Cotation en bourse, rentabilité et comportements responsables font-ils bon ménage ? C'est ce que plusieurs rapports récents ont cherché à savoir. Publiée le 17 avril dernier en association avec la plateforme d'évaluation en RSE Ecovadis, l'étude du cabinet de conseil Bain & Company « Does ESG Efforts Create Value ? » a évalué la corrélation entre les pratiques ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) de 100 000 entreprises et leurs performances financières. Selon ses calculs, celles qui mettent en place des activités ESG solides affichent aussi les résultats financiers les plus robustes. Ainsi, l'adoption de pratiques éthiques, environnementales et sociales au sein de leur chaîne d'approvisionnement leur aurait permis d'atteindre un ebitda (bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) moyen de 14 % entre 2019 et 2021, au lieu de 11 % pour les autres.
Il en irait de même pour celles qui comptent le plus grand nombre de femmes dans leur équipe de direction. Les 25 % d'entreprises les plus performantes en la matière bénéficieraient d'une croissance moyenne de leurs revenus de 4 %, contre 2 % pour les 25 % les moins vertueuses, et de 12 % de leur ebitda, contre 9 % pour les autres. Dans les secteurs à forte densité en carbone, transports et industrie notamment, les entreprises qui bénéficient des notes les plus élevées sur les sujets environnementaux ont aussi plus souvent recours aux énergies renouvelables. Cette protection contre les fluctuations des prix des énergies fossiles associée à des taxes carbone moins fortes leur assure des marges plus conséquentes que la moyenne.
Des engagements qui rapportent
La société d'analyse et de gestion de portefeuilles responsables Axylia se montre un peu moins enthousiaste. Ses collaborateurs se sont intéressés à quelque 800 sociétés cotées en bourse ayant fait valider leur stratégie de transition bas carbone par la démarche SBTI (Science Based Traget Initiative). Ils ont estimé leur « risque carbone », autrement dit leur capacité à payer leur facture carbone au fur et à mesure de l'augmentation du prix dus CO2. Dans ce but, ils ont calculé un « score carbone », allant de A (le meilleur) à F (le moins bon), en combinant leur ebitda, leurs émissions de CO2 en fonction de leurs engagements, et le prix du carbone, soit 113 euros en 2020, 200 en 2030. Résultat : les sociétés les plus ambitieuses pour leurs scopes 1 et 2 (émissions directes et liées à l'énergie) obtiennent de bons scores carbone, donc de bons résultats financiers.
Des entreprises modèles peu nombreuses
Partir d'un bilan carbone médiocre, mais avec de grandes ambitions, n'empêche pourtant pas d'atteindre de bons scores. Avec des baisses de 15 % et 14 % de leurs émissions, certaines compagnies obtiennent ainsi des scores A ou B. Mais, globalement, les perspectives ne s'annoncent pas très encourageantes. Selon les estimations d'Axylia, la facture carbone des entreprises serait de 1 760 milliards d'euros en 2030, pour 1 300 milliards en 2020, en hausse de 35 % alors qu'elle devrait stagner. Les engagements des entreprises étiquetées STBI se traduiraient par des baisses des émissions de 2,2 %, quand la cible indiquée par le Giec est de 28 %. « Elles ne nous emmènent pas dans un monde à - 2°C, constate Ferdinand Rafly. Beaucoup d'entreprises vont voir leurs émissions augmenter parce que leur chiffre d'affaires grossit. »
Pour Axylia, 45 % des entreprises du CAC40 se révèleraient incapables de faire face à leur facture carbone. Aucun des 50 plus gros fonds investis en actions Europe et zone euro, immatriculés en France, n'obtiendrait le niveau A. Le score carbone serait même « négatif » (D, E ou F) pour 36 d'entre eux qui cumulent 46 milliards d'euros, soit 72 % de cet échantillon. Les fonds labellisés « investissement socialement responsable » (ISR) ne feraient pas beaucoup mieux : 64 % d'entre eux obtiendraient également un score carbone « négatif », estime la société d'analyse.
Les entreprises qui s'engagent sur des réductions en intensité (pourcentage par euro de chiffre d'affaires), et non sur des réductions en « absolu », pour les scopes 1 et 2, ne représentent que 11 % du total, mais elles sont à l'origine de 53 % des émissions totales de l'échantillon. Sur le scope 3, 59 % s'engagent en réductions « absolues ».
Un bilan insuffisant
Guidés par Xavier Blot, codirecteur du master « gestion de la transition énergétique » de l'EM Lyon Business School, épaulés par le média L'Usine à GES, des étudiants de cette école et d'autres de l'école d'ingénieurs Ecam Lasalle se sont livrés à un exercice un peu similaire avec les entreprises du CAC40, ces poids lourds de l'économie française qui pèsent plus de 2 milliards d'euros en bourse et émettent plus de 1300 millions de tonnes équivalent CO2. En compilant diverses sources (données publiques, documents d'enregistrement, rapports RSE… ), ils ont établi ce qu'ils appellent le « CACarbone » de ces groupes : la mesure de l'évolution de leur chiffre d'affaires par
Cette étude ne livre pas toutes les clefs de chacune de leur trajectoire. Et l'absence de prise en compte du scope 3, les émissions liées à leur chaîne de valeur et à la circularité de leurs produits, offre une vision partielle de la réalité. Ainsi, une entreprise peut avoir diminué ses émissions carbone et amélioré son indice seulement parce que son chiffre d'affaires a baissé. À l'inverse, une société ayant fait de gros efforts peut voir son indice stagner parce que son volume de production a augmenté. Mais ce travail dévoile quelques tendances. Globalement, l'indice progresse de 79 % entre 2017 et 2021, + 15,8 % par an, le chiffre d'affaires des entreprises ayant augmenté de 29 % pour 11 % d'émissions en moins. À titre de comparaison, le CACarbone de l'ensemble de l'économie française ne serait que de 20 % pour la même période. La progression s'avère hétérogène selon les secteurs : + 211 % pour les services, + 102 % pour l'industrie, + 84 % pour l'énergie, + 57 % pour la bancassurance, + 39 % pour le luxe, + 38 % pour l'agroalimentaire. Des résultats relativement médiocres lorsque l'on tient compte de la valorisation boursière de ces multinationales : + 300 % ces dix dernières années.