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« Droit pénal de l'environnement : on a une immense marge de progression »

François Molins a lancé un groupe de travail sur le droit pénal de l'environnement qui vient de remettre ses conclusions. Il propose la création d'un service national d'enquête, ainsi que des formations spécialisées de jugement.

Interview  |  Gouvernance  |    |  L. Radisson
Droit de l'Environnement N°317
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°317
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« Droit pénal de l'environnement : on a une immense marge de progression »
François Molins
Procureur général près la Cour de cassation
   

Actu-Environnement : Pour quelle raison avez-vous mis en place ce groupe de travail ?

François Molins : C'est une initiative personnelle, après une réflexion qui m'est venue à la suite de l'organisation de deux colloques à la Cour de cassation, en 2019 et en 2020. L'un, organisé par la Cour, l'autre, conjoint avec le Conseil d'État, mettaient bien en évidence le rôle du juge en matière environnementale. Cela a confirmé une idée qui était la mienne depuis longtemps, celle du sous-dimensionnement du traitement pénal du droit de l'environnement. Ensuite est venue la loi du 24 décembre 2020, qui a créé les pôles régionaux de l'environnement. J'avais été très déçu à la lecture de l'étude d'impact qui ne prévoyait la création que de seulement trois ou quatre postes. Je me suis dit que les textes publiés et l'organisation actuelle n'étaient pas à la hauteur des ambitions. J'ai donc profité de la liberté et de l'indépendance que me donnent mes fonctions de procureur général près la Cour de cassation pour mettre en place ce groupe de travail (1) avec un champ de réflexion non limité et une composition pluridisciplinaire, avec des magistrats praticiens du droit de l'environnement, des professeurs d'université, un formateur de l'École nationale de la magistrature (ENM) et deux avocates. On a travaillé pendant quatorze mois et on a fait une quinzaine d'auditions.

AE : Quelles sont les principales critiques que vous formulez sur le traitement du contentieux pénal de l'environnement ?

FM : Le problème du droit pénal de l'environnement, c'est qu'il est extrêmement technique. Il est éparpillé dans la mesure où il se trouve dans plusieurs codes. Il exige des compétences qui nécessitent une véritable spécialisation. Enfin, il est fondé, depuis l'ordonnance de 2012, sur une sorte de régime administratif qui fait primer les sanctions administratives. Le volet pénal n'a souvent vocation à venir qu'en deuxième rideau, lorsque la sanction administrative, à travers les mises en demeure ou les amendes administratives, n'a pas réglé la situation. Les magistrats ne se l'approprient pas suffisamment, mais ce n'est pas un reproche qu'on peut leur faire en l'état des moyens dont ils disposent.

AE : Pourquoi le système des polices administratives ne suffit-il pas en tant que tel ?

FM : Le groupe de travail a recommandé de confier le suivi des sanctions administratives non pas à l'autorité administrative, comme c'est le cas aujourd'hui avec les préfets, mais à une autorité administrative indépendante (AAI). Ce statut est intéressant, car l'AAI représente le pouvoir exécutif, mais elle est aussi totalement indépendante et pourrait se consacrer de façon plus objective à l'environnement. Les préfets, quant à eux, ont souvent tendance à trancher en faveur de l'intérêt économique et du maintien de l'emploi.

AE : Vos recommandations portent également sur les services d'enquête. Qu'en est-il ?

FM : On a fusionné l'Agence française de la biodiversité et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. C'est très bien, mais on n'a pas constitué en réalité un service d'enquête spécifique. On a pris des gens que l'on a regroupés et à qui, pour certains, on a donné des compétences de police judiciaire supplémentaires. C'est important d'avoir une vraie expérience dans la biodiversité, mais c'est insuffisant. Pour monter des enquêtes, il faut aussi maîtriser la procédure judiciaire. Nous proposons donc d'aller plus loin en créant un véritable service national d'enquête qui pourrait mener des enquêtes sous la direction des parquets et des juges d'instruction. Aujourd'hui, le paysage est éclaté. Il y a l'Office français de la biodiversité (OFB), avec des enquêteurs qui n'ont pas tous les mêmes pouvoirs. On a un service national, avec l'Oclaesp, (2) mais qui s'occupe plus de santé publique que d'environnement. L'autorité judiciaire doit donc choisir entre la police, la gendarmerie, la police judiciaire, l'Oclaesp et l'OFB.

AE : L'annonce du ministre de l'Intérieur de créer 3 000 postes de gendarmes verts va-t-elle à cet égard dans le bon sens ?

