Jusqu'au déclenchement des hostilités en Ukraine, le débat sur les politiques à mener en matière d'énergies renouvelables (ENR), lors du prochain quinquennat, était plutôt resté dans l'ombre. Mais la brutale prise de conscience de la dépendance de la France à l'égard des énergies fossiles offre au sujet l'opportunité d'un timide retour. Si la majorité des candidats à la présidentielle s'inscrivent dans la perspective d'un maximum d'indépendance et de la neutralité carbone en 2050, les avis divergent sur la manière d'y parvenir.
Les tenants du 100 %
Parmi les compétiteurs, trois se sont fixé l'objectif d'un mix énergétique 100 % renouvelable en 2050 : Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Anne Hidalgo. « Un scénario réaliste à condition d'investir », jugeait mardi 22 mars, lors d'une interview sur la chaîne Pipole de Twitch, Delphine Batho, la porte-parole du candidat Europe Écologie Les Verts (EELV), tout en regrettant le « énergies renouvelables bashing » actuel. Avec quelle méthode ? Anne Hildago envisage de rédiger ce « pacte énergétique » durant les premiers mois de sa présidence, quand ses concurrents présentent, pour leur part, un cap beaucoup plus clair : doubler l'éolien, en favorisant l'éolien en mer, porter le photovoltaïque à 144 GW, encourager la biomasse et le biogaz pour le candidat de La France insoumise (LFI) par exemple, installer 340 km2 de panneaux photovoltaïques sur les grandes toitures comme celles des supermarchés ou des entrepôts, en évitant ainsi la concurrence des sols, notamment agricoles et naturels, pour Yannick Jadot. L'un et l'autre jugent, par ailleurs, intéressant le potentiel des énergies marines, à étudier par le biais de démonstrateurs.
Les « moitié-moitié »
Trois autres candidats privilégient le mix ENR-nucléaire : Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Fabien Roussel. Le candidat-président, qui veut faire de la France « la première grande nation indépendante aux énergies fossiles », envisage de multiplier par dix le nombre de panneaux solaires et par deux le volume d'éoliennes terrestres, en complément de nouveaux réacteurs nucléaires. Il prévoit aussi de lancer 50 parcs éoliens offshore et un plan « massif » pour le biogaz. Afin de faciliter ces déploiements, il promet d'affecter plus de personnel à ces dossiers et d'alléger les procédures administratives en passant par le vote d'une « loi d'exception ». Il envisage aussi la possibilité de transférer des appels d'offres sur les énergies renouvelables aux conseils régionaux.
Par « pragmatisme », Valérie Pécresse se refuse à tout chiffrage, mais elle supprimera le plafond à 50 % pour le nucléaire dans le mix énergétique de 2035. Elle compte aussi autoriser la création de zones interdites aux éoliennes. Quant à Fabien Roussel, il semble considérer le renouvelable comme un complément du « pilotable », autrement dit du nucléaire et de l'hydraulique. Dans la dizaine d'années à venir, dans l'attente de la mise en service de nouveaux réacteurs, « forcément, il va falloir du renouvelable », expliquait son représentant, Amar Bellal, lui aussi sur Twitch, estimant sa part à environ 40 %. Comme la candidate Les Républicains (LR), ce dernier se prononce plutôt en faveur de l'éolien flottant, « loin des côtes », mais contrairement à elle, il se montre très réservé vis-à-vis du gaz vert, susceptible, selon lui, de mobiliser indûment des terres.
Les antirenouvelables
Enfin, une dernière poignée de candidats, très favorables au nucléaire, affichent clairement leur rejet des renouvelables. Éric Zemmour envisage de « rationaliser » leur développement, « qui ne doit se faire au détriment ni de l'équilibre des écosystèmes, ni de la beauté de notre environnement, ni de nos finances publiques ». Marine Le Pen propose de « rendre aux ménages les 5 milliards de subventions versées notamment aux éoliennes », d'arrêter les nouveaux projets éoliens et même de démanteler progressivement les parcs existants. Pour Nicolas Dupont-Aignan, qui prévoit de remplacer la loi de transition énergétique par un seul plan pluriannuel de l'énergie, les soutiens aux renouvelables doivent être « réorientés » vers l'isolation thermique des bâtiments et vers le développement du nucléaire.
Quant à Jean Lassalle, s'il ne dédaigne pas le potentiel des énergies marines et celui du solaire, à condition de « vérifier sa viabilité et sa rentabilité », il se montre lui aussi franchement antiéolien, annonçant son arrêt et l'interdiction des projets non validés par les maires.
Chaleur pour tous
En termes de chaleur renouvelable, Yannick Jadot se montre le plus ambitieux, puisqu'il propose de tripler le Fond chaleur pour le porter à un milliard d'euros par an, tout en prévoyant 10 milliards pour aider les ménages à changer de mode de chauffage ou de transport. Valérie Pécresse lui octroierait 500 millions d'euros. Fabien Roussel, de son côté, préconise le remplacement de toutes les chaudières au fioul et au gaz par des pompes à chaleur ou du chauffage au bois et souhaite promouvoir les chauffe-eaux solaires, « très efficaces. »
La sobriété au programme
Pour la plupart des candidats, la première des priorités est cependant de favoriser les économies d'énergie, évaluées entre 20 et 30 %, voire 40 % pour LREM, qui souhaite malgré tout « conserver le confort et le niveau de qualité de vie qui est le nôtre ». Yannick Jadot comme Jean-Luc Mélenchon préconisent notamment de mettre fin à certaines pratiques « absurdes », comme la multiplication des panneaux publicitaires numériques, « symboles du gâchis énergétique », selon la porte-parole du candidat EELV, Delphine Batho, quitte à devoir réglementer. Tous mettent aussi l'accent sur la rénovation énergétique des bâtiments, avec une prise en charge pour les ménages les plus modestes : renforcée pour Valérie Pécresse, totale pour le candidat EELV. Décidemment technophile, la candidate LR pourrait aussi prévoir des allègements de facture pour ceux qui se dotent d'outils de contrôle, selon son représentant Yann Wehrling.
Acceptabilité et participation
Chacun des candidats admet l'importance de la question de l'acceptabilité et prône plus de pédagogie et de discussion. « Il faut expliquer que l'on ne peut pas faire autrement », souligne le porte-parole de Fabien Roussel. Delphine Batho insiste aussi sur une nécessaire « équité territoriale » et Yann Wehrling sur un retour financier plus évident pour les habitants. Yannick Jadot mise par ailleurs sur une mobilisation citoyenne, via une participation des habitants dans les projets à hauteur de 15 %, avec une aide de l'État pour les plus modestes.
Le retour des nationalisations
Un dernier sujet émerge lors de cette campagne : celui du statut de l'énergie, que beaucoup voudraient voir revenir dans le giron de l'État par le biais d'une renationalisation. C'est le cas de Jean Lassalle, de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud, mais également de Jean-Luc Mélenchon et de Fabien Roussel. Pour ce dernier, le renouvelable doit se développer grâce à une filière industrielle 100 % publique, au sein de laquelle EDF deviendrait un Epic (établissement public à caractère industriel et commercial), appuyé sur des banques nationalisées. Un moyen de garantir les investissements de long terme nécessaires au développement de cette filière. Actuellement, « on privatise les profits et on socialise les pertes », remarque Amar Bellal, son porte-parole.