Les rapports « Futurs énergétiques 2050 » de RTE et « Transition(s) 2050 » de l'Agence de la transition écologique (Ademe), parus en automne 2021, ne seront pas les seuls sur lesquels se basera, cette année, l'élaboration des différents volets de la prochaine Stratégie française énergie-climat (Sfec). Le gestionnaire du transport de l'électricité haute tension, RTE, et le gestionnaire de la distribution de l'électricité basse et moyenne tension (sur 95 % du territoire métropolitain), Enedis, ont récemment présenté deux autres documents en la matière.
Une hausse de la consommation électrique en 2035
Le 2 mars dernier, RTE a présenté son nouveau bilan prévisionnel pluriannuel de l'équilibre offre-demande de l'électricité. Ce rapport d'analyse prospective, le premier depuis mars 2021, chiffre les perspectives de consommation nationale d'électricité à l'horizon 2035. Présenté actuellement dans sa version « provisoire », il fait l'objet d'un appel à contributions auprès des acteurs concernés jusqu'au 28 mars. Le document définitif, enrichi ou non, paraîtra durant l'été prochain.
Ces prévisions haussières, même à l'égard de la trajectoire dite de « sobriété », interpellent certains observateurs. L'association Agir pour l'environnement, par exemple, craint même un conflit d'intérêts. « La filiale d'EDF surestime aujourd'hui les prévisions de consommation pour justifier la construction de nouveaux réacteurs nucléaires inutiles, déclare son directeur général, Stéphen Kerckhove, en référence à l'actionnaire majoritaire (50,1 %) de RTE. Elle devrait s'astreindre à élaborer des scénarios de sobriété énergétique induisant une baisse de la consommation électrique hexagonale plutôt que de construire des hypothèses pour les besoins de la cause atomique. » RTE, quant à elle, se défend que, d'après ses travaux de modélisation (notamment portant sur l'horizon 2050), « la trajectoire d'évolution de la consommation électrique nécessaire à l'atteinte de la neutralité carbone devrait être résolument orientée à la hausse, et ce quel que soit le scénario envisagé, l'effet haussier de l'électrification des usages étant nettement supérieur à l'effet baissier de l'efficacité énergétique ».
Un réseau davantage soumis à la charge des énergies renouvelables
De leur côté, les experts d'Enedis misent peu ou prou sur la même vision. Confrontée pour la première fois à l'exercice prévisionnel en application de la directive européenne de 2019 sur l'organisation du marché de l'électricité, l'autre filiale d'EDF (à 100 %, celle-ci) a dévoilé, ce lundi 13 mars, le document préliminaire de son premier plan de développement de réseau (ou PDR) pour les années à venir. Focalisé quant à lui vers l'horizon 2027-2032, ce rapport sera, lui aussi, soumis à une consultation publique, encadrée par un décret « en cours de préparation », puis publié définitivement en accord avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE) « dans les prochains mois ».
Les projections d'Enedis s'appuient sur un unique scénario de référence se basant sur la trajectoire « de référence » de RTE, visant une consommation d'électricité de 645 TWh d'ici à 2050, et sur un mix électrique « N1 », prolongeant les réacteurs nucléaires existants et lançant la construction de huit nouveaux EPR2. Elles s'intéressent davantage au déploiement des énergies renouvelables terrestres – dont le gestionnaire se charge du raccordement d'environ 90 % de toutes les installations dans l'Hexagone – qu'à l'évolution de la consommation globale à venir. À cet égard, le PDR préliminaire d'Enedis penche pour 27 gigawatts (GW) en 2027, puis 42 GW d'énergie solaire photovoltaïque en 2032, 23 GW d'éolien terrestre en 2027, puis 28 GW en 2032, ainsi que « plusieurs millions de points de recharge » pour satisfaire les 13 millions de véhicules électriques ou hybrides rechargeables attendus d'ici à 2032 (au lieu de 800 000, fin 2022).
« La majorité des grands parcs renouvelables sont installés en zones rurales alors que la majorité de la consommation provient des grands villes, remarque Hervé Champenois, directeur technique d'Enedis, en écho au nombre grandissant d'installations photovoltaïques sur la toiture des hangars agricoles. Notre défi est de redimensionner le réseau et de transporter cette électricité en la redispatchant sur le réseau de moyenne et basse tension. Pour cela, il va nous falloir notamment augmenter massivement nos commandes de postes en basse tension : passer de 12 000 commandes annuelles en 2022 à 20 000 en 2023. » Dans cette optique, le PDR d'Enedis comporte un plan d'investissement (comprenant le raccordement, le renforcement et le renouvellement du réseau ainsi que sa modernisation numérique) sur plusieurs années : 96 milliards d'euros au total d'ici à 2040. Concrètement, cela signifie d'élever le budget du gestionnaire, actuellement chiffré à 4,4 milliards d'euros par an, à 5,5 milliards en moyenne chaque année. Pour Enedis, il s'agit pour ses parties prenantes (collectivités territoriales et partenaires industriels) d'anticiper au mieux la « deuxième électrification de la France, après celle du début du XXe siècle ».