Le député socialiste François Brottes (Isère) a déposé mercredi 5 septembre sa proposition de loi créant des tarifs progressifs de l'énergie. Ce texte qui se veut "écologique et social" constitue "la première pierre" d'un chantier plus vaste : celui de la transition énergétique. Compte tenu de la complexité de sa mise en œuvre, la tarification progressive ne sera pas effective avant la fin 2013 "en étant optimiste", selon les mots mêmes du Président de la commission des affaires économiques.
Inciter à la sobriété énergétique
"Je ferai adopter une nouvelle tarification progressive de l'eau, de l'électricité et du gaz afin de garantir l'accès de tous à des biens essentiels et d'inciter à une consommation responsable. Elle permettra de faire sortir de la précarité énergétique 8 millions de français", déclarait François Hollande durant la campagne présidentielle.
C'est cette promesse électorale que la proposition de loi tente de mettre en œuvre, quel que soit le fournisseur, l'offre ou l'organisation tarifaire. Ce texte "engage la transition énergétique par la réduction de l'énergie consommée par les ménages, en les incitant à la sobriété énergétique et à améliorer l'isolation des logements", déclare son initiateur, qui rappelle que des économies d'énergie massives, de l'ordre de -25 à -30%, peuvent être atteintes dans l'habitat, ceci dans un contexte de "hausse prévisible des prix de l'énergie".
Quel est donc le mécanisme proposé pour atteindre de tels résultats ? Il s'agit d'instaurer "une tarification progressive en fonction des niveaux de consommation des logements". Le périmètre du dispositif sera limité dans un premier temps aux énergies "en réseaux", c'est-à-dire l'électricité, le gaz et la chaleur, qui desservent les résidences principales de particuliers, soit 80% des logements. L'extension aux autres sources d'énergie, à l'eau et au secteur tertiaire est prévue dans un deuxième temps.
Un forfait de base, c'est-à-dire un volume de kilowattheures, sera personnalisé pour chaque ménage à l'aide de trois critères : le nombre de personnes occupant le logement, sa localisation et le mode de chauffage utilisé. Ces renseignements seront collectés par le biais des feuilles d'imposition qui devront à l'avenir prendre en compte ce dernier élément, jusque-là inconnu du fisc, ce qui explique en partie les délais de mise en œuvre du dispositif.
Une tarification à trois niveaux sera appliquée correspondant à différents niveaux de consommation d'énergie : basique, de confort et de gaspillage. La loi prévoira une fourchette de tarification, laissant au Gouvernement le soin de fixer chaque année le montant exact par voie réglementaire. "Le tarif de base serait de l'ordre de -3 à -10% par rapport à la tarification actuelle", précise François Brottes. Les deux autres niveaux seront des malus compensant ces réductions, le système étant censé s'équilibrer et rester neutre pour les opérateurs.
Le "bonus-malus" sera inscrit sur les factures des clients. Les ménages surconsommateurs, qui se verront donc appliquer un malus important, "seront mis en relation avec un réseau local d'aide aux travaux d'efficacité énergétique". L'attention sera portée sur la nature des appareils électriques, leur usage et surtout la qualité de l'isolation thermique des logements, précise le député.
La question sociale
On touche là le principal talon d'Achille du dispositif car les "passoires énergétiques" concernent en priorité les foyers les plus modestes. Ce qui fait dire à France Nature Environnement que cette tarification progressive "doit s'accompagner de mesures structurelles facilitant la rénovation thermique des bâtiments (…). Ces habitants disposant de moyens financiers limités, ils n'engageront pas les travaux nécessaires". De la même façon, le CLER et le Réseau Action Climat (RAC) demandent un accompagnement des ménages pour consommer moins d'énergie, en s'appuyant sur les Espaces info énergies copilotés par les collectivités locales et l'Ademe, ainsi que des aides financières qui "doivent prendre la forme d'un bouclier énergétique". Tandis que la Fondation Nicolas Hulot demande au Gouvernement de travailler en urgence "sur l'ouverture d'un droit à la rénovation énergétique pour les plus précaires".
Se pose aussi la question des logements en location. "Dans plus de 40% des cas, relèvent le CLER et le RAC, c'est un locataire qui paie les factures d'énergie alors que c'est le propriétaire qui réalise les investissements dans la performance du logement. Il faut donc résoudre cette équation en permettant un partage des charges entre locataire et propriétaire, et en rendant obligatoire la rénovation des passoires thermiques comme vient de le faire l'Angleterre".
Les mesures d'accompagnement restent à préciser. Mais, indique François Brottes, le texte prévoit d'ores et déjà d'élargir le périmètre des ayants-droits aux tarifs sociaux de l'énergie de 600.000 aujourd'hui à 4 millions de ménages (pour un coût non précisé) et généralise l'interdiction de couper l'électricité, le gaz et la chaleur pendant l'hiver. Quant à la question des biens en locations, le député évoque la possibilité de "déduire du loyer une partie du malus frappant le locataire", afin d'inciter les propriétaires à engager les travaux de rénovation énergétique qui s'imposent. Ce qui peut poser question, dans la mesure où un occupant surconsommateur pourrait voir son loyer diminuer, ce qui irait à l'encontre de l'objectif incitatif affiché.
Examinée en commission les 18 et 19 septembre, puis discutée en séance plénière le 26 septembre, la proposition de loi pourrait être adoptée fin octobre ou début novembre. Nul doute cependant que la complexité de mise en œuvre du dispositif suscitera de nombreux débats.