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Comment préserver les espèces protégées ?

Le juge judiciaire est compétent pour stopper une atteinte à des espèces protégées commise par une ICPE régulièrement autorisée à exploiter, selon la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans un arrêt du 23 février 2023.

DROIT  |  Commentaire  |  Biodiversité  |  
Droit de l'Environnement N°321
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°321
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Comment préserver les espèces protégées ?
Heloïse Aubret
Avocate, Greencode Avocats
   

Par un arrêt du 23 février 2023 (1) , la cour d'appel d'Aix-en-Provence a reconnu que le juge judiciaire était compétent pour stopper une atteinte à des espèces protégées, commise par une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) régulièrement autorisée à exploiter. C'est une décision inédite sur ce point, mais pas seulement.

La cour d'appel reconnaît également « l'urgence que postule, par définition, tout risque d'atteinte à l'environnement, dans un contexte d'écroulement de la biodiversité ».

Cet arrêt est important, tant par la clarification juridique qu'il apporte, que par la portée de ses considérants.

I. Espèces protégées : une protection textuelle forte

La protection des espèces protégées, issue de la directive Habitats, a récemment fait l'objet de nombreux contentieux et évolutions jurisprudentielles.

À l'heure où la biodiversité est particulièrement menacée, l'IPBES (2) faisant état d'une sixième extinction de masse, les tensions concernant l'artificialisation des sols et l'exploitation des milieux naturels sont croissantes, remettant sur le devant la scène cette législation censée être protectrice. En pratique, elle est souvent méconnue, comme l'illustre ce cas d'espèce.

La directive Habitats a, en effet, entendu poser une règle de protection très forte, les États membres devant prendre « les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces » « animales » (art. 12) et « végétales » (art. 13).

Ces dispositions ont été retranscrites fidèlement aux articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement. Ainsi, l'article L. 411-1 dispose sans aucune ambiguïté qu'il est interdit de détruire des œufs, des nids, de perturber les espèces animales protégées, de détruire, altérer ou dégrader leurs habitats, de détruire ou couper des espèces protégées végétales. L'article L. 411-2, 4°, détermine les conditions dans lesquelles une dérogation à ces interdictions peut être accordée.

La protection est donc très stricte. Cependant, dans les faits, lorsqu'il est porté atteinte à cette dernière, le parcours du combattant commence pour faire valoir le respect de cette législation : la destruction d'espèces protégées est à la fois une infraction pénale, réprimée au titre de l'article L. 415-3 du code de l'environnement, un trouble manifestement illicite, et l'acte qui met fin à l'infraction et au trouble est un acte administratif.

Les trois procédures sont donc potentiellement mobilisables, reste à déterminer laquelle est efficace dans des délais d'urgence extrême.

II. Destruction d'espèces protégées : comment la stopper à temps ?

Dans le cas d'espèce, une société avait été autorisée à exploiter une ICPE par un arrêté préfectoral de 2012. Cette autorisation permettait l'exploitation d'une carrière de calcaire dolomitique sur une superficie totale de 44 hectares (ha) 84 centiares (ca), ainsi que d'une installation de broyage, concassage, criblage et lavage de matériaux.

Pour permettre l'exploitation de cette carrière, le préfet du Var avait également autorisé le défrichement d'une forêt de 241 000 m2. Le maire avait par la suite délivré un permis de construire en 2021.

Aucune demande de dérogation à l'interdiction de détruire ou altérer des espèces ou leurs habitats n'avait été déposée. Or, le site d'exploitation se trouve au sein du parc naturel régional (PNR) de la Sainte-Beaume, et dans la zone spéciale de conservation « Massif de la Sainte-Beaume ». À ce titre, c'est un territoire qui fait l'objet de nombreuses études naturalistes. Il existe notamment un atlas de la biodiversité de la commune de Mazaugues, réalisé sur la base de l'article L. 411-1 A II du code de l'environnement, régulièrement mis à jour, et des rapports d'expertise menés pour le compte du PNR de la Sainte-Beaume.

