Dans son avis sur les risques sanitaires (1) de la réutilisation, après traitement, des eaux issues des douches, baignoires, lavabos, lave-linges pour des usages domestiques, l'Anses demeure, dans la lignée de ses précédents rapports, réservée. "Une évaluation des risques sanitaires liés à [la] pratique [de l'utilisation domestique des eaux grises traitées] et applicable à toutes les situations ne peut pas être conduite de manière robuste, souligne-t-elle. Chaque projet de réutilisation des eaux grises constitue un cas particulier, ce qui justifie un encadrement réglementaire à l'échelon national s'appuyant sur une démarche systématique d'analyse des risques". Selon l'agence, des paramètres trop variables sont à intégrer : la qualité des eaux grises (EG) à traiter, l'état de santé des occupants, les comportements, les filières de traitement, les modalités de l'exploitation des ouvrages, etc.
Non autorisée en France, pour l'instant
De rares retours d'expériences
Quelques installations ont pu expérimenter l'usage domestique des eaux grises. Ainsi selon l'avis de l'Anses, en 2006 une piscine de l'Essonne a recyclé les eaux issues des douches et du renouvellement de l'eau du bassin pour le lavage des voiries de la commune et l'arrosage des espaces verts. "La filière de valorisation de ces eaux a été très peu utilisée après la mise en service, puis inutilisée du fait de l'apparition de dysfonctionnements techniques. Un défaut d'entretien du dispositif de traitement aurait conduit à des ruptures et colmatages de canalisations entraînant un arrêt de la production d'eaux grises traités", selon l'Anses, qui a contacté le directeur technique de la piscine en décembre 2012. Autre dysfonctionnement : un manque d'entretien du réacteur à lampes à rayonnements UV. Selon l'avis de l'agence, le nouveau délégataire de la gestion des piscines devrait remettre en état le système pour une remise en service. Une seconde expérimentation a pu être relayée en Moselle : depuis septembre 2012, un hôtel (72 chambres) utilise l'eau issue des douches pour l'alimentation, après traitement, des chasses d'eaux des toilettes. L'ARS gère le suivi des résultats des analyses du contrôle de surveillance.
Trois usages envisageables à l'avenir
Dans son analyse des risques, elle recommande tout d'abord d'éviter les flux issus des cuisines qui présentent une forte charge en matières organiques et particulaires (notamment les graisses). Pour les autres sources, la réutilisation des eaux grises ne peut être aujourd'hui envisagée, sous conditions (2) , que pour trois usages, selon l'Anses : une alimentation de la chasse d'eau des toilettes, le lavage de surfaces extérieures (en excluant toutefois les nettoyeurs à haute pression) et l'arrosage des espaces verts. L'agence exclut son utilisation pour le lavage du linge avec rinçage avec de l'eau de consommation humaine car celle-ci implique la mise en place de deux robinets de soutirage d'eau de qualité différente, source de confusion. De la même manière, elle écarte de la liste des possibles le lavage des sols à l'intérieur du bâtiment du fait des risques sanitaires que comportent la présence d'un point de puisage dans l'habitat ainsi que la potentielle formation de contaminants chimiques après l'ajout d'un produit d'entretien. Elle met également l'accent sur l'exposition que pourrait entraîner cet usage pour les jeunes enfants qui jouent à même le sol. Est également à prohiber un usage pour l'alimentation des fontaines d'eaux décoratives et le refroidissement d'air.
L'Anses estime que dans tous les cas, la réutilisation nécessite obligatoirement un traitement qui doit assurer un niveau de risque sanitaire nul à faible. L'expertise de l'agence n'englobait pas de recommandations sur les traitements à mettre en place en fonction des usages. Elle considère toutefois que l'efficacité de ces derniers "est difficile à garantir dans la mesure où elle est extrêmement dépendante des activités et comportements des utilisateurs et de l'entretien de la filière". L'agence attire enfin l'attention sur le fait que les installations devront faire l'objet d'un suivi attentif et que l'information des occupants s'avère indispensable.
Comment gérer la construction d'un réseau supplémentaire ?
Une des problématiques majeures de la réutilisation des eaux grises dans les bâtiments selon l'Anses reste la gestion du réseau supplémentaire nécessaire pour sa distribution. Elle identifie des risques à différents niveaux : lors de sa mise en œuvre, son exploitation et son entretien, ou concernant la qualité de l'eau transportée. "Les retours d'expérience montrent que la séparation totale de réseaux ne peut être assurée à long terme et/ou à grande échelle dès lors qu'un double réseau existe, note l'agence. Les risques sanitaires liés à une connexion entre les réseaux d'EDCH et d'EGT constituent un point critique difficile à maîtriser". Elle recommande une identification ainsi qu'une distinction claires des deux réseaux d'eaux et des points de distribution.
Rappelant que l'usage de l'eau de pluie est interdit dans les établissements de santé ainsi que sociaux et médicaux-sociaux, d'hébergement de personnes âgées, les cabinets médicaux et dentaires, les laboratoires d'analyses de biologie médicale et les établissements de transfusion sanguine mais également les crèches ainsi que les écoles maternelles et élémentaires, l'Anses considère qu'il doit en être de même pour les eaux grises, celles-ci étant "plus contaminées que les eaux de pluie". Elle souligne également que par précaution, les personnes vulnérables (3) doivent éviter les usages conduisant à un contact avec les eaux grises traitées.
"Cette pratique doit donc être bien encadrée sur le plan réglementaire pour réduire autant que possible ces risques sanitaires, pointe l'Anses. Une analyse «bénéfices/risques» et une étude de la faisabilité technique et économique devraient précéder toute décision de réutiliser les EG pour s'assurer que le bilan global de l'opération sur le plan sanitaire et environnemental reste positif voire neutre".