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AccueilJoël HoudetMarée noire du Golfe du Mexique : de l'évaluation des dommages aux perspectives d'extension de la comptabilité

Marée noire du Golfe du Mexique : de l'évaluation des dommages aux perspectives d'extension de la comptabilité

Joël Houdet, Président de Synergiz, Docteur en Sciences de Gestion (AgroParisTech) et consultant Bilan Biodiversité, nous propose un avis d'expert sur les enjeux comptables de la marée noire du Golfe du Mexique.

Publié le 18/01/2011

Le 2 novembre dernier, le groupe BP a publié son compte de résultat pour le troisième trimestre de l'année 2010. Celui-ci inclut US$ 39,9 milliards de charges liées à la marée noire du Golfe du Mexique, dont US$ 11,6 milliards de dépenses effectivement encourues à ce jour. Traitées comme exceptionnelles dans le compte de résultat de l'entreprise, elles ont été déduites du résultat imposable. Via la vente d'actifs américains au cours des 3,5 prochaines années, BP mettra progressivement 20 milliards d'US$ dans un compte dédié qui devrait lui permettre de satisfaire l'ensemble des réclamations légitimes. Logiquement, les distributions de dividendes aux actionnaires ont été annulées cette année…

Toutefois, les charges comptabilisées n'incluent ni amendes ni pénalités, exceptées celles relevant d'une responsabilité stricte démontrée dans le cadre du Clean Water Act (jusqu'à US$ 4 300 par baril de pétrole en cas de négligence grave avérée) ; BP soutenant qu'il ne lui était pas possible d'estimer avec rigueur ces montants éventuels. En d'autres termes, les 20 milliards d'US$ bloqués sur un compte dédié ne correspondent pas à son chapeau de responsabilité financière. Selon les propres dires de l'entreprise, le total des dépenses encourues dépendra de beaucoup de facteurs : la date de l'arrêt complet des écoulements d'hydrocarbures, les volumes d'hydrocarbures libérés, le temps requis pour les efforts de nettoyage et de restauration (à entreprendre sur une échelle sans précédent), et, bien entendu, le nombre, la nature et les montants des réclamations.

Les difficultés méthodologiques liées à l'évaluation des dommages écologiques

Ces incertitudes sont intimement liées aux difficultés rencontrées dans la quantification des dommages écologiques et économiques dus directement et indirectement à une marée noire. Celle du Golfe du Mexique aura affecté au moins 20 catégories de services écosystémiques, parmi lesquels on peut mentionner :

  • Les services d'approvisionnement comme les pêcheries commerciales de Louisiane (environ US$ 2,5 milliards par an) ;

  • Le service de régulation du climat de marais côtiers et écosystèmes aquatiques séquestrant du carbone ;

  • Le service de protection contre les ouragans des marécages côtiers ;

  • Les services culturels, récréatifs et spirituels des écosystèmes affectés.

Une étude récente (Batker et al., 20101) a estimé à US$ 12 - 47 milliards par an la valeur économique de l'ensemble des services écosystémiques associés au delta de fleuve du Mississippi. Si on suppose que celle-ci sera la région la plus affectée et qu'il y aura entre 10 et 50% de réduction des niveaux de disponibilité des services écosystémiques (SE) en raison de la marée noire, la valeur des SE perdus s'élèverait à entre US$ 1,2 et 23,5 milliards par an pour une durée indéfinie (jusqu'au rétablissement des écosystèmes), soit entre US$ 34 et 670 milliards en valeur actualisée (à un taux d'intérêt de 3,5% ; Costanza et al., 20102).

Dans la pratique toutefois, les représentants du gouvernement américain trouveront difficile de mesurer rigoureusement les SE perdus ; les fondements méthodologiques et les résultats de telles études étant souvent fortement contestés par les parties prenantes (ex. manque de précision). Comme alternative, ceux-ci se sont traditionnellement concentrés sur une approche d'évaluation des dommages bien plus pragmatique : l'approche par les coûts de remplacement où le but n'est autre que de remplacer ce qui est perdu via la mesure de leurs coûts de restauration effectifs. En d'autres termes, en sollicitant des offres de restauration et en mobilisant les coûts obtenus dans les négociations portant sur l'évaluation des dommages, ils évitent d'avoir à mesurer le bien-être perdu.

Cependant, les dommages écologiques ne sont pas tous aisément visibles, prévisibles et remédiables ; d'où des risques de surévaluation ou de sous-évaluation des coûts de restauration. Dès lors que les méthodes d'évaluation des services écosystémiques atteindront un stade de maturité, les plaintifs et tribunaux auront très probablement à leur disposition des outils complémentaires puissants pour évaluer les responsabilités et dommages liés aux écosystèmes marins. Pour l'instant, l'ampleur des dépenses encourues par BP demeurera essentiellement contingente aux résultats de négociations politiques plutôt que déterminée par des calculs impliquant l'ensemble des parties intéressées. L'absence de divulgation des méthodologies d'évaluation des charges environnementales liées à la marée noire du Golfe du Mexique par BP ne peut qu'attester de cette réalité.