Les rapports font état d'environ 85 espèces protégées connues à ce jour : insectes, amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères (notamment loups et chiroptères), et de nombreuses espèces végétales.

Ce site présente des enjeux de conservation particulièrement importants pour le territoire. Les rapports officiels réalisés dans le cadre du document d'objectifs (Docob) Natura 2000 mentionnent en effet qu'il constitue un gîte de chiroptères d'importance régionale majeure, et l'atlas communal de biodiversité fait état d'« un enjeu de la zone d'études pour ces espèces fort à très fort ».

Les travaux de terrassement ont commencé en 2021. Une plainte pénale a été immédiatement déposée par les associations de défense de l'environnement locales, qui n'a donné lieu à une visite des inspecteurs de l'Office français de la biodiversité (OFB) que quatre mois après le commencement des travaux. Lors de la visite, les agents n'ont d'ailleurs constaté aucune espèce, le sol étant complètement ravagé et le défrichement de la zone terminé.

La réponse pénale ne semble donc pas adaptée à ces situations d'extrême urgence.

Face à l'absence de demande de dérogation, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) s'est auto-saisi, et a adopté une motion en 2021 pour demander que les données naturalistes collectées soient prises en compte afin de réduire, et si possible, supprimer les impacts sur les espèces protégées et menacées inventoriées sur le site.

Pour autant, la carrière n'a pas déposé de demande de dérogation, les travaux ont donc continué.

Restent donc les référés, procédures d'urgence par nature. L'objectif étant bien évidemment d'éviter une destruction irréversible.

C'est d'ailleurs dans ce contexte qu'a été consacrée (3) la possibilité pour un requérant de déposer une requête en référé liberté, lorsqu'il est porté atteinte à son droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé : l'atteinte à l'environnement revêt très souvent un caractère d'urgence, et le justiciable doit pouvoir trouver, dans un état de droit, une voie procédurale pour demander que soit respecté ce principe qui a valeur constitutionnelle.

Cependant, cette procédure n'est ouverte que lorsque l'atteinte est causée par une personne publique ou une personne privée agissant pour son compte. En conséquence, lorsque l'atteinte est portée par une personne privée, il convient de faire cesser le trouble par une action en référé civil.

En matière d'espèces protégées, la réponse procédurale est assez claire, puisque le juge judiciaire reconnaît de longue date que l'atteinte à des espèces protégées, sans autorisation dérogatoire, engendre un trouble manifestement illicite.

L'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

Dès 1994, le tribunal de grande instance de Caen avait considéré que (4) « la destruction végétale d'une espèce protégée constitue à elle seule un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser ».

Le tribunal de grande instance de Colmar avait quant à lui expressément qualifié (5) de :

- « dommage imminent » la destruction, par des travaux, d'une espèce protégée ;

- « trouble manifestement illicite » : le grattage de certaines parties de la parcelle détruisant l'espèce protégée.

C'est en application de cette jurisprudence civile établie que les associations ont saisi le juge des référés civil d'une demande de cessation du trouble manifestement illicite que constituaient les travaux en cours.

Par une ordonnance du 27 avril 2022, le juge des référés civil du tribunal judiciaire de Draguignan s'est déclaré incompétent au motif que « le juge judiciaire n'est pas le juge de la régularité des autorisations administratives obtenues en 2012 pour l'exploitation de la carrière, qui, en tout état de cause, n'est plus contestable, ni de l'application des règles nouvelles en fonction de l'évolution de la situation environnementale puisque le régime des installations classées relève de la compétence de l'autorité administrative ».

Cela signifiait donc qu'une personne privée, exploitant une ICPE, ne commettait pas de trouble manifestement illicite en contrevenant à l'interdiction de détruire et altérer des espèces protégées et leurs habitats posées par l'article L. 411-1 du code de l'environnement, dès lors qu'il exploitait une ICPE.

