L'élection d'un président du Conseil européen en provenance de Pologne, un pays qui freine systématiquement les politiques climatiques de l'Union européenne représente un "défi pour les négociations climatiques" a reconnu un haut fonctionnaire de la Commission interrogé par EurActiv.fr.
Une crainte qui risque d'être partagée au niveau international à l'approche de Paris Climat 2015, et qui n'est pas infondée. Le président du Conseil européen a pour mission d'organiser les rencontres régulières et extraordinaires de chefs d'État européens, et d'en préparer l'ordre du jour, comme le prévoit le règlement du Conseil.
Précautions diplomatiques
La nomination de Donald Tusk, Premier ministre polonais, s'est donc assortie de précautions diplomatiques savamment orchestrées. Ainsi, selon nos informations, la France et l'Allemagne ont insisté en marge du Conseil européen du 30 août pour que Herman van Rampuy, le président en exercice du Conseil, s'engage pour que la position européenne sur le Paquet climat 2030 soit fixée lors du prochain conseil européen, les 23 et 24 octobre prochain à Bruxelles.
Le Paquet Climat 2030, proposé par la Commission l'hiver dernier, reste en effet un document de travail, puisqu'il n'a pas été discuté au niveau des chefs d'État. La position européenne, qui devait en théorie être déterminée au printemps dernier, a pris du retard, alors que la crise ukrainienne accapare les sommets européens depuis le début de l'année 2014.
"Tout a été fait effectivement pour que le nouveau président du Conseil européen n'ait pas le dossier climatique en haut de sa pile. Sa crédibilité serait rapidement mise en question" assure un spécialiste. La Conférence des Parties qu'il a organisée à Varsovie en 2013 s'est révélée un fiasco, la Pologne produit 90 % de son électricité à l'aide de charbon et ses émissions de CO2 par habitant ne cessent de progresser. Un tableau de chasse qui fait désordre pour représenter l'UE, qui se targue d'une position avant-gardiste sur le climat.
Union énergétique contre engagement climatique
C'est en effet la Pologne qui traîne des pieds pour signer l'engagement commun de l'Union européenne pour la prochaine étape : quelles émissions de CO2 réduire d'ici 2030, puis quelle trajectoire adopter pour 2050. Or le succès des négociations est lié à la détermination de l'UE, qui a toujours été moteur sur le sujet. Le retard pris sur ce sujet n'est déjà pas un atout ; il y a désormais urgence à définir une position commune, même si la position de l'UE comptera moins que celles des États-Unis et de la Chine en ce qui concerne Paris Climat 2015.
De son côté, la Pologne réclame la mise en place d'une Union énergétique européenne, une sorte de centrale d'achat commune pour le gaz comme l'était la CECA, la Communauté européenne du charbon et de l'acier, en 1954.
"C'est vrai que nous avons soutenu la candidature de Donald Tusk, et que nous soutenons son papier sur l'Union énergétique européenne, mais c'est justement en contrepartie de son engagement climatique. La position de la Pologne est en train de s'infléchir sur le sujet, en échange de compensations" assure une source diplomatique française.
La Pologne se serait engagée à signer un objectif ambitieux de réduction des émissions de CO2 pour 2030, soit -40 %, si elle obtient des concessions par ailleurs. Ce que l'ambassadeur de France en Pologne résumait fin août aout en ces termes : "la Pologne est prête à monter dans le train du changement climatique, mais dans le wagon fumeurs".
"La Pologne et les pays de l'Est en général ont toujours eu une position tranchée sur le sujet climat et n'ont pas souhaité prendre le virage des renouvelables" constate Aurélie Faure, chercheur à l'Ifri. C'est sur ce sujet que la Pologne pourrait obtenir des "concessions" de la part du reste de l'UE. En échange de son feu vert pour l'objectif global de réduction de 40 % des émissions de CO2 d'ici 2030, le pays pourrait obtenir une contrainte allégée sur la part d'énergie renouvelable de son propre mix énergétique. La Commission a proposé que l'UE adopte l'objectif de 27 % d'énergies renouvelables d'ici 2030, mais cette contrainte ne sera pas traduite pays par pays par un plan de suivi contraignant. Dès lors, certains pays peuvent déraper de l'objectif.
Une stratégie à plusieurs bandes
"Au niveau européen, on constate que les pays qui sont aux responsabilités sont plus enclins à faire des concessions" assure un diplomate, qui évoque la présidence britannique en 2005. A cette date, le "chèque britannique" avait été ajusté en raison de l'élargissement à l'Est, ce que le Royaume-Uni avec accepté. Une position partagée par Pierre Cannet, responsable Climat et Énergie au WWF, qui estime que l'élection de Donald Tusk appelle une réaction contrastée. "Il devait gérer des lobbys puissants dans son pays, et au poste de président du Conseil européen il devra en gérer d'autres. Si les Etats sont déterminés sur le climat, les sujets seront mis à l'ordre du jour sans problème. Mais attention à ne pas se cacher derrière un homme, l'UE a un fonctionnement complexe où chaque Etat a sa part de responsabilité" prévient le spécialiste du climat.
Des achats communautaires de gaz en question
La question de l'Union énergétique européenne, qui est posée sur la table, et sur laquelle compte Donald Tusk, sera sans doute un corollaire important d'un accord sur le climat. Donald Tusk avait établi 6 propositions dont la principale repose sur des "achats communautaires de gaz". Une hypothèse destinée à éviter la menace russe de couper le robinet du gaz aux pays de l'Est, mais dont la concrétisation semble compliquée. "Une centrale d'achat de gaz commune à l'UE risque d'être en contradiction totale avec les règles du commerce international et l'OMC. Donc il s'agit plus d'une menace politique que d'un concept qui aurait des conséquences concrètes sur des contrats qui relèvent du droit privé" avertit Aurélie Faure.
Le fait que les postes les plus importants aient principalement échu à des pays de l'UE largement dépendants du gaz russe, comme l'Allemagne qui conserve le poste de président du Parlement européen, l'Italie qui occupe celui de haut représentant aux affaires étrangères et de la Pologne à celui de président du Conseil européen, risque en tout cas de favoriser le sujet de l'Union énergétique, plus que celui du climat, dans les 5 prochaines années.