"On a le choix entre le sursis et le sursaut. Et moi je préfère le sursaut. On peut faire un saut qualitatif tous ensemble, dont la conséquence sera de redonner de la sécurité économique, psychologique et sanitaire aux agriculteurs. Mais la clé pour y parvenir, c'est de prendre le temps", a déclaré Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, lors des Etats généraux de l'alimentation, lancés jeudi 20 juillet à Paris. Le ministre s'exprimait en ouverture d'un atelier dédié à promouvoir une agriculture durable, devant les parties prenantes (plusieurs centaines de participants) qui se réuniront durant cinq mois. Et d'appeler ONG, agriculteurs, distributeurs, élus, experts, etc., à "mettre les postures de côté", pour "un changement de modèle" et "sortir de cet horizon un peu plat et dogmatique du toujours plus".
"Je rêve d'un pays réconcilié avec une agriculture diversifiée qui s'ouvre sans préjugé, sans agressivité, à l'agriculture biologique, à l'agro-écologie, à la permaculture mais sans fustiger les autres. On rentre tous dans un chemin de progression. C'est une transformation culturelle que nous pourrons opérer et je ne doute pas que nous aurons les moyens de réussir", a poursuivi M. Hulot, optimiste et réconciliateur. Et de marteler qu'il serait "dommage" d'avoir "de petites ambitions sur ces Etats généraux".
Plusieurs défis à relever
Alors quelles pistes pour parvenir à une "performance environnementale, sanitaire, sociale et économique" du secteur agricole ? Philippe Mauguin, président directeur général de l'Inra (1) , a invité les acteurs à relever "cinq défis" pris en compte par la recherche. Le premier : réduire les pesticides et antibiotiques. Et de rappeler une étude de l'Inra démontrant, en mars 2017, une réduction possible de 30% du recours aux phyto par les exploitations engagées dans le réseau Dephy, "en modifiant les pratiques culturales". Et cela sans porter atteinte à la productivité. Philippe Mauguin a ajouté les recherches menées pour identifier et gérer les résistances génétiques aux maladies, "sans recourir à la transgénèse" ainsi que pour développer les solutions de biocontrôle (pièges olfactifs, etc.). Figurent aussi la réduction de l'utilisation des antibiotiques dans les filières animales, la détection précoce des maladies et les travaux sur "la sélection de races robustes."
Le second défi est de contribuer à la qualité des eaux, des sols et de l'air. En équilibrant les cycles de l'azote et du phosphore, via les "légumineuses en rotation,/association", l'agroforesterie, le couplage agriculture-élevage et le recyclage des résidus organiques. Le PDG de l'Inra a aussi appelé à mobiliser la sélection génétique et le numérique pour optimiser la fertilisation des plantes. Il s'agit également de s'attaquer au défi climatique, en concevant des systèmes plus résilients : "des plantes résistantes à la sécheresse, des animaux plus tolérants aux températures élevées, des cultures et des assolements diversifiés". Et la sélection aussi des ruminants émettant moins de méthane. Auxquels s'ajoute la séquestration du carbone dans les sols, en mettant en avant l'initiative mondiale 4/1000 impulsée par la France à la COP21.
Le quatrième défi est de développer les produits biosourcés et les énergies renouvelables en agriculture. En valorisant notamment les sols pollués pour la production de biomatériaux et de bioénergie et une "économie circulaire fondée sur la biomasse". Enfin, le cinquième défi est la préservation de la biodiversité. "Les ¾ des cultures alimentaires dépendent de la pollinisation dans le monde", a rappelé M. Mauguin.
Pour accompagner les agriculteurs dans cette transition écologique, le PDG de l'Inra a souligné "la nécessité de créer un environnement favorable en adaptant les politiques publiques" à l'échelle européenne, nationale et régionale.
Nourrir les villes à proximité
De son côté, Nicolas Bricas, chercheur au Cirad (2) , a souligné qu'au niveau planétaire, "on produit 30% de plus que ce dont on a besoin pour se nourrir". Il a préconisé aux participants "d'activer trois leviers d'actions" pour changer les modèles de production et de consommation. Promouvoir l'information, l'éducation, la sensibilisation ainsi que changer l'environnement et les normes sociales. "Les villes sont les acteurs importants d'évolution des systèmes alimentaires", a-t-il indiqué. 150 villes du monde ont signé le Pacte de Milan, lancé en 2015 par la FAO (3) , a-t-il rappelé. Ce pacte invite les villes à développer des systèmes alimentaires plus durables et équitables. Tout en prévenant le gaspillage alimentaire, protégeant la biodiversité et s'adaptant au changement climatique.
Une alimentation durable, c'est "une pluralité d'enjeux intersectoriels", a ajouté Nicolas Bricas (sécurité alimentaire, social, nutrition, économie, environnement, gouvernance, confiance des mangeurs, etc.). M. Bricas a aussi souligné la recherche d'une agriculture de proximité par les citadins (circuits courts, relocalisation, agriculture urbaine). Il a salué la démarche de contrats de solidarité territoriale signés par certains maires pour soutenir les zones rurales agricoles.
En clôturant cette première journée des Etats généraux, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert a observé, à l'issue des échanges, "un certain nombre de sujets à traiter" : "du revenu des agriculteurs au gaspillage alimentaire, de la sécurité sanitaire à la structuration des filières, des enjeux environnementaux à la promotion des bons modes de consommation". Des "premiers leviers d'action se dégagent. Ainsi, la modernisation, l'investissement, la formation, la recherche et l'innovation. Autour de ces enjeux, nous allons essayer de porter ensemble les compromis utiles pour l'avenir à court, moyen et long termes", a conclu Stéphane Travert.