Sans l'adhésion des populations concernées, le développement des énergies renouvelables (ENR) risque d'être considérablement ralenti. Mais comment faire accepter les projets d'infrastructures nouvelles – et leurs inévitables nuisances – à des populations habituées à l'invisibilité des énergies produites ailleurs ? Comment convaincre les populations rurales d'avaliser ces modifications des équilibres entre les territoires ? Comment dépasser les points de vue individuels pour aller vers l'intérêt collectif ?
C'est à cette question que répond l'avis « Acceptabilité des nouvelles infrastructures de transition énergétique » du Conseil économique, social et environnemental (Cese), saisi par le Premier ministre en octobre dernier. Présenté et adopté mercredi 23 mars, ce document est le fruit de plusieurs mois d'enquêtes et d'auditions : auprès des acteurs de terrain et des collectivités locales, comme des pouvoirs publics, des experts des sciences sociales ou des énergéticiens.
L'importance du débat
Ses responsables se sont surtout intéressés à l'éolien terrestre, qui cumule le plus grand nombre de motifs de blocage, mais leurs conclusions s'appliquent, selon eux, à d'autres énergies. Les corapporteurs du document s'attachent d'abord à démonter quelques a priori. Ils notent ainsi que cette notion d'acceptabilité va bien plus loin que le syndrome « pas à côté de chez moi » auquel on la réduit parfois. Elle s'inscrit dans un processus participatif « qui commence à se forger bien en amont d'un projet précis, quand reste possible une négociation sur sa légitimité, ses modalités », explique Claire Bordenave, corapporteuse du rapport. Avec l'alternative de ne pas réaliser le projet… La légitimité des propositions et la répartition des efforts sont, par ailleurs, toujours questionnées.
ENR et écologie : même combat ?
Autre observation : la solution des ENR est imaginée comme une écologie de proximité. Or, ces dernières présentent souvent des caractéristiques industrielles par leur taille imposante, leur nombre, leur emprise foncière ou le trafic incessant de camions, pour alimenter un gros méthaniseur par exemple. D'où les impacts de ces infrastructures sur les paysages et la biodiversité, ainsi que les craintes générées pour la santé. Elles se concentrent aussi en milieu rural alors que la consommation énergétique y est moins importante qu'en zone urbaine. Par manque de filières françaises et faute d'une fiscalité adaptée, les retombées économiques sur les territoires concernés sont peu visibles. Enfin, les projets se développent au gré des décisions des développeurs, sans concertation nationale et sans garantie que la somme des projets répondra aux objectifs nationaux.
Une cohérence nationale
Cette programmation devrait également intégrer le développement des filières industrielles had hoc, soutenues par des clauses dans les appels d'offres favorisant les emplois locaux. Elle pourrait aussi donner un aperçu de nos futurs consommations et modes de vie. « Il faut donc prendre le temps d'un grand débat national sur la stratégie française énergie-climat », analyse Claire Bordenave. Une mesure indispensable, selon le Cese, pour clarifier la nature d'intérêt général des projets ainsi que leurs retombées pour les ménages, les régions et les acteurs économiques, afin de se prémunir en amont contre leurs principaux impacts et pour éviter une remise en cause de la trajectoire globale lors des concertations locales.
L'implication du terrain
En s'appuyant sur des diagnostics sociaux, environnementaux, paysagers et patrimoniaux, ce programme a en effet vocation à être décliné en objectifs par les conseils régionaux, puis par les collectivités. Cette démarche pourra se mettre en place lors de concertations locales volontaires Climat-Energie-Paysages, avec les élus, les populations et les autres parties prenantes. Ces objectifs devraient ensuite, selon le Cese, s'intégrer à la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), comme le prévoyait le gouvernement pour les stratégies régionales. Mais ils sont aussi l'occasion de trancher entre plus ou moins d'ENR, plus ou moins de sobriété, de déterminer quels terrains pourraient accueillir des infrastructures, avec des impacts réduits par exemple, ou quels moyens d'appropriation locale choisir : énergie citoyenne, société d'économie mixte… Cette seconde démarche, ascendante, ne peut se passer de concertations préalables avec les porteurs de projets, en amont, au moment où il reste des marges de manœuvre, et avec une représentation équitable de tous les publics. Pour les projets de plus grande ampleur, le Cese recommande que l'avis de l'Autorité environnementale soit disponible à ce stade de la concertation. « C'est souvent le défaut de concertation qui crispe les riverains ou les associations et amène des contentieux à rallonge », remarque Nicolas Richard, rapporteur de cet avis.
Un projet juste et équitable
Enfin, un accompagnement socio-économique est nécessaire pour assurer un partage équitable des retombées et des efforts entre les individus, ainsi qu'une compensation des déséquilibres entre les territoires induits par ces infrastructures. Une nécessité d'autant plus importante que celles-ci vont se multiplier. À ce titre, la fiscalité liée aux projets gagnerait à être revue. Une partie des taxes perçues sur les énergies renouvelables pourrait, par exemple, contribuer à la lutte contre la précarité énergétique. « Cela reviendrait à revoir le contrat social implicite aujourd'hui entre l'urbain, le périurbain et le milieu rural », souligne Nicolas Richard. « La transition ne peut pas se traduire par une croissance des inégalités, prévient Claire Bordenave. Elle doit être au contraire l'occasion de les réduire. »