Le Grand Amphithéâtre du Muséum national d’Histoire naturelle n’avait sans doute jamais reçu pareille assemblée. Sous les frontons gravés en lettres d’or des plus prestigieux noms de savants – Guy de la Brosse, Saint-Hilaire, Lamarck, Claude Bernard, Cuvier, Daubenton -, se pressait sur les bancs une espèce en voie d’apparition dans cet auguste hémicycle : des représentants de Lafarge, EDF, Areva, Total, Véolia, et bien d’autres membres du MEDEF.
Le résumé du problème fut donné dès la première intervention, celle de Jean-Marc Petat, directeur environnement de BASF : « Comment rendre la biodiversité compatible avec l’agriculture de production, soumise à des exigences de compétitivité, de rentabilité, de quantité et de qualité ? », interrogeait ce représentant du numéro 1 mondial de l’industrie chimique, non sans avoir rappelé son chiffre d’affaires annuel de 51 milliards d’euros pour l’année 2009.
Un questionnement qui, dans sa tournure, traduit la position de l’entreprise vis-à-vis de l’environnement : la nature est un service rendu qui se doit d’être « compatible » avec les activités d’extractions. Le maintien de la biodiversité importe à l’entreprise au sens où le maintien en l’état d’un écosystème est en rapport avec son chiffre d’affaires. Mais pas seulement. Il y va aussi de son image.
Le problème est complexe. « À quel niveau gérer la biodiversité ? », interroge M. Petat. La question de l’échelle, qui va du champ à l’ensemble de la planète, se pose dans le cas des abeilles. BASF a implanté en France 2500 hectares de surfaces de butinage parsemées de mélanges de fleurs. L’entreprise travaille par ailleurs à l’établissement d’une trame verte de 400 km2 en Champagne Ardennes. Mais le n°1 mondial de la chimie continue de commercialiser son insecticide à base de Fipronil, le Régent, suspecté de concourir à la mort des abeilles et objet d’un non lieu prononcé par la Cour d’Appel de Toulouse le 2 septembre dernier.
Compenser ou anticiper
Dans ce show room des bonnes œuvres, la compensation est l’un des maîtres mots. Olivier Salignat, expert environnement et société chez EDF, décrit comment les développeurs du barrage de 1080 MW de Nam Theun 2, au Laos, ont dû gérer les impacts du projet sur la biodiversité de la réserve naturelle nationale dans laquelle il est construit. Les espèces liste Rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) ont été identifiées, 500 tortues ont été extraites du site et relâchées à proximité, le cyprès chinois a été réimplanté… Une « équivalence écologique » a été estimée pour chiffrer le montant de la compensation, basée sur un référentiel à des zones d’inondations très dégradées. Au final, la Réserve nationale recevra un financement d’un million de dollars par an pendant 30 ans.
La Caisse des Dépôts s’est voulue pionnière en matière de compensation. Dans cet esprit, elle a créé CDC Biodiversité en 2008, premier opérateur financier de compensation en matière de biodiversité. Son crédo : « agir », comme l’explique son PDG, Laurent Piermont, venu présenter une démarche destinée à constituer des actifs naturels proposés à des maîtres d’ouvrage soumis à l’obligation de compenser leurs impacts sur la biodiversité. CDC Biodiversité s’est associée au projet de restauration du système écologique et pastoral de Cossure, dans la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône), en acquérant 357 hectares d’anciens vergers. Elle s’est engagée à réhabiliter un espace favorable à la biodiversité originale de ce territoire par la reconstitution d’ensembles végétaux permettant la présence d’espèces animales communes en Crau sèche : Outarde canepetière, Ganga cata, Oedicnème criard, Lézard ocellé.
Reste que la meilleure des compensations est celle qui n’a pas lieu d’être, pour paraphraser Jacques Weber, du CIRAD. Pour Françoise Gaill, directrice du département développement durable du CNRS, la question de l’érosion de la biodiversité est bien plus qu’une affaire d’argent et de compensation. Il faudrait plutôt qu’elle soit anticipée que compensée. C’est là que les scientifiques, espèce rare dans ce colloque, ont un rôle majeur à jouer pour éclairer les stratégies économiques.
Découplage ou monétarisation
A fortiori, c’est la nature elle-même qui devrait inspirer les modèles économiques, soutient Emmanuel Delannoy. Le directeur de l’Institut Inspire et secrétaire général de la Ligue ROC revient sur « la totale désynchronisation entre l’économie et l’état des richesses naturelles », le rythme des extractions, celles du pétrole par exemple, se télescopant avec la lenteur géologique qui a caractérisé la constitution des ressources. Il faudrait donc découpler économie et ressources naturelles, savoir être prospère sans surconsommer les stocks naturels, grâce à l’économie circulaire.
La question de la monétarisation de la biodiversité plane au-dessus du débat. « La monétarisation des biens environnementaux va devenir un challenge », selon l’analyseur de risques Stanislas Chapron, président du directoire de MARSH SA. Les entreprises dépendent des services environnementaux, comme en témoigne la crise du secteur de la pêche, vient rappeler Cornis van der Lugt, du PNUE, l’un des coordinateurs du
Que signifierait donner une valeur économique à des êtres vivants ? François Letourneux, président du Comité français de l’UICN, ne se faire guère d’illusions : « Il ne reste rien des aborigènes parce qu’ils n’avaient pas de valeur économique ». Sans pour autant rêver à l’inverse.