Le décret de création de l'EPR de Flamanville (Manche) donne 10 ans à EDF pour achever la construction du réacteur. Ce délai prend fin le 11 avril 2017, alors que le réacteur nucléaire ne devrait pas entrer en service avant fin 2018. EDF a donc ouvert des négociations avec Ségolène Royal pour prolonger cette autorisation, ont annoncé des représentants de l'entreprise lors d'une réunion de la commission locale d'information (CLI) de la centrale.
L'information, rapportée fin septembre par La Manche Libre, est confirmée par EDF qui indique à Actu-environnement "avoir envoyé, comme annoncé, une lettre au ministre en charge de l'énergie, avant le 11 octobre 2015". Cette demande serait en cohérence avec le calendrier de mise en service de l'EPR annoncé, ce qui laisse entrevoir une demande de prolongation de 18 à 20 mois. A noter que des prolongations de ce type ont été accordées en 1999 pour les réacteurs de Chooz (Ardennes) et Civaux (Vienne).
Pas de caducité automatique
L'article 3 du décret du 10 avril 2007 autorisant la création de l'EPR de Flamanville précise qu'EDF dispose, à compter de la publication du texte au Journal officiel, d'un délai de dix ans pour réaliser le premier chargement en combustible du réacteur, soit jusqu'au 11 avril 2017. L'Observatoire du nucléaire alerte sur ce point depuis décembre 2012. On sait aujourd'hui que ce délai ne sera pas tenu, d'où la demande de modification du décret déposée par EDF.
"Si celle-ci constitue une modification notable, EDF devra compter avec une nouvelle procédure d'autorisation comprenant la réalisation d'une enquête publique", rappelle le réseau Sortir du nucléaire (RSN).
Par ailleurs, ajoute RSN, "le code de l'environnement propose (…) l'abrogation pure et simple de l'autorisation de l'installation, qui mettrait fin définitivement au projet". Plus précisément, il s'agit de l'article L.593-13 du code de l'environnement qui fixe que si une installation nucléaire de base (INB) n'est pas mise en service dans le délai fixé par son autorisation de création, "il peut être mis fin à l'autorisation de l'installation, après avis de l'ASN".
Vingt-deux amendements en commission
Cette particularité a été introduite à l'occasion de l'adoption de la loi de 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (TSN). Initialement, le projet de loi déposé au Sénat en juin 2002 par Roselyne Bachelot, alors ministre de l'Ecologie, prévoit la caducité de l'autorisation lorsque le délai fixé n'est pas respecté. En février 2006, le Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, relance l'étude de la loi au Sénat. Le texte prévoit qu'"au delà du délai raisonnable pour la mise en service de l'installation, les conditions ayant prévalu lors de cette autorisation ont pu évoluer et l'exploitant ne doit plus pouvoir se prévaloir de son autorisation". Le Premier ministre de l'époque juge "nécessaire" cette disposition, au motif que "l'absence de mise en service peut aussi être révélatrice de problèmes pouvant mettre en cause un fonctionnement ultérieur de l'installation". Un argument qui prend du relief, si l'on considère les évaluations récentes de l'ASN concernant les deux centrales qui ont bénéficié de prolongation de leur autorisation de création. A titre d'exemple, en avril 2014, l'Autorité jugeait que la sûreté nucléaire de Civaux était "en retrait". De même Chooz était pointé du doigt.
C'est en commission des affaires économiques que le texte change radicalement sous l'impulsion de trois membres éminents de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Vingt-deux amendements, déposés par le sénateur Daniel Raoul (PS, Seine-et-Marne), sont adoptés et modifient l'esprit et la forme du texte gouvernemental. "Si une installation nucléaire de base n'est pas mise en service dans le délai fixé par le décret d'autorisation, un arrêté [un décret, ndlr] du ministre chargé de la sûreté nucléaire peut mettre fin à l'autorisation", indique le texte à l'issue de son étude en commission.
Il s'agit, avait expliqué en séance Nelly Olin, alors ministre de l'Ecologie, d'épargner au futur exploitant "une nouvelle procédure [qui] constituerait une lourdeur excessive", ajoutant qu'"il est souhaitable que le Gouvernement puisse juger s'il est nécessaire ou non d'imposer à l'exploitant de renouveler sa demande d'autorisation".
