
Présidente de la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs (CNCE)
Actu-Environnement : Les évolutions législatives récentes en matière d'enquête publique sont-elles satisfaisantes ?
Marie-Céline Battesti : Non car, petit à petit, on assiste à une réduction du champ de l'enquête publique, que ce soit mécaniquement, avec la rehausse réglementaire des seuils de soumission des projets à évaluation environnementale, ou, pour certaines procédures, par le remplacement de l'enquête publique par une participation du public par voie électronique (PPVE). On recensait plus de 10 000 enquêtes il y a environ dix ans, puis 6 000 enquêtes avant le Covid. On est maintenant plutôt à 4 000 enquêtes par an. La loi Asap, par exemple, a permis d'entériner la PPVE en remplacement de l'enquête publique pour certains projets.
AE : La loi d'accélération des énergies renouvelables en cours de promulgation va-t-elle dans le même sens ?
MCB : C'est un peu différent. Elle réduit à quinze jours le délai de remise du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur à l'issue de l'enquête. Ce délai peut être prolongé à nouveau de quinze jours, mais cela envoie un mauvais signal en induisant que le délai d'un mois n'est pas nécessaire au commissaire enquêteur pour élaborer son rapport et ses conclusions. Pourtant, à la fin de l'enquête, il doit remettre le procès-verbal de synthèse sous huit jours et la réponse du porteur de projet est attendue sous quinze jours. Mécaniquement, on est déjà sur trois semaines. Cela risque soit de court-circuiter le système de contradictoire avec le porteur de projet, soit de contraindre à demander systématiquement un dépassement de délai. Cette phase importante se retrouve automatiquement réduite, voire "shuntée", alors qu'elle constitue un élément essentiel d'amélioration des projets pour une recherche de meilleure adéquation au territoire.
AE : Sentez-vous toujours cette volonté de réduire le champ de l'enquête publique ?
MCB : En tout cas, de réduire, si ce n'est son champ, sa portée ou les moyens donnés au commissaire enquêteur, dont font partie les délais. On entend que chacun doit prendre sa part dans l'accélération des procédures. Mais nous étions favorables à une désignation plus précoce du commissaire enquêteur plutôt que de venir rogner la fin de l'étape qui est essentielle dans l'amélioration des projets et dans le dialogue avec ceux qui les portent. Là, je ne comprends pas trop l'intérêt de la disposition. Elle paraît même contre-productive pour le porteur de projet.
AE : Que vous inspire l'affaire du commissaire enquêteur Gabriel Ullmann radié par la commission d'aptitude, après avoir rendu un avis défavorable, puis réhabilité par la justice ?
MCB : C'est un cas unique à ce stade. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup de radiations, mais plutôt des non-renouvellements. La justice est en tout cas venue réaffirmer l'indépendance des commissaires enquêteurs. Concernant les commissions d'aptitude, la CNCE avait fait des propositions d'amélioration. C'est l'occasion de les faire remonter une nouvelle fois auprès du Gouvernement. Ce peut être, par exemple, l'introduction d'un membre de la MRAe ou la réduction de la prépondérance des services de l'État. Il n'y a pas de référentiel national en la matière. Les commissaires doivent répondre aux critères d'objectivité, d'impartialité et de diligence. Mais ils doivent avoir d'autres qualités : la capacité à savoir utiliser les outils informatiques, à organiser des réunions d'information et d'échanges sur des sujets complexes, des capacités d'écoute de tous publics, et aussi d'empathie. Il y a sûrement des critères à travailler sur le plan national pour mieux décrire l'ensemble des compétences requises. À la CNCE, on retrouve ensuite les commissaires enquêteurs en formation. Un bon recrutement, c'est aussi plus de capacité à les former.
AE : Faut-il faire évoluer le profil des commissaires enquêteurs et, si oui, comment ?
MCB : Sur la Corse, par exemple, on a une parité hommes-femmes dans les listes d'aptitude, des personnes en activité et d'autres non, des profils divers représentatifs de la société. Nous cherchons à attirer des profils qui vont permettre d'enrichir la communauté. C'est important, notamment lorsqu'on travaille en commissions, d'avoir des regards croisés. Historiquement, il y avait beaucoup d'anciens fonctionnaires car ce sont des personnes qui ont déjà rencontré l'enquête à travers un parcours administratif. Nous cherchons à rendre plus attractives ces missions qui sont pour l'heure assez mal connues. On recherche un vivier de personnes qui ont des aptitudes à traiter des dossiers de plus en plus complexes et il ne faut rien s'interdire en termes de représentation de la société.
AE : Ne craignez-vous pas qu'une hétérogénéité des profils s'accompagne d'un traitement hétérogène des enquêtes ?
