« Tous les animaux sont en Bretagne et toutes les céréales sont dans le bassin parisien, en caricaturant à peine », expliquait Gilles Billen, directeur de recherche au CNRS, dans une interview à Actu-Environnement en avril 2022. La carte des élevages industriels que Greenpeace publie ce mardi 16 mai corrobore cette déclaration.
L'ONG a analysé la base de données des installations classées (ICPE) que lui a transmise le ministère de la Transition écologique en janvier 2023. Une base de données qui contenait des anomalies, indique-t-elle, portant notamment sur les indications géographiques des installations ou le nombre d'animaux, et qui a nécessité des traitements correctifs. Malgré ces difficultés, Greenpeace a établi une carte de France des « fermes-usines » qui correspondent aux élevages soumis au régime d'autorisation au titre des ICPE, soit les élevages de plus de 2 000 emplacements pour les porcs de production (+ 30 kg), 40 000 emplacements pour les volailles, 400 vaches laitières et 800 animaux pour les élevages de veaux de boucherie et/ou bovins à l'engraissement.
« Plus les fermes-usines sont nombreuses à l'échelle d'un territoire, plus la pression environnementale y est importante. La simplification extrême des productions animales (l'hyperspécialisation des régions) et l'apparition de monocultures sont à l'origine de graves dégradations environnementales et sociales, au profit d'une poignée d'agro-industriels », explique l'ONG.
L'emblématique porcherie de Landunvez
L'exemple de l'élevage industriel Avel Vor, à Landunvez (Finistère), est emblématique de ce système, explique l'ONG. Cet établissement, situé dans une commune de 1 500 habitants, produit chaque année 26 000 porcs charcutiers. Greenpeace dénonce les dégradations de l'environnement qu'une telle concentration animale occasionne : production de plus de 18 000 m3 de lisier chaque année ; dégradation de la qualité des eaux ; fermeture de plages connaissant des phénomènes d'algues vertes ; émissions de 33 tonnes d'ammoniac dans l'environnement chaque année ; nuisances dans le bourg situé à moins de 500 mètres, etc.
« Depuis près de dix ans, nos associations, aujourd'hui regroupées en collectif, se battent pour faire la lumière sur les sources de ces multiples pollutions, explique l'association Eau et rivières de Bretagne. Mais, malgré nos victoires sur le plan juridique (deux annulations obtenues), le préfet préfère fermer les yeux. Il a, malgré des avis négatifs, régularisé trois fois cette mégaporcherie (2008, 2013, 2016). En novembre dernier, il a aussi autorisé, a posteriori, l'agrandissement de la ferme usine. » Ces régularisations seraient facilitées selon les associations par la position de l'exploitant, par ailleurs président de la coopérative Evel'up, deuxième producteur de porcs français, avec 830 éleveurs adhérents, et président de la section porcine de la fédération des coopératives agricoles françaises.
En novembre 2022, le collectif contre la mégaporcherie de Landunvez a déposé une plainte contre X pour mise en danger de la vie et de la santé d'autrui. Le pôle régional spécialisé en matière d'atteintes à l'environnement a ouvert une enquête préliminaire en janvier dernier.
Planifier une meilleure répartition de l'élevage
« Au-delà des conditions ignobles subies par un grand nombre d'animaux, l'accumulation des fermes-usines sur le territoire français a des conséquences environnementales, sociales et sanitaires désastreuses. Pollution de l'air, de l'eau, des sols, développement des algues vertes, déforestation, antibiorésistance, zoonose ou encore disparition du monde paysan : autant d'éléments qui doivent nous alerter et nous pousser à agir », alerte Greenpeace.
Les dérèglements climatiques pourraient aussi très vite rappeler les limites du modèle intensif. « Le changement climatique, ce n'est pas seulement des vagues de chaleur. Ce sont aussi des tensions importantes sur les ressources alimentaires des animaux, ainsi que sur l'environnement sanitaire des élevages, avec possiblement des maladies à vecteurs, émergentes ou réémergentes. Il vaut donc mieux ne pas avoir tous les élevages dans la même zone et les déconcentrer. Avec la fièvre porcine africaine, si un élevage est touché, il faut abattre tous les animaux dans un périmètre donné. En Bretagne, ce serait catastrophique pour l'ensemble de la filière », a confié un chercheur de l'Inrae à Actu-Environnement sous couvert d'anonymat.
La concentration des élevages industriels dans une même région appelle à « planifier une meilleure répartition de l'élevage sur tout le territoire », estime Greenpeace. Pour favoriser une déspécialisation, l'ONG réclame la mise en place de systèmes de quotas et de minima par filière et par région, couplés avec des incitations financières. Mais l'ONG souhaite aller plus loin en remettant en cause le modèle même de l'élevage intensif, comme elle l'avait déjà fait dans le passé.
« Il est crucial d'amorcer une sortie de l'élevage industriel en instaurant un moratoire sur tous les nouveaux projets de création ou d'extension de fermes-usines en France », explique Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne agriculture chez Greenpeace. Cette sortie ne signifie pas pour autant une remise en cause de l'activité d'élevage en tant que telle par l'ONG.
« Il faut aujourd'hui remettre de l'agronomie dans nos systèmes agricoles en favorisant les systèmes de polyculture-élevage, explique Sandy Olivar Calvo. La diversification est la clé pour des systèmes résilients, c'est pourquoi le Gouvernement doit subventionner l'élevage écologique et soutenir davantage la production de fruits et légumes frais biologiques, tout en développant la production de légumes secs pour l'alimentation humaine. »