Comment éviter "le plus gros scandale administratif et financier de la Ve République", selon les mots de Bertrand Pancher, député de la Meuse et responsable du pôle écologie de l'UDI ? C'est à cette question qu'a tenté de répondre la mission d'information de l'Assemblée nationale, créée en novembre 2013, et qui présente les résultats de ses travaux ce mercredi 14 mai.
Malaise des parlementaires de la majorité
"J'ai envisagé de ne pas présenter le rapport", lâche Jean-Paul Chanteguet, président socialiste de la mission, estimant que le cahier des charges avait changé entre-temps. Un aveu qui révèle le malaise ressenti par le président de la commission du développement durable et de nombreux parlementaires de la majorité après les déclarations fracassantes de la ministre de l'Ecologie sur le sujet de l'écotaxe dès le lendemain de sa nomination. "L'écotaxe ne verra pas le jour au sens où le Gouvernement n'accepte pas que le mot « écologie » soit associé au mot « taxe »", a même déclaré Ségolène Royal mercredi dernier devant l'Assemblée nationale, après avoir pourtant précisé que l'exécutif attendait les résultats des missions parlementaires en cours pour prendre une décision.
La mission Chanteguet a malgré tout persévéré pour aboutir au vote d'un rapport de 200 pages, fruit d'un travail de six mois durant lequel les députés ont procédé à une trentaine d'auditions et se sont déplacés de Bruxelles à Bratislava. Mais si le principe de l'écotaxe avait été adopté à la quasi-unanimité dans le cadre de la loi Grenelle 1, le vote sur le rapport n'a recueilli que 18 voix contre 14. "Le rôle de la mission n'était pas pour nous de revoir les modalités d'application de l'écotaxe, mais de proposer des solutions alternatives à celle-ci", affirment quatre députés UMP bretons cosignataires d'un contre-rapport, qui réclament un arbitrage du Gouvernement entre les propositions de la mission jugées "négatives" et les pistes de réflexion de la ministre de l'Ecologie.
Une redevance d'usage de l'infrastructure routière
Les conclusions du rapport adopté ? Il faut maintenir ce dispositif qui repose sur des principes "simples et incontestables". Celui, en premier lieu, de l'utilisateur-payeur qui permet d'en finir avec la gratuité du réseau routier pour les transporteurs terrestres. Celui ensuite du pollueur-payeur qui envoie un signal-prix aux acteurs économiques pour se tourner vers des camions moins polluants et moins émetteurs de gaz à effet de serre. "Enfin, cette écotaxe présente le troisième avantage de procurer à l'Etat des ressources financières, qui lui permettent justement de financer, au-delà du nécessaire entretien des routes, le développement d'infrastructures alternatives du transport durable", justifie Jean-Paul Chanteguet.
La mission propose en revanche 13 pistes d'évolutions du dispositif en vue de le remettre sur de bons rails à l'horizon du 1er janvier 2015, en prévoyant toutefois une "marche à blanc" de quatre mois afin de tester le dispositif. Quelles sont ces pistes ?
D'abord de le renommer "éco-redevance". Prenant le contre-pied de Ségolène Royal qui avait déclaré que l'écotaxe était une taxe mais pas écologique, Jean-Paul Chanteguet affirme qu'il ne s'agit pas d'un impôt mais d'une "redevance d'usage de l'infrastructure routière", dont la vocation est en partie écologique.
Création d'une franchise kilométrique mensuelle
Au-delà de cette proposition qui va "bien au-delà du symbolique", la mesure phare est la création d'une franchise kilométrique mensuelle de 400 km exprimée en euros, qui serait calculée sur la base d'un taux kilométrique modulé en fonction du poids des camions et de leurs émissions polluantes. En d'autres termes, les camions effectuant de petits trajets, tout comme ceux qui transportent en compte propre, paieront moins. De plus, la mission préconise de maintenir les avantages qui avaient été accordés aux régions Bretagne, Aquitaine et Midi-Pyrénées par le dispositif suspendu. Au final, "un transporteur breton pourrait avec un véhicule de 1ère catégorie (…) et respectant la norme Euro VI (…) parcourir gratuitement près de 5.000 km durant un mois", vante Jean-Paul Chanteguet.
"Pour rendre acceptable le dispositif dans toute une série de cas particuliers, nous avons prévu des aménagements et des exonérations pour le transport combiné, les entreprises de déménagement, les messageries express ou encore les véhicules de collection, de formation ou disposant d'une immatriculation provisoire", ajoute le parlementaire.
Le rapport propose également d'autoriser les transporteurs en compte propre à faire figurer en "pied de facture" les montants d'écoredevance réellement payés. Dans le cadre de la loi du 28 mai 2013 relative aux infrastructures de transport, seuls les transporteurs pour compte d'autrui pouvaient appliquer un taux forfaitaire de majoration, déconnecté du montant de l'écotaxe acquittée.
Rendre à l'Etat le contrôle des concessions autoroutières
La mission préconise également de relever le taux de la redevance sur des axes subissant une forte congestion, comme la RN 10, ou sur certains itinéraires routiers parallèles au futur canal Seine-Nord Europe. L'objectif ? Favoriser la lutte contre la pollution et encourager le report modal.
Autre piste pour accompagner la mise en place de l'écoredevance : la création d'un fonds de modernisation afin de pousser les transporteurs à remplacer leurs véhicules diesels anciens par des véhicules à gaz ou électriques.
Enfin, réagissant à la proposition de Ségolène Royal de ponctionner le bénéfice des sociétés d'autoroutes, Jean-Paul Chanteguet estime plus opportun "d'engager une opération de rachat des concessions autoroutières afin que l'Etat en reprenne le contrôle". Seul hic ? Le prix, la mesure étant évaluée entre 15 et 20 milliards d'euros. "La France en a les moyens", estime le député qui met en regard de ce chiffre les recettes des péages d'un montant de 8 milliards par an, ainsi que les 190 milliards empruntés par l'Etat français sur les marchés financiers en 2014. Il annonce du même coup la mise en place d'une nouvelle mission d'information parlementaire chargée d'étudier cette question.
Pour le reste, la balle est maintenant dans le camp de l'exécutif. "Le chemin est étroit et raide", reconnaît le président de la mission mais "il s'agit d'un problème de volonté politique", ajoute-t-il. A la question de savoir si la question de l'écotaxe ne devait pas être arbitrée par le Président de la République compte tenu de sa difficulté, Jean-Paul Chanteguet a répondu : "très certainement".