III. Le juge judiciaire, gardien des espèces protégées ?

Pourtant, par un arrêt du 30 novembre 2022 (6) , la Cour de cassation a bien rappelé que la législation relative aux espèces protégées est une législation spéciale et autonome de celle portant sur la législation ICPE :

« 15. D'une part, les éoliennes sont soumises à la législation spéciale applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement figurant aux articles L. 514–44 et suivants du code de l'environnement, selon laquelle les installations de produc- tion d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent doivent être exploitées dans le respect des prescriptions édictées par l'autorisa- tion administrative d'exploitation.

ƒ 16. D'autre part, la législation spéciale, autonome, relative à la protection du patrimoine naturel interdit, par les dispositions de l'article L. 411–1 du code de l'environnement, la destruction d'ani- maux d'espèces non domestiques protégées, l'article L. 411–2, 4°, réservant toutefois la possibilité de délivrance, par l'autorité admi- nistrative compétente, de dérogations à cette interdiction. »

Dans le droit-fil de cette jurisprudence, la cour d'appel d'Aix-en-Provence (7) a jugé qu'une action en référé pour solliciter la cessation du trouble manifestement illicite causé par une personne privée, même classée ICPE, relevait bien de la compétence du juge judiciaire, puisqu'il ne s'agit pas de remettre en cause l'autorisation d'exploiter, délivrée au regard d'une législation autonome :

« En effet, aucune des parties ne discute désormais le caractère définitif de ces décisions. Cette action tend seulement à faire cesser le trouble causé à l'environnement notamment par la destruction, l'altération ou la dégradation de l'habitat naturel d'espèces ani- males protégées dont la présence sur site a été récemment établie, trouble qu'elle qualifie de manifestement illicite en l'absence d'au- torisation administrative de déroger aux dispositions de l'article L. 411 du code de l'environnement. Il ne s'agit donc pas de solliciter l'interdiction définitive de l'exploitation de la carrière Le Caïre de Sarrasin, ce qui contrarierait les décisions précitées prises sur les fondements des dispositions du code de l'environnement régissant les ICPE et les Iota, mais de faire cesser diverses infractions aux dispositions de l'article L. 411–1 qu'elles entendent documenter (...) La décision que pouvait être amené à prendre le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan sur le fondement de l'article 835, alinéa 1, du code de procédure civile, ne remettait donc pas en cause les décisions administratives prises par application de la législation régissant les ICPE et Iota mais visait à faire cesser un trouble, causé à l'intérêt général, que les appelantes ont pour mission de défendre par la violation des dispositions distinctes du code de l'environne- ment relatives à la protection du patrimoine naturel. »

Une autorisation administrative est en effet toujours délivrée sous réserve du respect des droits des tiers d'une part, et en vertu du principe d'indépendance des législations d'autre part.

Au-delà de la clarification apportée sur le principe d'indépendance des législations, cet arrêt reconnaît, pour la première fois, « l'urgence que postule, par définition, tout risque d'atteinte à l'environnement, dans un contexte d'écroulement de la biodiversité. »

La cour d'appel reconnaît l'importance des actions menées par les associations œuvrant pour la protection de l'environnement. Elle reconnaît également la gravité des conséquences que peuvent avoir des actions illégales de destruction du patrimoine naturel, dont les conséquences sont irréversibles. Les travaux sont interdits. Cette affaire démontre l'efficacité du juge judiciaire à faire respecter la législation relative à la protection du patrimoine naturel.

1. CA Aix-en-Provence, 23 févr. 2023, n° 2023/1392. Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques3. CE, 20 sept. 2022, n° 451129 : Lebon4. CA Caen, 6 sept. 1994, Groupement régional des associations de protection de la nature de Basse-Normandie, Dr. Env. 1995, no 28, p. 13, note Braud ; RJE 1995, p. 121, note Léost ; et au fond, TGI Caen, 4 sept. 1995, Dr. Env. 1996, no 36, p. 11, note Braud5. TGI Colmar, 6 oct. 2000, n° RG.00/00098, Assoc. Alsace Nature du Haut-Rhin, RJE 2001, p. 2556. Cass. 3e Civ., 30 nov. 2022, n° 21-16.404 : Bull. Civ. III7. CA Aix-en-Provence, 23 févr. 2023, n° 2023/139

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