En 2010, près de 2,2 millions de salariés, soit dix pour cent d'entre eux, ont été exposés à "au moins un produit chimique cancérogène au cours de la dernière semaine travaillée", selon l'enquête Sumer (surveillance médicale des expositions aux risques professionnels) pilotée par la Direction de l'animation de la recherche (Dares) du ministère du Travail, publiée le 10 septembre.
Cette enquête, menée avec la Direction générale du travail (DGT), s'est déroulée de janvier 2009 à avril 2010. Elle a porté sur près de 48.000 personnes représentatives de près de 22 millions de salariés. Le champ de l'édition 2010 couvre 92% des salariés de France métropolitaine et de La Réunion, interrogés par 2.400 médecins du travail.
Les ouvriers de la maintenance et du BTP les plus exposés
Les ouvriers représentent plus des deux tiers des salariés ayant été les plus exposés à un cancérogène chimique, au cours de la semaine précédent l'enquête Sumer. Les secteurs les plus concernés sont la maintenance (43% des salariés exposés), le bâtiment et les travaux publics (BTP, 32%) et la mécanique-travail des métaux (31%). Viennent ensuite le domaine des "matériaux souples, bois, industries graphiques" (30%), l'artisanat (29%), les industries de process (20%), l'agriculture (13,5%) et le tertiaire (6,4%).
L'exposition à au moins trois
Des expositions plus fréquentes pour les jeunes
Au total, l'enquête recense près de 3,4 millions de situations d'exposition au cours de la dernière semaine travaillée, les salariés "pouvant être exposés à plusieurs produits chimiques cancérogènes". Dans près de la moitié des cas (46%), les expositions sont ponctuelles et ont duré moins de 2 heures mais pour 23% des expositions, la durée a dépassé 10 heures par semaine.
Dans 72% des situations, l'exposition aux produits est jugée d'intensité "très faible ou faible" par les médecins du travail. Reste que pour 8% des situations, ces derniers ont relevé une exposition "forte"- autour de 50% de la valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) - et "très forte" dépassant la VLEP pour 2 % des situations. Cette intensité forte ou très forte "est plus souvent signalée" dans les domaines professionnels "matériaux souples, bois, industries graphiques" (20% des cas) et "industries de process" (14 %) ainsi que pour les apprentis et les stagiaires (14%).
"D'où l'importance de réduire l'exposition au niveau le plus bas possible", préviennent les enquêteurs. D'autant que les jeunes travailleurs restent en effet les plus exposés (16% des moins de 25 ans) à ces cancérogènes contre 7% des plus de 50 ans. 27% des apprentis et des stagiaires travaillent dans deux des cinq domaines les plus exposants, le BTP et la mécanique-travail des métaux. Or, les activités confiées aux apprentis et aux nouveaux embauchés, comme le nettoyage de zones empoussiérées ou le dégraissage de pièces, sont "souvent à risque".
Entre 2003 et 2010, la proportion de salariés exposés à un produit cancérogène a globalement baissé passant de 13 à 10% (voir encart), à l'exception des apprentis et des stagiaires, ajoute l'étude. L'exposition de ces derniers a augmenté dans les secteurs de la construction et de l'industrie manufacturière et est restée stable dans les autres secteurs.
Ainsi, le nombre de salariés exposés au trichloréthylène a été quasiment divisé par trois entre 2003 et 2010 grâce à l'utilisation de produits de substitution tels que les produits lessiviels comme dégraissants, relève l'enquête.
Une protection des salariés "insuffisante"
Des axes de prévention "prioritaires" devraient donc "se dégager vis-à-vis des jeunes salariés", préconisent les médecins du travail, en pointant des protections collectives et/ou individuelles encore insuffisantes. "Cette forte exposition des plus jeunes est un élément majeur à prendre en compte afin d'améliorer la prévention dès le début de la carrière du salarié et préserver sa santé tout au long de son activité professionnelle". Or, les médecins du travail ont signalé l'absence d'une protection collective dans 35% des situations d'exposition.
Si une ventilation générale des locaux était toutefois présente dans 19% des cas, elle est "peu efficace" pour les produits chimiques cancérogènes, puisqu'elle admet un niveau de pollution résiduelle sur les lieux de travail, déplore l'enquête. Ainsi, dans le domaine du BTP, 57% des salariés exposés n'avaient aucune protection collective pour au moins un produit en 2010. Ils étaient 37% dans le domaine de la maintenance.
Concernant les protections individuelles mises à la disposition des salariés (protection respiratoire, cutanée, oculaire), les données de l'enquête ne permettent pas de savoir si ces protections sont adaptées aux situations d'exposition "ni si elles sont effectivement utilisées par les salariés".
Un rapport de préfiguration du troisième Plan Cancer, remis fin août au ministère de la Santé, recommande l'étude du risque particulier de cancer d'origine professionnelle dans les populations défavorisées. "Le nombre reconnu de cancers d'origine professionnelle est encore très faible, particulièrement pour les cancers non liés à l'amiante", relève par ailleurs le rapport. Sur les 1.773 cancers reconnus en 2010 (en baisse de 3,1% par rapport à 2009), 1.473 résultent d'expositions anciennes à l'amiante, mais seulement 74 aux poussières de bois, 63 aux huiles et goudrons et 41 au benzène. Dans un avis publié le 11 septembre, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a également pointé les risques cancérogènes des travailleurs exposés aux liants bitumineux et à leurs émissions.