Quel rôle de la comptabilité d'entreprise pour une meilleure régulation des risques et accidents écologiques ?

La marée noire du Deepwater Horizon va probablement conduire à une régulation plus stricte des activités de forage en pleine mer aux Etats-Unis, aussi bien en matière de contrôle des exploitations en cours et qu'en termes d'autorisation d'accès à de nouveaux gisements d'hydrocarbures. Cela soulève nombre de questions en matière de responsabilité sociale des entreprises aux activités risquées ; car celles-ci opèrent toutes au sein ou près d'écosystèmes sensibles, marins, aquatiques ou terrestres. Quel rôle pourrait jouer la comptabilité des entreprises dans un tel contexte ?

En France, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 (L.225-102-1 du Code de commerce) portant engagement national pour l'environnement (loi Grenelle II) remplacera l'article 116 de la loi NRE de 2001 dès l'exercice 2011. Elle prescrit :

  • La remise à plat des informations sociales et environnementales demandées,

  • L'élargissement des obligations de reporting aux entreprises non cotées et à un périmètre « groupe » et

  • L'instauration d'une vérification par un « tiers indépendant» dès l'exercice 2011 pour les entreprises cotées (2016 pour les autres).

Or, les prescriptions ne vont pas assez loin en matière de biodiversité et de services écosystémiques (BSE) : (1) il n'y a pas de prescription d'indicateurs permettant de prendre en compte des dynamiques territoriales réelles, dans l'espace et le temps (risques - impacts, voire dépendances aux services écosystémiques) et (2) les personnes morales de droit public (administrations, collectivités territoriales) ne sont toujours pas concernées à ce jour.

Aussi, on ne peut que souligner l'importance d'une extension de la comptabilité générale à une comptabilité écosystémique (reporting intégré). Si systématiser la réalisation d'un Bilan Biodiversité à l'ensemble des organisations s'avère prématuré à ce stade, toute personne morale, de droit privé, public ou mixte, avec des activités présentant des risques écologiques, pourrait à court terme rendre compte dans leurs rapports annuels :

  • De l'état des écosystèmes dans lesquels l'organisation a des actifs contrôlés directement ou exploités par des sous-traitants ou partenaires dans le cadre de « joint-ventures » (données écologiques spatialisées pour chaque actif).

  • Des éléments socio-écosystémiques détruits et dégradés (ex. habitats, populations d'espèces animales et végétales) suite à des accidents causés directement ou indirectement par l'entreprise ;

  • Des (méthodes de) calculs d'évaluation des dommages économiques et écologiques pour tous les accidents causés directement ou indirectement par l'organisation, en particulier pour ceux impliquant la comptabilisation de charges ou de passifs environnementaux ;

  • des (méthodes de) calculs d'équivalences écologiques utilisés pour justifier les mesures compensatoires réalisées suite à une étude d'impacts ;

  • de l'efficacité écologique et de l'efficience socio-économique des mesures de mitigation des impacts et de restauration des dommages mises en œuvre.

Face à la mauvaise image des entreprises en matière de biodiversité (voir sondage IFOP 2010 « baromètre entreprise et biodiversité »), l'enjeu n'est autre que de redonner confiance à leurs parties prenantes, au premier rang desquelles l'on retrouve les consommateurs.

Avis d'expert proposé par Joël Houdet, Président de Synergiz, Docteur en Sciences de Gestion.


Pour plus d'informations :

Houdet, J., 2010. Entreprises, biodiversité et services écosystémiques. Quelles interactions et stratégies? Quelles comptabilités? Thèse de Doctorat, Sciences de Gestion, AgroParisTech - ABIES, 342p.

Houdet, J., Germaneau, C., 2010. La marée noire du Golfe du Mexique: conséquences financières pour BP, méthodes d'évaluation des dommages et perspectives d'extension de la comptabilité. Etude de cas 2010-01, Synergiz, 5p.

Houdet, J., Trommetter, M., Weber, J., 2010. Rendre compte des dépendances et impacts en matière de biodiversité et de services écosystémiques. Vers la standardisation d'un Bilan Biodiversité. Orée, 16p.

1 Batker, D.P., de la Torre, I., Costanza, R., Swedeen, P., Day, J.W., Jr., Boumans, R., Bagstad, K., 2010. Gaining ground - Wetlands, hurricanes and the economy: the value of restoring the Mississippi River Delta. Earth Economics Tacoma, WA.
2 Costanza, R., Batker, D., Day, J., Feagin, R.A., Martinez, M.L., Roman, J., 2010. The Perfect Spill: Solutions for Averting the Next Deepwater Horizon. Accessed on October 25
http://www.thesolutionsjournal.com/node/629

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