces pour lesquelles l'Europe autorise déjà cette pratique (comme le blé et les pommes de terre), en échange du paiement d'une contribution volontaire obligatoire (CVO). "Toutefois, le texte en l'état offre la possibilité d'ouvrir le dispositif à d'autres espèces", indique Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).
En revanche, la semence de ferme sera interdite pour toutes les autres variétés certifiées. Seules échappent à cette loi les pratiques réalisées à titre privé et à des fins non professionnelles ou non commerciales, les pratiques à titre expérimental et les pratiques accomplies "aux fins de la création d'une nouvelle variété". Ainsi, selon le Groupement national interprofessionnel des semences (Gnis), "le système de protection des obtentions végétales est original, puisqu'il permet d'utiliser des variétés protégées pour en créer de nouvelles, sans qu'il soit nécessaire d'avoir l'accord du propriétaire ; cette garantie d'accès à des ressources génétiques protégées empêche d'éventuelles situations de monopole et de blocage du progrès génétique".
Progrès ou régression ?
Le ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire a soutenu ce projet de loi. Selon lui, la pratique des semences de ferme "doit être autorisée, mais elle ne peut pas être libre de droit comme elle l'est aujourd'hui". Il a dénoncé une "situation de non-droit" et "une incertitude juridique".
Pour Xavier Beulin, ce texte a un double rôle. D'abord, protéger les créateurs : "N'est-il pas juste de rétablir une certaine équité entre ceux qui choisissent d'acheter les variétés directement auprès des obtenteurs et des distributeurs, et ceux qui préfèrent les reproduire avec des semences fermières ? Il est normal que ces derniers participent aussi au financement de la création variétale puisqu'ils en bénéficient", à condition que "la contribution soit équitable et acceptable par les agriculteurs". Autre avantage, selon lui : protéger les agriculteurs français de la brevetisation du vivant : "Si nous ne nous battons pas pour préserver le pôle semencier français, nous risquons, dans une ou deux décennies, de nous réveiller en faisant le constat amer qu'il ne reste que quatre ou cinq producteurs de semences au monde, soit anglo-saxons, soit chinois. La proposition de loi me semble aller dans le bon sens en évitant demain d'être pieds et poings liés face à ces multinationales dont certaines d'entre elles n'aspirent qu'à une seule chose, breveter leur génétique !".
La Confédération paysanne dénonce au contraire "une régression sans précédent [du] droit le plus fondamental [des paysans]: celui de ressemer librement leur propre récolte et d'échanger leurs semences. (…)Il est inacceptable que la loi, censée défendre l'intérêt général, renforce les droits privés de l'industrie semencière au détriment des droits collectifs des paysans. Il est inacceptable que la loi favorise la confiscation du vivant par cette industrie et la régression de la biodiversité".