Avec une démographie mondiale grandissante et des pratiques agricoles énergivores, la quantité d'eau nécessaire à l'alimentation mondiale augmentera de 70% à 90% d'ici à 2050. Le rapport (Une approche de l'eau et de la sécurité alimentaire et basée sur les services écosystémiques) publié lundi 22 août par le Programme des Nations-Unies pour l'environnement (Pnue) et l'Institut international de gestion de l'eau (Iwmi), rend compte de la situation actuelle : environ 1 milliard de personnes, majoritairement issues des pays en développement, sont en sous-nutrition, un cinquième de la population mondiale lutte encore pour l'accès à l'eau potable, et plus de 4.000 personnes (majoritairement des enfants de moins de 5 ans), meurent chaque jour de maladies associées au mauvais assainissement de l'eau.
Par ailleurs, de nombreuses régions à forte production agroalimentaire, comme les plaines du nord et de la Chine, le Pendjab en Inde ou le grand Ouest américain, ont atteint ou dépassé la limite de leurs ressources en eau. Sans compter que le changement climatique menace d'accentuer les problèmes de sécheresse et d'inondations : la production agricole de l'Afrique risque par exemple de chuter de 15% à 30% d'ici à la fin de ce siècle.
Des pensées innovantes en matière d'agriculture
"L'agriculture est à la fois une cause majeure et une des grandes victimes de la dégradation des écosystèmes", constate Eline Boelee de l'Iwmi, une des éditrices du rapport. A l'Iwmi, on reconnaît que, suivant les pratiques agricoles actuelles, il n'est pas évident que nous puissions continuer à augmenter les rendements. Le Pnue, l'Iwmi et leurs collaborateurs ont donc identifié de multiples possibilités d'utiliser la végétation arborée dans des exploitations de zones sèches afin d'augmenter la production alimentaire par hectare, tout en contribuant à améliorer l'écosystème environnant : lutte contre les gaz à effets de serre et alimentation des nappes d'eau souterraines. Planter des arbres et des haies éviterait aux agriculteurs le ruissellement et l'érosion du sol, et permettrait de retenir plus d'eau pour leurs cultures.
De même, l'amélioration de la gestion de l'eau et des sols dans les systèmes non irrigués de l'Afrique subsaharienne, aurait démontré sa capacité à inverser la dégradation des terres tout en doublant ou triplant les rendements des cultures.
Le rapport préconise aussi le développement de synergies entre agriculture, élevage, pêche et horticulture, ce qui devrait permettre d'économiser les ressources en eau. Parmi les multiples recommandations du Pnue, une meilleure coordination entre gouvernements, agriculteurs, populations locales et experts devrait permettre d'établir un équilibre entre les besoins de l'économie et ceux de l'environnement, et améliorer le sort des populations pauvres.
L'agriculture comme agroécosystème
Finalement, afin d'obtenir à la fois la sécurité alimentaire et la bonne santé de l'environnement, l'idée de fond du récent rapport est d'amener l'agriculture à s'insérer dans des "agroécosystèmes". D'après la définition de l'Unesco, l'agroécosystème est "une association dynamique comprenant les cultures, les pâturages, le bétail, d'autres espèces de flore et de faune, l'atmosphère, les sols et l'eau en interaction avec les usages qu'en font les hommes sur la base de leurs systèmes de valeurs et traditions". Cela correspond, d'après le Pnue, à une réorientation radicale des pratiques et des politiques, une transformation dans les formes d'interaction entre les exploitations agricoles et les systèmes naturels. De cette manière, les agroécosystèmes contribueraient à améliorer la qualité de l'eau et de l'air, et la biodiversité. Concrètement, il conviendrait alors de concilier productivité et conservation des ressources naturelles, d'après le triangle qui lie écosystème-eau-nourriture.
"L'Iwmi et ses partenaires élaborent un programme de recherches de plusieurs millions de dollars qui considèrera l'eau comme une partie intégrante des écosystèmes, afin d'aider à résoudre les problèmes de rareté d'eau et de dégradation des terres et de l'environnement", a ainsi expliqué David Molden, directeur général adjoint de la recherche au sein de l'Iwmi.
"A l'avenir, il est essentiel que nous fassions les choses autrement. Un changement fondamental doit impérativement intervenir dans la façon dont les sociétés modernes considèrent l‘eau et les écosystèmes, et dans la manière dont nous, les gens, interagissons avec ceux-ci", conclut-il.
D'après le rapport, des écosystèmes sains ne seraient pas seulement la solution à un rendement agricole plus durable, mais aussi plus productif, plus résistant face au changement climatique, et plus compatible avec d'autres écosystèmes.
Pour cela, les auteurs du rapport jugent nécessaire de changer la vision que nous avons de nos écosystèmes afin de passer de la protection à la gestion durable des paysages. Ils estiment que les ministres ont ici pour responsabilité de faire prendre conscience du rôle que jouent les écosystèmes dans la sécurité de l'eau et de l'alimentation, et d'encourager à une meilleure coopération entre les secteurs afin d'améliorer la durabilité et la productivité de systèmes d'approvisionnement en nourriture.