"Il faut faire très attention au vocabulaire. Je ne veux pas que l'écologie soit une punition et un prétexte pour faire un impôt qui n'a rien à voir avec une réorientation des comportements vers davantage d'écologie. En aucun cas je n'accepterais que le mot écologie soit accolé au mot impôt", a déclaré Ségolène Royal, lors de son audition par la mission d'information sur l'écotaxe poids lourds, le 30 avril. Selon elle, le dispositif envisagé au moment de la suspension de l'écotaxe est très éloigné d'une fiscalité écologique : les chargeurs n'ayant pas l'alternative de basculer vers le fret, très peu développé en France, les taxer reviendrait donc à instaurer un impôt nouveau sur les prestations de transports.
La ministre a donné l'exemple de la Bretagne, où l'écotaxe, évaluée à 45 M€ après l'abattement de 50% dont devait bénéficier la région, revenait à une majoration uniforme de la facture des chargeurs de 3,7%, sans prise en compte des comportements réels des chargeurs. "C'est tout à fait légitime ce qui s'est passé en Bretagne, ça doit nous servir d'élément de réflexion", a-t-elle estimé.
Mais la ministre de l'Ecologie, après ses nombreuses déclarations sur l'écotaxe, se veut prudente : "L'état d'esprit qui m'anime est la recherche collective de solutions. Nous héritons d'une situation complexe, il faut dégager des solutions de consensus". Elle a indiqué que la décision serait prise probablement en juin, après la remise des travaux des deux commissions parlementaires, qui doivent intervenir le 14 mai pour la mission d'information et le 27 mai pour la mission d'enquête sénatoriale sur le contrat Ecomouv.
Interpellée par de nombreux députés sur le manque à gagner pour le financement des infrastructures de transports, lié à un abandon de l'écotaxe, Ségolène Royal a assuré qu'elle réfléchissait à des alternatives pouvant mobiliser "les ressources nécessaires" au financement des projets sur les territoires et du volet mobilité des contrats de plan Etats régions. Elle n'a cependant pas chiffré les revenus générés par ces solutions alternatives, alors qu'un abandon de l'écotaxe entraînerait une perte de revenus de 1,2 milliard d'euros par an.
De plus, ces alternatives déplaisent à un certains nombres de députés, à l'instar de Bertrand Pancher, pour qui le rôle de la mission parlementaire était d'aménager l'écotaxe et non de l'abandonner. "La ministre s'est à nouveau lancée dans une série de propositions visant à trouver une alternative à l'écotaxe, propositions qui, nous ne sommes pas dupes, le temps d'être mises en discussion et étudiées demanderaient encore des mois de travail", a dénoncé le député de la Meuse (UDI) dans un communiqué.
Une Eurovignette pour taxer les camions en transit
La ministre a précisé sa proposition de taxer les camions "venus de l'étrangers", et non pas seulement les camions étrangers. Selon elle, c'est le principal problème des territoires transfrontaliers. D'ailleurs, les députés de la mission favorables à un maintien de l'écotaxe sont pour beaucoup originaires d'Alsace, de Rhône-Alpes ou du Pays basque.
"Certains pays ont adopté l'Eurovignette", a indiqué Ségolène Royal, estimant qu'il fallait réfléchir à la mise en place de péages de transit en France. Cette solution permettrait, selon elle, de régler le problème aux frontières, tout en épargnant les zones périphériques, comme la Bretagne.
La Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède ont effectivement mis en place une taxe pour les camions de plus de 12 tonnes, utilisant les réseaux routiers (autoroutes et voies rapides à péage). Celle-ci varie de 750 € à 1.550 € par an, selon la classe d'émissions du véhicule et son nombre d'essieux. L'Allemagne faisait payer l'Eurovignette jusqu'en 2005, date où elle a mis en place un dispositif proche de l'écotaxe française (LKW Maut).
Reporter le trafic poids lourd sur les autoroutes
En complément, la ministre voudrait régler la question de l'évitement des autoroutes par les poids lourds, lorsqu'il existe des itinéraires routiers parallèles. L'objectif serait de déporter, pour des raisons de sécurité, de pollution ou autre, le trafic routier vers les autoroutes. Ce dispositif permettrait "d'avoir le même résultat que l'écoredevance, sans payer les portiques". La ministre s'est montrée critique sur cette solution technique, jugée coûteuse et loin d'être "la plus récente" des innovations technologiques.
Selon elle, l'Etat et les collectivités pourraient récupérer une part du chiffre d'affaires des autoroutes, générée par ce report de trafic. Le député Hervé Mariton, dans un rapport remis en 2011, avait estimé à 400 millions d'euros par an le report du trafic poids lourd vers les autoroutes.
Ségolène Royal a chargé son conseiller, Francis Rol Tanguy, d'ouvrir des discussions avec les sociétés d'autoroute. "Il faut trouver un système gagnant-gagnant", a indiqué la ministre.
Enfin, celle-ci a écarté, "sous réserve d'investigations", l'idée d'une régionalisation de l'écotaxe, jugeant l'idée "un peu dangereuse : il faut une disposition équitable et généralisée".
Ecomouv : des préjudices subis par l'Etat
Sur le contrat Ecomouv, la ministre a réaffirmé vouloir régler la question à l'amiable, deux conciliateurs ayant été nommés respectivement par la société et l'Etat. Devant la menace d'un contentieux, chiffré à 800M€ en faveur d'Ecomouv, la ministre avance des préjudices subis par l'Etat, quant aux retards pris pour le déploiement du dispositif et la question de la performance technique de l'installation, aux coûts de fonctionnement "extrêmement élevés".