Reconnaissance des paysages nocturnes comme patrimoine commun de la nation, devoir de protection de l'environnement nocturne, prévention des pollutions lumineuses pour les paysages, introduction de la pollution lumineuse sous-marine, gestion de la lumière sur les trames vertes et bleues… La loi Biodiversité, adoptée le 20 juillet dernier, mentionne dans différents articles la nécessaire lutte contre les nuisances lumineuses.
L'Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (Anpcen) a également salué l'inscription dans cette loi de "la solidarité écologique entre territoires". Selon l'Association, cela permettrait de considérer les conséquences des lumières émises, même au-delà du lieu d'émission.
Une nouvelle étape pour la prise en compte de ces impacts
Cette prise en compte de la pollution lumineuse dans la législation a nécessité un long cheminement. Ce n'est qu'à partir de 2009 que les lois Grenelle 1 et 2 ainsi que leurs décrets d'applications ont effectué un premier pas en limitant l'excès d'éclairage artificiel la nuit (dont l'éclairage nocturne des bureaux et commerces). Des orientations et la loi de transition énergétique sont ensuite venues intégrer la pollution lumineuse aux préoccupations des plans climat énergie territoriaux ainsi qu'à celles des continuités écologiques. Depuis avril 2015, une autre étape a été franchie : la vente de lampes à vapeur de mercure (ballons fluorescents gênant pour la faune), et de certaines lampes sodium haute pression de première génération et de faible efficacité est interdite.
La marge de progrès à accomplir reste toutefois importante. L'Anpcen soulignait en août dernier que le parc de l'éclairage public comptait désormais 11 millions de points lumineux soit une augmentation de 89% entre 1992 et 2012. Ce dernier est constitué de 2/3 de lampes à vapeur de sodium, un peu plus de 20% à vapeur de mercure, 10% aux halogénures métalliques et de quelques pourcents de LED (taux en augmentation), selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Parmi les axes d'amélioration, l'Anpcen a également pointé du doigt une évolution de la normalisation de l'éclairage public. L'association critique en effet les prescriptions de deux normes : l'une relative à l'éclairage des voies et espaces publics et l'autre sur les nuisances lumineuses. Sur le terrain, certaines collectivités ont toutefois lancé des initiatives pour réduire la pollution lumineuse et réaliser des économies d'énergie.
Vers une adaptation de l'éclairage urbain à la biodiversité
Ainsi, dans le cadre de son plan biodiversité, la ville de Paris a souhaité adapter l'éclairage urbain à la faune de ses espaces verts. Pour cela, elle s'est fixée comme objectif d'optimiser l'efficacité du faisceau lumineux en le dirigeant vers les allées, de réduire l'intensité lumineuse dans les parcs et jardins et de privilégier des solutions qui permettent de réduire le temps d'éclairage nocturne. Elle espère passer d'un éclairage de square de 1.508 heures/an à 453 heures (adapté aux besoins des personnels : ouverture, fermeture, surveillance).
Pour suivre les progrès réalisés, ses services ont élaboré des indicateurs du taux de lumière perdue mais également de pollution lumineuse en zone écologique. Ce dernier mesure la quantité de lumière émise vers le ciel (en lumen) multipliée par le temps de fonctionnement annuel de chaque source émettrice. "La mesure de l'impact de la biodiversité nécessite, et c'est peut-être là la difficulté essentielle, d'avoir une connaissance précise du patrimoine d'éclairage, pointe Patrick Duguet, chef de la section de l'éclairage public à la direction de la voirie et des déplacements. Le gros travail des exploitants a été de mettre à jour cette base patrimoniale, affiner la connaissance de chaque source lumineuse, reprendre les éléments techniques de manière à alimenter la construction de l'indicateur".