FM : C'est toujours bon d'avoir des enquêteurs bien formés pour constater les infractions environnementales, mais le service d'enquête que nous recommandons, c'est autre chose. Il permettrait une véritable unité et une cohérence du traitement pour les infractions environnementales les plus complexes et les plus graves. On a d'ailleurs constaté un besoin important de spécialisation : spécialiser les magistrats à la matière environnementale et spécialiser les enquêteurs, notamment de l'OFB, au judiciaire. Nous recommandons aussi des formations conjointes sous l'égide de l'ENM. Ce serait logique au regard de la récente création des pôles régionaux de l'environnement ou de la création envisagée de pôles plus spécialisés comme nous le recommandons aussi.

AE : La création de ces pôles régionaux par la loi sur le Parquet européen porte-t-elle ses fruits ?

FM : Ces pôles ont vocation à traiter les affaires les plus complexes. Mais, pour qu'ils fonctionnent, encore faut-il qu'ils soient au courant des faits les plus complexes. C'est pourquoi nous proposons d'imposer aux enquêteurs une obligation de double information, à la fois au parquet local, mais aussi au parquet du pôle régional de l'environnement. L'activité de ces pôles renvoie aussi à une réalité beaucoup plus complexe et générale, qui est celle du manque de moyens de la justice. Elle a des délais de traitement qui se dégradent. Elle manque de procureurs, de juges et d'audiences. L'environnement en fait les frais, peut-être avant même d'autres secteurs. Il est également nécessaire de créer des comités opérationnels, chargés de réunir tous les acteurs judiciaires et administratifs, dans chaque département. Aujourd'hui, le procureur général doit tenir une réunion une fois par an selon une circulaire du garde des Sceaux de mai 2021. Certains l'ont fait, d'autres non. Il faudrait aller beaucoup plus loin, avec des réunions périodiques, comme il en existe par exemple pour le site des Calanques de Marseille, sous l'égide du procureur et du préfet. Il faut aussi spécialiser les juges, à défaut d'avoir des juridictions spécialisées de jugement, de telle sorte que ce soit toujours les mêmes qui jugent les affaires environnementales lorsqu'elles sont poursuivies. Ces affaires vont actuellement dans le lot commun des audiences, à côté d'affaires de vols, de violences faites aux femmes ou d'abandons de famille. Nous avons le sentiment que, malgré les derniers textes adoptés, on a une immense marge de progression.

AE : Est-ce la raison pour laquelle vous parlez d'une dépénalisation de fait du droit de l'environnement ?

FM : Effectivement. Le contentieux de l'environnement aujourd'hui, c'est environ 20 000 infractions par an. Les trois quarts sont traités en mesures alternatives aux poursuites, donc font l'objet de rappels à la loi ou de classements sous conditions de réparation ou de régularisation. Ce ne sont que 5 % des infractions constatées qui vont venir devant le juge pénal. Ce dernier devrait pourtant avoir une action particulièrement importante dans ce contentieux. Il ne faut pas que la troisième voie, avec le recours à des délégués du procureur, devienne la voie royale. Il est nécessaire de séparer les affaires en fonction de leur importance. Il est logique que les affaires vénielles soient traitées simplement et rapidement par les délégués du procureur. Les affaires complexes et graves doivent aller devant le tribunal correctionnel. Quant au pôles de santé publique, ils traitent le haut du spectre, comme l'accident de Lubrizol.

AE : Qu'en est-il de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) également mise en place par la loi sur le Parquet européen ?

FM : Cet outil est intéressant, car il permet au Parquet de ne pas poursuivre et de proposer à la personne qui a commis l'infraction environnementale de payer une amende de composition, de réparer le dommage subi et puis, surtout, de proposer un programme de mise en conformité. Cet outil concerne particulièrement les entreprises, notamment les installations classées qui violent les réglementations. À ce jour, neuf CJIP ont été signées, dont la moitié au tribunal judiciaire du Puy-en-Velay (Haute-Loire). C'est assez paradoxal, mais c'est  très positif et laisse plein d'espoir quant au recours à cette mesure. Le Parquet construit sa convention, la propose à l'auteur de l'infraction et elle est ensuite soumise à l'homologation d'un juge. Cela donne à ce dernier une sorte de droit de regard sur la politique pénale du Parquet. Il a la liberté d'estimer que le niveau des mesures répressives prévu est suffisant, en homologuant la convention, ou de refuser cette dernière, en exigeant que l'affaire vienne en audience publique devant le tribunal. On recommande, en revanche, que l'amende ne soit plus affectée au budget général de l'État, mais à un compte spécifique pour financer des actions de protection de l'environnement.

