Depuis plusieurs années, le véhicule autonome est élevé au rang d'innovation technologique présentant un intérêt majeur en termes de mobilité et, par conséquent, de transition écologique. En décembre 2020, les ministres des Transports et de l'Industrie ont présenté dans une feuille de route pour 2020-2022 une trentaine d'actions visant à favoriser son développement. Déjà en 2018, le rapport d'Anne-Marie Idrac, Haute responsable pour la stratégie de développement du véhicule autonome, présentait cette technologie comme une alternative écologique à la voiture thermique. Selon ce rapport, ce type de véhicules serait électrique, permettrait une conduite plus efficiente car plus fluide, pourrait être plus léger grâce à de meilleures performances de sécurité, serait davantage partagé et favoriserait le report modal en étant complémentaire aux transports en commun. Mais ces promesses seront-elles tenues ? C'est à cette question que les think tank Forum vies mobiles et La Fabrique écologique ont répondu à travers une étude basée sur des auditions d'experts et d'acteurs du secteur. Et le résultat est loin d'être aussi élogieux qu'annoncé.
Des conséquences écologiques « potentiellement catastrophiques »
Première évidence mise à mal : le véhicule autonome ne sera pas forcément électrique. « Pensé dès sa genèse comme un véhicule électrique en raison de la convergence des temporalités liées à ces deux innovations, le véhicule autonome n'est pas en lui-même porteur de la motorisation thermique ou électrique », conclut l'étude. En effet, de nombreuses incertitudes persistent encore sur les types de motorisations et d'énergie auxquelles il pourra avoir recours. Et, loin d'être une technologie de rupture, le véhicule autonome est développé selon une logique incrémentale d'adaptation d'un véhicule classique.
Deuxième point, les scénarios de déploiement envisagés risquent d'accroître les besoins de mobilité et provoquer des effets rebonds. Trois principaux scénarios sont envisagés aujourd'hui : la voiture autonome individuelle possédée par les particuliers ; la flotte de taxis autonomes, dits « robots-taxis » ; et les navettes autonomes pour le transport collectif des voyageurs. « Du point de vue environnemental, ce sont les deux premiers qui présentent le plus de risques. En rendant les déplacements plus attrayants, ils font courir le risque de nombreux effets-rebonds : augmentation des distances parcourues et étalement urbain, production en masse de véhicules high-tech, circulation à vide, etc. Selon les scénarios, l'évolution de la consommation d'énergie du parc automobile pourrait ainsi aller d'une diminution par deux, jusqu'à une multiplication par trois ! », concluent les deux think tank dans leur étude. Or, les expérimentations en cours ne se focalisent pas du tout sur le scénario le plus vertueux. Sur les 16 expérimentations de l'appel à projets national « Expérimentation du véhicule routier autonome », seules deux ont porté sur la mobilité collective dans les territoires ruraux, alors même que ces derniers sont présentés comme étant les plus pertinents d'un point de vue écologique (limiter l'autosolisme) et social.
Et c'est sans compter l'impact énergétique lié aux énormes quantités de données qui seront échangées entre les véhicules : jusqu'à 1 Go par seconde pour un véhicule connecté, soit 1,3 million de Go par an pour un Français moyen (nécessitant très probablement la 5G). Il faut ajouter à cela les émissions de CO2 liées à la production, l'installation, la maintenance, le renouvellement et la gestion des déchets d'un ensemble d'objets et d'infrastructures sur route ou embarqués. Par ailleurs, le véhicule autonome ne sera pas prêt suffisamment tôt pour participer à la décarbonation nécessaire du secteur des transports d'ici 2050. Du côté de la recherche, la compétition est intense et mondiale, certes, mais la mise en place du cadre réglementaire pour l'arrivée de ces véhicules sur la voie publique progresse lentement.
Flécher l'argent vers des projets plus écologiquement et socialement utiles
En tout état de cause, l'argument écologique ne peut plus être avancé pour justifier cette politique favorable aux véhicules autonomes. Et c'est sans compter les conséquences sociales soulevées aussi par l'étude : « À l'heure d'une forte récession économique, où les dégradations environnementales et la montée de la pauvreté et de la précarité menacent le maintien du modèle social, alors que la fracture numérique n'a jamais été aussi importante et handicapante, et où les besoins essentiels de la population française en termes de soins, d'éducation ne sont plus couverts de manière satisfaisante, est-ce que l'investissement dans ces automobiles du futur constitue une priorité ? », interrogent les auteurs de l'étude qui appellent un véritable débat public sur la question. « Comme le montre la question de la 5G, et plutôt que d'être mis dans quelques années devant le fait accompli, il vaut mieux s'y prendre à temps pour débattre de l'adaptation de ce moyen de transport et des autres solutions de mobilité et d'organisation du territoire. L'objectif n'est pas d'être pour ou contre cette technologie, mais de développer les meilleures solutions correspondant à un vrai besoin et compatibles avec la lutte contre le changement climatique et la nécessaire transition écologique », selon Géraud Guibert, président de La Fabrique écologique.