Changements de circonstances de droit ou de fait
Sur le plan législatif, la voie semble dégagée pour qu'EDF obtienne le renouvellement de son autorisation, mais trois difficultés pourraient intervenir en chemin. Tout d'abord, la prolongation reste soumise à l'avis de l'ASN. Un avis favorable est envisageable. Le directeur général adjoint de l'Autorité explique que "l'ASN aura à rendre un avis sur le projet de décret. Elle évaluera notamment le caractère substantiel de la demande de modification du décret initial au regard de la durée de prolongation demandée". RSN émet un bémol : "EDF a remis à l'ASN une demande d'autorisation de mise en service, mais l'Autorité a émis des réserves", rappelle la responsable juridique du réseau antinucléaire. Dans ce contexte, il est "difficile" de prévoir quel sera l'avis de l'Autorité, estime-t-elle. D'autant que la cuve de l'EPR fait face à de sérieux défauts.
Autre point délicat, un décret prolongeant l'autorisation ne manquerait pas d'être attaqué devant le Conseil d'Etat et le recours serait très probablement assorti d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). "La possibilité de prolongation de l'autorisation semble inconstitutionnelle", estime Corinne Lepage, précisant que "la prolongation de l'autorisation au-delà de 10 ans ne fait aucun cas des changements de circonstances de droit ou de fait intervenus depuis l'autorisation initiale. C'est pour cela que le code de l'environnement exige un délai de 10 ans pour la mise en service".
L'avocate, spécialiste du droit de l'environnement, explique que "les faits, comme la législation, ont évolué depuis 2007, ne serait-ce qu'à cause de la catastrophe de Fukushima et des défauts à répétition de l'EPR, ce qui impose de refaire un dossier et de le soumettre aux citoyens". Sur le plan législatif, les opposants mettront sûrement en avant la loi de transition énergétique qui prévoit de réduire à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique en 2025. D'autant que "la production nucléaire est en hausse de 3,3% sur un an. Sa part dans la production totale d'électricité atteint ainsi 84,4%", révèle la dernière note de conjoncture énergétique publiée par le ministère de l'Ecologie en octobre.
Difficile de temporiser
Enfin, reste l'enjeu politique. Le décret doit être renouvelé d'ici avril 2017, soit un mois avant la Présidentielle. Il est trop tôt pour envisager les rapports politiques au sein de l'actuelle majorité, mais le sujet pourrait tourner au casus belli, surtout si la fermeture de Fessenheim n'est pas assurée. "Pour l'instant, on ne sait pas ce qu'il y a dans la lettre d'EDF", déplore Denis Baupin, qui interroge : "Sur quelle durée porte le report ? La demande de prolongation est-elle accompagnée d'une demande de fermeture de Fessenheim ?". S'agissant de la centrale alsacienne, le député rappelle qu'EDF est hors la loi si cela n'apparaît pas puisque l'électricien avait jusqu'au 11 octobre dernier pour le faire, conformément à l'article 187 de la loi de transition énergétique. En conséquence, l'élu réclame la publication de la lettre d'EDF, ainsi que l'éventuelle réponse du Gouvernement.
EDF et le Gouvernement pourraient-ils temporiser pour confier l'adoption du décret au nouvel exécutif issu de la Présidentielle et des législatives ? L'hypothèse semble peu probable selon la juriste de RSN, car cela signifierait prendre le risque de dépasser la date de péremption du décret d'autorisation. Cependant, l'ASN nuance : "La législation prévoit un acte positif du Gouvernement, explique son directeur général adjoint, tant que l'autorisation initiale n'a pas été retirée, elle reste valable". Néanmoins, il juge que "ce n'est pas le scénario privilégié, puisque EDF a déposé une demande sur laquelle le Gouvernement doit explicitement se prononcer". Un avis que partage Denis Baupin : "C'est peu crédible, car cela laisserait l'EPR sans couverture juridique et impacterait les investisseurs et EDF, ne serait-ce qu'au travers du cours de bourse d'EDF". Au regard de la réglementation, le délai de rejet implicite est de trois ans. Le Gouvernement a donc jusqu'à octobre 2018 pour publier un nouveau décret…