MCB : Non, car, lorsqu'on est adhérent à la CNCE, on partage des valeurs communes et on se forme. On donne un minimum de clés pour que les sujets puissent être appréhendés de la même façon. On n'est jamais tout seul. La CNCE tend vers la création d'un socle commun et partagé de fondamentaux qui permettent d'exercer au mieux ces fonctions. Par ailleurs, si des conclusions apparaissent insuffisamment motivées, elles peuvent être reprises à la demande du tribunal administratif.
AE : Connaissez-vous la proportion d'avis négatifs rendus par les commissaires ?
MCB : Il n'existe pas de statistiques nationales, mais on y travaille. C'est un vrai sujet car on entend tout et n'importe quoi : que personne ne vient en enquête publique ou que les commissaires enquêteurs ne donnent jamais d'avis défavorables. On a monté avec l'Ademe un observatoire de l'éolien terrestre. Dans ce cadre, on a examiné une centaine de rapports sur les trois dernières années. On constate 30 % d'avis défavorables en 2021. On a vu que l'enquête publique était un vrai indicateur des politiques publiques et de ce qui se passait dans les territoires. Elle est la forme de participation de l'extrême proximité car on est souvent sur le lieu même du projet.
AE : Reste-t-elle malgré tout adaptée à la démocratie environnementale ? N'est-elle pas concurrencée par d'autres formes de consultations du public ?
MCB : Non, elle n'est pas concurrencée. D'autres formes de participation (débats publics, concertations) sont venues en amont de l'enquête publique. Elle a besoin d'être réinscrite dans ce continuum de participation. Elle doit être le point d'orgue de la participation du public sur un projet. C'est le travail que l'on a engagé avec la Commission nationale du débat public (CNDP). En se mettant à la place du public, on a cherché à savoir comment mieux travailler entre garants et commissaires enquêteurs pour que le public sache, à chaque instant, ce que l'on attend de lui, à quelle phase du projet il se situe, qu'il puisse avoir la vision des propositions qu'il a faites plus en amont du processus et de la prise en compte, ou non, de ces propositions par le maître d'ouvrage.
AE : L'enquête publique n'est-elle pas dépassée par les réseaux sociaux ?
MCB : Il n'y a pas de participation sur les réseaux sociaux au sens du code de l'environnement. Mais on sent qu'il y a une envie de la population de construire des choses. L'enquête publique a maintenant presque systématiquement un volet numérique. On voit sur les registres dématérialisés d'enquêtes que les gens ont besoin de se répondre, qu'ils ont besoin de spontanéité. C'est pourquoi on essaie d'insuffler d'autres pratiques dans le réseau des commissaires enquêteurs. On leur dit « Sortez de la mairie, allez vers le public, proposez des permanences dans d'autres lieux, à d'autres horaires ». Depuis le Covid, on a mis en pratique des visio-permanences et des permanences téléphoniques. L'idée est de s'adapter aux attentes du public, de diversifier les lieux et les moyens de consultation. Le commissaire enquêteur a un vrai rôle à jouer dans l'animation des temps d'échange. À la fin, il couche sur le papier l'ensemble des arguments pour et contre. Il y a de l'argumentation et une synthèse, qui mettent le maître d'ouvrage devant les défauts de son projet et les contre-propositions du public. Ce sont des documents de travail pour le maître d'ouvrage, mais aussi pour l'autorité décisionnaire. Et c'est aussi un document de référence pour le public. C'est la différence avec une discussion tous azimuts sur les réseaux sociaux.
AE : Le fait que l'autorité décisionnaire ne soit pas liée par les conclusions du commissaire enquêteur ne crée-t-il pas de la frustration ?
MCB : On préconise de rendre plus systématique la reddition des comptes. C'est-à-dire d'organiser une réunion après enquête pour dire comment la participation du public a été prise en compte. Aujourd'hui, le code de l'environnement le prévoit comme une possibilité seulement et non comme une obligation pour l'autorité décisionnaire. Aujourd'hui, il reste très difficile pour le public de suivre ce qui se passe après l'enquête.
AE : Plus globalement, que souhaitez-vous pour l'enquête publique ?
MCB : On espère, après plusieurs rapports qui demandaient sa suppression, que l'avis du commissaire enquêteur soit au contraire davantage pris en compte. Il va aussi falloir donner au public les moyens de contribuer aux différentes procédures de participation. Les conventions citoyennes sont très à la mode, mais la partie formation, souvent longue, peut introduire un biais. On peut plutôt mettre à sa disposition des ressources comme des instances ou des lieux de rencontre. Dans certains territoires qui font l'objet de renouvellement urbain, par exemple, des associations se montent pour aider les habitants à se doter d'un architecte, ou avoir un lieu de réunion pour construire ensemble. On a aujourd'hui l'impression que la participation est partout sauf que les sujets que l'on traite en concertation, en débat ou en enquête, sont des sujets qui ont un impact particulièrement important sur nos lieux de vie. Il est important que ces moments de participation ne soient pas noyés.