Par une décision du 13 juillet, la Haute juridiction administrative a rejeté les requêtes des sociétés Volkswind France et Innovent qui demandaient l'annulation du décret du 23 août 2011 intégrant les éoliennes terrestres à la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Cette décision fait suite au refus du Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par les mêmes requérantes et portant sur la conformité à la Constitution de la disposition de la loi Grenelle 2 prévoyant ce classement.
Le règlement plus sévère que la loi
Les requérantes avaient fait valoir le fait que le pouvoir réglementaire était allé au-delà de ce qu'avait prévu la loi, en soumettant à autorisation d'autres installations que celles expressément prévues par l'article L. 553-1 du code de l'environnement. Le Conseil d'Etat rejette le moyen, estimant qu'"il ne résulte ni de ces dispositions, ni des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi du 12 juillet 2010 que le législateur ait entendu priver le Premier ministre de l'exercice du pouvoir de police spéciale qu'il détient en vertu de l'article L. 511-2 du code de l'environnement pour soumettre à autorisation, enregistrement ou déclaration les autres installations présentant des dangers ou des inconvénients (…)".
"Mais alors, on se demande bien pourquoi le législateur a pris la peine de définir de manière précise, aussi bien au regard de la hauteur des mâts que du nombre d'aérogénérateurs, les conditions de la soumission à autorisation", feint de s'interroger David Deharbe, avocat spécialisé en droit de l'environnement, qui conteste l'analyse du Conseil d'Etat.
"Rappelons tout de même cette aberration : implantée plein champ, une unique éolienne de 50 mètres au mat éloignée de toute habitation à 500 mètres à la ronde se voit soumise à étude de dangers…", s'indigne l'avocat.
Des risques et inconvénients de la nature de ceux des installations classées
Le Conseil d'Etat considère que "l'auteur du décret n'a pas commis d'erreur manifeste, dans l'appréciation à laquelle il s'est livré des dangers ou inconvénients pouvant découler du fonctionnement de ces installations" pour les intérêts protégés par la législation des installations classées. S'appuyant sur un rapport de l'Ineris de décembre 2011, il estime que l'implantation et l'exploitation des éoliennes présentent des risques et inconvénients, de la nature de ceux pris en compte par cette législation, "pour la sécurité et la santé publique, la faune ainsi que pour la préservation de l'environnement et sont susceptibles de porter atteinte aux paysages".
"L'arrêt aurait pu également souligner que de nombreux autres rapports soulignaient l'inutilité du classement ICPE des éoliennes au regard des risques très réduits qu'elles présentent", rétorque l'avocat Arnaud Gossement.
Par ailleurs, le classement des éoliennes terrestres "n'impose pas des sujétions constitutives d'une entrave au développement de l'exploitation de l'énergie mécanique du vent et ne créé pas (…) des règles nationales qui ne seraient pas proportionnées et nécessaires", estiment les magistrats du Palais-Royal. Le décret n'est donc pas contraire aux objectifs définis par la directive 2009/28 qui préconise le développement de la production d'énergie à partir de sources renouvelables. Pourtant, selon Arnaud Gossement, "cette analyse du Conseil d'Etat semble remise en cause par les faits eux-mêmes qui démontrent un infléchissement des taux de création et de raccordement des parcs depuis 2010".
Enfin, le fait que les éoliennes offshore échappent au classement ICPE ne méconnaîtrait pas le principe d'égalité devant la loi. Le Conseil d'Etat relève en effet "une différence de situation en ce qui concerne les effets de ces installations et les dangers ou inconvénients qu'elles présentent".
Une décision controversée quant à la mise en œuvre du principe de participation du public
Les requérantes avaient fait valoir que le projet de décret n'aurait pas fait l'objet d'une publication comme le prévoit l'article L. 511-2 du code de l'environnement. Le Conseil d'Etat rejette ce moyen, la publication ayant effectivement eu lieu. En revanche, se posait la question de l'incidence de la décision du Conseil constitutionnel du 14 octobre 2011 ayant déclaré inconstitutionnel le second aliéna de l'article L. 511-2 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 11 juin 2009. La déclaration d'inconstitutionnalité ne prenant effet qu'au 1er janvier 2013, la disposition anticonstitutionnelle ne pouvant être appliquée dans les instances en cours, et les requêtes des sociétés ayant été déposées après cette décision, le Conseil d'Etat en déduit que cette déclaration d'inconstitutionnalité est "sans incidence dans la présente instance".
D'autre part, ce dernier estime que la légalité du décret devait être appréciée au regard du second alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi de simplification du droit du 17 mai 2011, qui n'impose pas la participation du public à son élaboration mais la publication par voie électronique des projets de décrets. Le moyen tiré de ce que l'élaboration du décret n'avait pas fait l'objet d'une participation du public devait donc être écarté.
Toutefois, cette décision prête à débat et pourrait ne pas être pérenne à cet égard. En effet, la déclaration d'inconstitutionnalité d'octobre dernier était fondée d'une part sur le fait que l'exigence de publication ne concernait pas les projets de décret de nomenclature pour les installations autorisées ou déclarées, insuffisance à laquelle il a été remédié par la loi Warsmann. Et, d'autre part, sur le fait que "ni cette disposition ni aucune autre disposition législative n'assurait la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration de ces textes". Or, cette mise en œuvre n'est à l'heure actuelle toujours pas prévue par le code de l'environnement et reste à organiser par le législateur. De plus, le Conseil constitutionnel vient de censurer à nouveau une disposition législative du code de l'environnement pour méconnaissance du principe de participation.
Ce qui fait dire à Carl Enckell, avocat spécialisé en droit de l'environnement que "le rejet du recours dirigé contre le classement ICPE des éoliennes ne vaut que pour les six prochains mois". Dès le 1er janvier 2013, "un requérant pourra demander à l'administration d'abroger le décret du 23 août 2011 soumettant les éoliennes au régime des ICPE puis, en cas de refus, saisir le Conseil d'Etat à nouveau", estime l'avocat.
Pour Arnaud Gossement, "l'arrêt démontre un problème aigu de méconnaissance du principe de participation du public". En tout état de cause, il s'agit d'une décision controversée tant sur l'application de ce principe constitutionnel que sur celle des libertés prises par le pouvoir réglementaire par rapport à la loi.
Le régime juridique applicable aux éoliennes n'a pas fini de faire parler de lui…