La ville de Paris a également souhaité expérimenter une zone de test "d'éclairage durable" afin de mesurer sur le terrain l'impact de l'éclairage sur la biodiversité et rédiger un guide de prescription de l'éclairage dans les parcs et jardins. Le square René Le Gall (13e arrondissement) a été choisi pour l'expérimentation notamment pour ses différents zones de végétation non homogènes (arbres, bosquets, zones de jeu, placettes, etc.). L'objectif : à partir d'un premier recensement et du choix d'espèces cibles, étudier le comportement de ces dernières en fonction de l'éclairage apporté. "Nous avons réfléchi à comment nous pouvions éclairer en fonction des différentes parties du square tout en prenant en compte également les besoins des usagers, précise Patrick Duguet. Dans certaines zones, nous allons mettre des candélabres à LED à flux dirigé et avec un bloc adapté à la forme de la zone à éclairer, de manière à mieux la couvrir et dans d'autres nous réalisons du jalonnement, avec des bornes qui permettent aux usagers de quitter le square et s'orienter vers les sorties".
Ils ont également réalisé une simulation en Europe d'un remplacement des lampes à sodium haute pression par des LED avec une luminosité de couleur blanche bleue (dont la température de couleurs est de 4000K). Ils ont constaté que ce type d'éclairage était plus polluant que le précédent équipement. "A moins que la lumière bleue soit limitée, une transition vers cette technologie pourrait plus que doubler la luminosité perçue par nos yeux dans le noir", estiment les auteurs.
Les luminaires implantés dans l'allée centrale sont quant à eux équipés d'un système à détection de présence. Les équipes testent également des bornes solaires LED à des endroits d'ensoleillement relatif pour comparer les performances. La ville de Paris expérimente également différentes températures de couleur (entre 3.000 kelvins (blanc chaud) et 4000 kelvins (blanc froid)) pour étudier l'impact sur la faune. L'expérimentation doit durer deux ans. "L'idée est d'être plus directif dans l'orientation de la lumière, réduire les flux ascensionnels, - et donc diminuer les luminaires boules - et focaliser vers les allées où il y a des usages, note Patrick Duguet. Selon ce dernier, Paris serait encore équipée de 20.500 équipements de ce type, à la fois sur la voirie et dans les jardins, soit 12% du parc. Près de la moitié des jardins seraient encore éclairés avec des ballons fluorescents. Ils sont aujourd'hui en cours de remplacement.
Quelle efficacité de l'extinction nocturne ?
Une équipe du Centre des sciences de la conservation (Cesco) s'est quant à elle penchée au cours d'une thèse sur l'efficacité de l'extinction nocturne pour limiter les effets négatifs de la pollution lumineuse. Dans le Parc naturel régional du Gâtinais français, les scientifiques ont comparé l'activité de différentes espèces de chauve-souris sur des sites éclairés toute la nuit, éclairés avec extinction entre minuit et 5h du matin, et d'autres non-éclairés. "Pour le suivi des chauves-souris sur les communes du parc, nous avons utilisé des détecteurs acoustiques car chaque espèce a sa propre signature acoustique : nous pouvons donc mesurer un taux d'activité par espèce, explique Clémentine Azam, alors doctorante au Centre d'Ecologie et des Science de la Conservation. Nous avons ensuite comparé les taux activités, pour identifier si l'extinction amène à une situation semblable à des sites non-éclairés". Les lampadaires de l'expérimentation étaient à sodium haute pression.
Les résultats montrent que certaines espèces comme la pipistrelle commune, sont opportunistes et viennent chasser sous les lampadaires les insectes attirés par la lumière. D'autres, comme les groupes des Murins et des Oreillards qui utilisent l'obscurité comme stratégie de survie pour se déplacer et se reproduire, fuient la lumière et sont donc plus actifs sur les sites avec extinction de la lumière. "Nous avons trouvé trois fois plus d'activité pour les espèces lucifuges sur des sites avec extinction que sur des sites éclairés toute la nuit, souligne Clémentine Azam. Et nous avons deux fois moins d'activité sur ces sites avec extinction que sur les sites noirs : cela est dû au fait que les espèces nocturnes sont principalement actives en début de nuit et souvent l'extinction intervient trop tard par rapport à leur rythme d'activité".
Pour les autres espèces (cinq sur les huit étudiés) le niveau d'activité est le même quelle que soit la configuration lumineuse. "Eteindre à 10h ou à 10h30 à l'échelle de tout un village ou d'une zone, ce n'est pas réaliste cela pourrait générer des conflit avec les habitants, pointe la scientifique. Nous pourrions envisager en revanche d'identifier les corridors écologiques et de faire l'extinction le plus tôt possible le long de ces espaces".