« La loi Asap permettra d'accélérer les implantations et les extensions industrielles sans rien changer aux réglementations qui nous protègent », assure Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie. De nombreux observateurs n'en sont pas convaincus. C'est le cas de la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs (CNCE) qui réclame le retrait pur et simple d'un article visant à réduire le champ de l'enquête publique.
Le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « loi Asap », a été présenté lors du Conseil des ministres du 5 février et doit être discuté en séance publique au Sénat les 3 et 4 mars prochains. Son article 25 supprime l'organisation systématique d'une enquête publique pour les projets soumis à autorisation environnementale. Ces projets sont les installations classées (ICPE) relevant du régime d'autorisation, soit celles qui présentes de graves dangers ou inconvénients pour la sécurité ou l'environnement. De même que les projets soumis à autorisation au titre de la loi sur l'eau, c'est-à-dire ceux susceptibles de présenter des dangers pour la santé ou la sécurité publique, ou de porter de graves atteintes au milieu aquatique. La réforme concerne donc non seulement les projets industriels mais aussi des aménagements ayant un impact sur la ressource en eau.
300 projets concernés par an
Le projet de loi prévoit de ne maintenir une enquête publique que lorsqu'une évaluation environnementale du projet est requise ou lorsque le préfet juge que cette procédure reste utile en raison des impacts du projet sur l'environnement ou l'aménagement du territoire, ou des enjeux économiques qui s'y attachent. Dans ce cas, l'enquête publique est réduite à quinze jours. Dans les autres cas, elle serait remplacée par une participation du public par voie électronique d'une durée de trente jours, similaire à celle qui existe pour les installations classées relevant du régime d'enregistrement.
Selon l'étude d'impact du projet de loi, environ un tiers des dossiers de demande d'autorisation environnementale ne relèvent pas de la procédure d'évaluation environnementale. « Ces cas représentent de l'ordre de 300 projets par an », indique le Gouvernement. Ce dernier justifie la réforme par la nécessité de réduire les délais pour les porteurs de projets. « Même si sa durée minimale n'est que de deux semaines lorsqu'il n'y a pas évaluation environnementale, l'enquête publique entraîne inévitablement des délais supplémentaires, nécessaires d'une part à sa préparation (nomination du commissaire-enquêteur et publicité de l'enquête), et d'autre part à sa conclusion (élaboration et transmission du rapport, dans le délai d'un mois) », explique l'exécutif.
« Le principe, essentiel, d'une consultation du public est bien préservé. Ce sont ses modalités qui sont adaptées au cas par cas, proportionnellement aux enjeux et à la complexité des dossiers, dans une logique de conciliation entre la fluidité des procédures et les garanties apportées en matière de participation du public », assure le Gouvernement. Dans un avis rendu le 30 janvier, le Conseil d'État a estimé que cette disposition ne soulevait « pas d'objection d'ordre constitutionnel ou conventionnel » dans la mesure où des critères permettant de guider l'appréciation des préfets étaient indiqués. Il avait en revanche repoussé une première rédaction qui habilitait le ministère chargé de l'environnement à déterminer, par arrêté, les cas dans lesquels une enquête publique était requise.
Cette volonté de l'exécutif de réduire le champ de l'enquête publique n'est pas nouvelle. Il a lancé, en décembre 2018, une expérimentation dans les régions Bretagne et Hauts-de-France permettant aux préfets de remplacer cette procédure par une simple consultation du public par voie électronique, à condition que le projet ait donné lieu à une concertation préalable sous l'égide d'un garant. Le nouveau dispositif proposé est différent, observe le Conseil d'État, dans la mesure où il exclut les projets soumis à évaluation environnementale.
« Détricotage systématique de l'enquête publique »
Quoi qu'il en soit, le projet de loi suscite l'ire de la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs. « L'article 25 participe à [un] détricotage systématique de l'enquête publique et constitue une manière de la faire disparaître en faisant de la dématérialisation la procédure de droit commun de la participation du public », dénonce cette organisation qui fédère quelque 3 000 commissaires enquêteurs.
En effet, le Gouvernement prévoit par ailleurs de confier au préfet de région, en lieu et place d'une autorité environnementale indépendante, l'examen au cas par cas des projets. Cet examen permet de dire si un projet doit ou non faire l'objet d'une évaluation environnementale. L'Autorité environnementale nationale a déjà pointé, dans un avis du 5 février, le risque de conflit d'intérêt lié à cette réforme prévue par un projet de décret d'application de la dernière loi sur l'énergie. C'est le même type d'assouplissement de la réglementation qui avait permis au préfet de Seine-Maritime d'autoriser des augmentations de capacité de l'usine Lubrizol de Rouen sans exiger d'évaluation environnementale.
Avec cette double réforme, le représentant de l'État pourra donc réduire le périmètre des projets soumis à évaluation environnementale, puis supprimer l'enquête publique pour les projets qui ne seront plus soumis à cette évaluation.
« Recours contentieux lourds de conséquences financières »
Or, la consultation électronique du public n'apporte pas les mêmes garanties qu'une enquête publique, témoigne la CNCE. S'appuyant sur un état des lieux réalisé sur le département de la Mayenne depuis avril 2017 et portant sur des projets industriels et agricoles soumis à enregistrement, l'organisation conclut que cette consultation ne permet pas la bonne information du public. Elle évince une partie du public, notamment dans les zones rurales, et ne permet pas une restitution correcte des observations, l'arrêté préfectoral ne faisant état ni de leur synthèse, ni de leur prise en compte, explique-t-elle.
Au final, selon l'organisation, cette consultation ne permet pas de gagner de temps ni de faire réaliser d'économie réelle. « N'apportant pas les mêmes garanties que l'enquête publique, elle n'exclut pas les recours contentieux lourds de conséquences financières pour le porteur de projet », assure la CNCE.
Pour Gabriel Ullmann, docteur en droit de l'environnement et commissaire enquêteur radié, « ce projet de loi est un véritable retour en arrière de trente ans aussi bien en matière d'enquête publique que d'évaluation environnementale, au moment même où (…) notre Président entend mettre l'écologie au centre du modèle ». Reste à voir si les parlementaires partagent cette analyse.