Quelle que soit la cause du décès (cancers, maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires, maladies digestives, accidents …), les agriculteurs français sont ''en meilleure santé que le reste de la population française''. Telle est la conclusion des premiers résultats de l'étude Agrican (AGRIculture et CANcer) rendus publics le 16 septembre lors d'un colloque à Tours.
L'étude Agrican, lancée fin 2005 par la Mutuelle Sociale Agricole (MSA) vise à préciser le lien entre cancers et activités agricoles. Elle est menée sur 180.000 personnes affiliées à la MSA dans 12 départements ''représentatifs des activités agricoles de la France métropolitaine'' : Calvados, Côte d'or, Doubs, Gironde, Isère, Loire-Atlantique, Manche, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Somme, Tarn et Vendée.
Résultats : les hommes et les femmes de la cohorte ont respectivement 27% et 19% moins de risque de mourir d'un cancer comparativement ''à la population générale du même département et du même âge'', selon l'enquête menée de 2006 à 2009 via des questionnaires. Ce risque est divisé par deux pour le cancer du poumon ou des bronches pour les hommes (et -40% pour les femmes) lié au tabagisme. Idem pour la vessie : -42% pour les hommes et -40% pour les femmes de risque en moins. Les femmes connaissent également un risque 28% inférieur pour le cancer du col de l'utérus. Les hommes et les femmes de la cohorte ont également respectivement moins de risque de décéder d'une maladie Alzheimer ou de Parkinson (-31% et -36%), d'un infarctus ou d'un accident vasculaire cérébral (-29% et -23 %) ou d'une maladie respiratoire (-34% et -36%).
Les raisons de ''cette plus grande espérance de vie''? Les exploitants agricoles fumeraient ''beaucoup moins que le reste de la population française'', 76 % des femmes et 42 % des hommes de la cohorte Agrican n'ayant jamais consommé de tabac. Or, le tabagisme reste un facteur risque ''très important" des cancers, des maladies cardiovasculaires ou encore respiratoires. Les agriculteurs seraient également moins sédentaires et bénéficient d'une meilleure prise en charge des pathologies.
Mais les décès par mélanome malin de la peau sont en revanche légèrement supérieurs à la population générale (+1% pour les hommes, +6% pour les femmes). "Les facteurs de risque (pesticides, exposition à l'ensoleillement) expliquent très certainement la légère surmortalité par mélanomes malins de la peau'', selon le rapport. Chez les femmes, les décès par cancer de l'oesophage (+8%), de l'estomac (+5%), du sang (+2%) sont également plus fréquents.
Intoxication à un pesticide
S'agissant des expositions professionnelles : 9 % des femmes de la cohorte sont (ou ont été) utilisatrices de pesticides contre 48 % des hommes, selon l'enquête. Parmi eux, 8,7% des hommes ont déclaré une intoxication à un pesticide contre 5,1% des femmes. Près de la moitié de ces intoxications (49,1%) ''ont entraîné une consultation chez un professionnel de santé voire une hospitalisation'', indique le rapport. Plus précisément par secteur agricole, 17% des hommes (10,8% pour les femmes) utilisateurs de pesticides sur cultures sous serres ont notamment déclaré avoir déjà été intoxiqués par un pesticide. Ils sont 14% des hommes (6,9% de femmes) utilisateurs de phytosanitaires sur les légumes pleins champs à avoir été intoxiqués ou encore 12,1% des hommes utilisateurs sur le colza et 10,3% d'hommes sur le maïs (contre 8,9% des femmes).
Mais ce n'est qu'à partir de 2012 que seront publiées les analyses sur les incidences de cancer, en fonction des facteurs professionnels et de l'utilisation de pesticides. Ces analyses ''permettront d'affiner les raisons qui expliquent les premiers résultats de l'enquête'', soulignent les auteurs de l'étude. D'autant que l'enquête n'exclut pas un lien entre l'exposition des agriculteurs aux pesticides et des mélanomes, cancers de la peau.
''Le manque d'indépendance de l'enquête'', selon Générations Futures
Mais l'association écologique Générations Futures a regretté l'absence de chiffres ''clairs'' sur l'incidence des cancers attendus ''depuis 2008'' et dénoncé des résultats ''sans intérêts''. "A ce jour, 92 substances actives pesticides sont classées cancérigènes possibles ou probables soit par l'UE ou l'Agence de Protection de l'Environnement des Etats-Unis'', selon l'association. L'ONG déplore que l'enquête ne couvre ''ni les travailleurs saisonniers, ni certaines cultures, ni les départements dans lesquels le taux de mortalité par cancer est le plus fort (…) Ce qui signifie que les données sur la mortalité par cancer présentées pourraient être largement sous estimées puisque moins d'un agriculteur sur deux est concerné par l'exposition aux pesticides, dont on sait par ailleurs qu'ils sont un facteur de risque possible du cancer'', estime l'association.
Or, selon des résultats d'Agrican dévoilés dès février 2010 par l'équipe de Bertrand Nadel du centre d'immunologie de Marseille, l'étude aurait également démontré un lien entre l'exposition des agriculteurs aux pesticides et des anomalies du génome pouvant conduire à des tumeurs lymphatiques. Ces résultats avaient été publiés en juin 2009, dans le Journal of Experimental Medicine. Les chercheurs marseillais avaient détecté dans les prélèvements sanguins de plusieurs dizaines de participants à l'étude Agrican des cellules représentant les précurseurs de cellules tumorales constituant un lymphome de type folliculaire. Les agriculteurs exposés aux pesticides auraient ''plus de lymphomes avec une translocation entre les chromosomes 14 et 18 que la population non-exposée''. Les travaux des scientifiques marseillais espèrent déboucher sur un outil de dépistage précoce de cancers du système lymphatique.
Bénéfices des phytos ?
Cette étude ''financée par la MSA et l'UIPP (Union des industries de la protection des plantes, ndlr) manque visiblement d'indépendance et cela explique que les chiffres qui pourraient montrer que les agriculteurs sont plus touchés par certains types de cancer (possiblement liés aux pesticides) que la population générale ne sortent pas !'', a fustigé François Veillerette, porte-parole de Générations Futures. "Au lieu de cela Agrican se contente de marteler une com' lénifiante qui vise à faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des monde...nous trouvons cela indécent", a-t-il ajouté.
Un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) paru en avril 2010 sur les pesticides et la santé dressait des conclusions plutôt favorables à la poursuite de l'utilisation des phytos. Ce rapport parlementaire avait conclu qu'une baisse de 50 % de l'utilisation de produits phytosanitaires fixée par le Grenelle d'ici 2018, serait néfaste à l'agriculture française car ''trop brutale'' tout en préconisant un renforcement de la veille sanitaire.