Lors de sa réunion plénière du 13 juin, le Comité pour la fiscalité écologique a examiné, outre la question de la fiscalité énergétique, celle relative à la gestion des ressources en eau. Le dispositif proposé repose sur trois axes : la mise en place d'une fiscalité sur l'azote minéral, une évolution substantielle de la fiscalité sur les phytosanitaires et une modification de la redevance "prélèvement" versée aux agences de l'eau.
L'avis préparé sur cette question n'a toutefois pas été adopté malgré le vote favorable d'une majorité des membres. Les représentants de l'industrie et de l'agriculture se sont opposés à ce projet, et le groupe de travail qui planche sur cette question devra donc poursuivre ses travaux. "Nous avons voté contre le projet pour une triple raison, explique Jean Pelin, l'un des représentants du Medef au sein du comité : une vision réductrice de la politique de l'eau, l'absence d'isofiscalité et l'absence d'étude d'impact suffisante tant au plan environnemental qu'économique et social".
Mettre en place une fiscalité sur l'azote minéral
Le projet propose de demander aux services de l'Etat d'étudier la faisabilité technique et juridique d'une taxation des engrais azotés de synthèse. Il s'agirait d'introduire dans le projet de loi de finances pour 2014 une nouvelle fiscalité avec une assiette large (taxation au premier kilo d'azote) et un taux faible, et de l'affecter à des actions visant à diminuer la pollution azotée dans les eaux.
Dans un deuxième temps, la pertinence d'une augmentation des taux serait évaluée "en fonction de l'effet prix sur la demande et de la disponibilité de références collectives sur les pratiques culturales alternatives". Des dispositifs de redistribution de la recette seraient étudiés en parallèle afin de maintenir la compétitivité des exploitations agricoles.
"Aujourd'hui, aucun des 27 Etats-membres n'a de taxe azote. L'introduire seulement en France reviendrait à handicaper notre secteur productif", argumente l'Union des industries de la fertilisation (Unifa). "Cette non-adoption intervient le jour même où la France a été sanctionnée par la Cour de justice de l'Union européenne pour non respect de la directive nitrates !", réagit de son côté France Nature Environnement (FNE). Les actions de réduction des pollutions diffuses "continueront-elles d'être très majoritairement financées par la facture d'eau des ménages, via les programmes des agences de l'eau ?", interroge la fédération d'associations.
"Les seuils en nitrates sont dépassés dans certaines régions seulement et une taxe globale, appliquée uniformément, ne règlera pas le problème", rétorque le représentant du Medef, qui reste toutefois prêt à examiner une démonstration qui prouverait le contraire. "Une taxe nouvelle n'est pas une bonne réponse à ce jour à l'utilisation des intrants, comme le montre l'exemple danois", tempête également Pascal Ferey, vice-président de la FNSEA, qui s'indigne qu'on oublie les millions d'euros investis par la profession agricole pour le stockage des effluents et qui évoque également la pollution historique.
Faire évoluer la fiscalité sur les pesticides
Le projet d'avis propose de conserver le système actuel de la redevance pour pollutions diffuses, qui montre son efficacité en terme de perception de la ressource financière mais qui n'envoie aucun signal prix significatif. "Le seuil de la redevance actuelle est beaucoup trop bas : deux malheureux centimes d'euros par hectare n'incitent pas à changer les pratiques….", confirme FNE, qui rappelle que "l'étude Ecophyto R&D a montré qu'une taxe sur les pesticides de 60% conduirait à leur réduction de 40% tout en permettant de financer l'agriculture biologique à hauteur de 140 €/ha".
Sans aller jusque-là, le projet propose d'étudier la pertinence d'une augmentation des taux selon une trajectoire déterminée sur les dix prochaines années, prenant en compte le classement toxicologique et écotoxicologique des matières actives. Les ressources supplémentaires seraient affectées à des changements de pratiques.
"La question de l'élargissement de l'assiette aux produits biocides (pesticides autres que produits phytosanitaires) mérite également d'être posée, débattue et tranchée", souligne le projet d'avis, qui suggère de se baser là-aussi sur le classement toxicologique et écotoxicologique des substances.
"Ces prélèvements ciblent les agriculteurs et les producteurs d'engrais et de produits phytosanitaires. Soit ces taxes seraient répercutées sur les agriculteurs affectant ainsi leur compétitivité, soit elle ne le seraient pas et affecteraient celle des entreprises", explique Jean Pelin pour expliquer son refus. Pascal Ferey refuse au nom de la FNSEA "une politique punitive" qui oublierait les mesures de fomations et les différentes initiatives d'ores et déjà prises par "des hommes et de femmes de bonne volonté" dans le cadre du plan Ecophyto.
De fortes distorsions entre usagers
En matière de redevance "prélèvement", le projet d'avis prévoit très prudemment "d'étudier, dans le cadre de la mise en place des nouveaux Sdage (2015), les évolutions possibles des redevances prélèvement comme instrument économique de la gestion quantitative de l'eau pour atteindre une meilleure adéquation de la demande aux volumes disponibles en étant particulièrement attentif à la répartition des coûts liés au service de l'eau".
Pourtant, le document établit plusieurs diagnostics clairs. En premier lieu, une partie de l'eau d'irrigation échappe au comptage. Ensuite, il existe de fortes distorsions entre les redevances payées pour l'alimentation en eau potable (14,4 c€/m3) et celle prévues pour les autres activités (0,06 c€/m3 pour l'alimentation d'un canal, 1 c€/m3 pour l'irrigationgravitaire ou le refroidissement industriel). Il existe par ailleurs de nombreuses exonérations : aquaculture, lutte antigel pour les cultures, géothermie, etc. Enfin, les restitutions au milieu ne sont pas prises en compte.
"Sur le bassin Adour Garonne, les prélèvements d'eau pour l'irrigation sont supérieurs de 50% à ceux pour l'eau potable mais contribuent financièrement six fois moins que ceux-ci au budget de l'agence de l'eau ! Pire, les différences de taux entre agences ne reflètent absolument pas les problèmes de rareté en eau de leurs territoires respectifs", s'indigne FNE. "Les taux sont plus faibles car c'est l'usage pour lequel la restitution est la plus forte", justifie Pascal Ferey pour la FNSEA, qui met également en avant les investissements faits par les irrigants dans des matériels plus performants et la difficulté à créer des retenues d'eau.
Même s'il a voté de façon globale sur le projet d'avis, le représentant du Medef, de son côté, reconnaît que la proposition sur la redevance prélèvement est la moins problématique et qu'un quasi-consensus s'est dégagé dans le groupe de travail sur cette question.
Un ajustement à la marge sera insuffisant
Quoiqu'il en soit, le report du vote sur ce projet d'avis inquiète les partisans d'une réforme en profondeur de la fiscalité car, comme le souligne le document, "l'ajustement à la marge de la fiscalité existante n'est pas suffisant". Une finalisation du dispositif dès 2015 permettrait "d'articuler l'ensemble des outils de politiques publiques (mesures agroenvironnementales de la nouvelle PAC, nouvelles redevances eau, Sdage révisés) afin de répondre aux objectifs de bon état des eaux", estime le projet d'avis.
Pourtant, en admettant même qu'elles soient adoptées, ces dispositions seraient trop tardives par rapport aux exigences de l'UE. Un récent rapport de l'Agence européenne de l'environnement montre en effet que les objectifs de bon état écologique des eaux d'ici 2015 seront difficilement atteignables.