AE : Quelle est votre position sur la création des délits dits « d'écocide » et de « mise en danger » par la loi Climat et résilience ?

FM : Ce n'est pas la diversité que nous critiquons. Il faudrait, par contre, que tout soit réunifié dans un code spécifique, car ce n'est pas de lecture simple. Mais cela, on n'a pas pu l'expertiser suffisamment, faute de temps. On émet toutefois des critiques sur le délit de mise en danger. Dans le code pénal aujourd'hui, la mise en danger délibérée est une infraction générale et autonome. Ce n'est pas le cas de la nouvelle incrimination instaurée par la loi de 2021 qui ne crée pas, en réalité, de délit de mise en danger de l'environnement en tant que tel, mais une simple circonstance aggravante et uniquement de trois séries d'infractions limitativement énumérées par loi. De plus, l'aggravation prévue par ce texte a été conçue en termes très restrictifs qui réduisent beaucoup les possibilités de prononcer ces peines aggravées. L'exposition au risque doit en effet être directe et non indirecte, et elle doit consister en un « risque immédiat d'atteinte grave et durable ». Il faut donc que le dommage causé dure au moins sept ans et je ne vois pas comment on peut le prouver. C'est pourquoi nous plaidons pour un délit générique et autonome de mise en danger de l'environnement. Mais la situation actuelle montre aussi que la volonté générale n'est pas claire et que l'on a du mal à concilier les priorités entre économie et environnement. Les débats qui ont eu lieu autour de ces délits sont typiques à cet égard. On veut protéger mais, en même temps, on ne veut pas arriver à un degré de protection de l'environnement tel qu'il puisse mettre à mal les objectifs économiques. Ce sont toutefois là des questions politiques qui relèvent du Parlement et non des juges, chargés, quant à eux, d'appliquer la loi.

AE : Le niveau des peines prononcées pose-t-il problème ?

FM : La prison peut être une réponse. Mais il faut surtout renforcer le niveau des amendes car, en général, quand on viole la réglementation, c'est pour faire des économies. On pourrait être extrêmement dissuasif si on prévoyait des amendes beaucoup plus fortes, notamment pour les entreprises polluantes.

AE : Y a-t-il d'autres mesures qu'il paraît urgent de mettre en œuvre ?

FM : En matière environnementale, il convient souvent d'agir vite sans attendre que le dommage environnemental ne s'aggrave et ne devienne irrémédiable. C'est pourquoi il faut renforcer le recours à la procédure de référé et développer le rôle du procureur en la matière. Ce dernier, en droit français, est là pour défendre l'ordre public. L'ordre public social, pénal, civil, commercial, mais aussi environnemental. Il doit donc s'approprier les outils qui existent, notamment le référé environnemental prévu à l'article L. 216-13 du code de l'environnement (3) . Mais cela nécessitera des moyens humains supplémentaires et un renforcement de la formation.

1. Télécharger le rapport
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40838-contentieux-penal-environnement-cour-cassation.pdf
2. Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique3. Consulter l'article L. 216-13 du code de l'environnement
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033933016/

Réactions2 réactions à cet article

Saluons la pertinence et la force de l'analyse de M. Molins. Ses propositions vont cependant se heurter à l'inaction, délibérée, du gouvernement, comme cela a été une constante depuis des décennies en la matière.
Sa critique sur la mise en danger de l'environnement confirme mon examen de la question (voir l'article "Délits d’écocide et de mise en danger délibérée de l’environnement : un ersatz au crime d’écocide"). Cet ersatz, qui avait fait l'objet d'une grande campagne de communication pour faire croire le contraire, est une nouvelle démonstration que l'affichage tient lieu de loi.

Gabriel Ullmann | 20 décembre 2022 à 08h45 Signaler un contenu inapproprié

Le droit de l'environnement doit impérativement être bien mieux considéré (en particulier par les préfets mais pas que), appliqué par les juges (en particulier des juridictions pénales mais pas que) et défendu mordicus contre celles et ceux, si nombreux, qui veulent l'affaiblir afin de préserver leur business as usual et celui de leurs petits copains.
La démarche de M. MOLINS est en ce sens précieuse. Gageons qu'à force, elle contribuera à enfin contrarier l'inaction gouvernementale (si ce n'est l'affairisme) qu'évoque M. ULLMANN.

Pégase | 21 décembre 2022 à 21h49 Signaler un contenu inapproprié

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