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AccueilGabriel UllmannÉvaluation environnementaleL'évaluation environnementale des projets : une peau de chagrin (5/7)

L'évaluation environnementale des projets : une peau de chagrin (5/7)

Dans ce nouveau volet de la série d'articles consacrés à l'évaluation environnementale, Gabriel Ullmann s'attache à démontrer que l'évaluation environnementale sert à lutter contre l'épuisement de la biodiversité mais aussi à protéger la santé humaine.

Publié le 13/11/2019

« L'homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son insouciance pour l'avenir et ses semblables, semble travailler à l'anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. (…) On dirait que l'homme est destiné à s'exterminer lui-même, après avoir rendu le globe inhabitable ». Aphorisme contemporain ? Il s'agit d'une citation du savant Jean-Baptiste de Lamarck, qui alertait, dès 1820, sur l'évolution de notre planète1.

Nous avons vu que l'évaluation environnementale était la clé de voûte du droit de l'environnement, mais combien les gouvernements successifs ont agi pour exclure de toute évaluation un nombre croissant de projets… tout en s'épanchant dans des discours enflammés (voir notamment les articles sur ce thème : 2/7 et 3/7). Cela participe à la disparition accélérée de la biodiversité et aux graves atteintes portées à la santé humaine.

La santé humaine durablement affectée

La pollution atmosphérique tue chaque année en Europe plus de 500 000 personnes de manière prématurée ; en France, la pollution de l'air est à l'origine de 48 000 décès prématurés par an. Un nouveau cas de diabète sur sept dans le monde est dû à cette pollution2. Le coût supporté en France par la société s'élèverait à 101 milliards d'euros, selon un rapport de la Commission d'enquête du Sénat de juillet 2015.

Le bruit est considéré par la population française comme la principale atteinte à la qualité de vie. Outre les traumatismes auditifs qu'il provoque, le bruit est à l'origine de troubles cardiovasculaires, de troubles du sommeil, du comportement et des fonctions digestives. Selon l'OMS, dès 50 dB des maladies peuvent survenir (cardio-vasculaires notamment). Or une large partie de la population est exposée à des niveaux bien plus élevés. Selon l'Anses, une quantification des effets sanitaires dus au bruit peut même être déterminée en termes d'« années de vie en bonne santé perdues3 ». À cette exposition quotidienne s'ajoute l'exposition aux produits chimiques (pesticides, perturbateurs endocriniens, etc.). Comme le rappelle un rapport de l'Inserm publié en 2013, « des associations positives ont été constatées entre l'exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies, comme la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et des cancers hématopoïétiques (lymphome non hodgkinien, myélomes multiples). En outre, un facteur de risque existe pour le développement de l'enfant s'il est exposé lors des périodes prénatale, périnatale et lors de la petite enfance. » La très large dissémination des polluants provient du fait que les produits ne touchent pas tous leur cible. Selon l'Inra, la déperdition des produits phytosanitaires par exemple lors de leur application « est de l'ordre de 10 à 70 % vers le sol et de 30 à 50 % vers l'air. Ces pertes sont liées aux engins de dispersion. Les fumigations du sol renvoient aussi 20 à 30 % des produits dans l'air4. » La distance de 5 m ou 10 m (et même 3 m pour la viticulture !) qui serait bientôt à respecter pour l'épandage des pesticides par rapport aux habitations (et non pour les jardins) se passe de tout commentaire.

La dispense de toute évaluation environnementale (étude de dangers, étude d'impact) dont a bénéficié le site de Lubrizol à Rouen, et la mise à l'écart de l'autorité environnementale concernant le dépassement de ses capacités autorisées pour de grandes quantités de produits dangereux, en dit long sur l'étendue de la déréglementation. Et cela alors même qu'il s'agit d'un site Seveso « seuil haut » en agglomération, et qui avait été à l'origine de plusieurs incidents sérieux il y a quelques années à peine.

Quand la déréglementation attente aussi bien la santé que la biodiversité

Un arrêté interministériel du 4 mai 2017 fixe, pour les dix années à venir, les règles d'usage des pesticides en prescrivant des zones strictement interdites aux pesticides pour la préservation des milieux aquatiques et de l'eau potable. L'enjeu n'est rien moins que de défendre la santé des populations exposées, l'eau que nous buvons, la vie dans nos rivières. L'arrêté laisse le soin à chaque préfet d'identifier précisément les « points d'eau » dans son département et de délimiter ainsi des « zones de non traitement ». Dans de nombreuses régions, comme en Auvergne-Rhône-Alpes, les préfets ont retenu la même règle de recensement des points d'eau à préserver : ceux mentionnés sur des cartes IGN. Ils ont ainsi écarté tous les cours d'eau et les points d'eau comme les mares, étangs, zones humides qui n'y figurent pas, ne tenant compte ni de la diversité de ses sols, des climats, de la topographie et de la géologie, ni de la disparité des zones à protéger qui en découle. Ils ont même ignoré les périmètres de protection de captage d'eau potable (qui ne sont pas repris sur les cartes IGN) !

L'effondrement de la biodiversité

En matière de biodiversité, l'effondrement est déjà là. Peut-on qualifier autrement la disparition des trois-quarts des populations d'insectes, base de toute chaîne alimentaire ? Une étude de la Krefeld Entomological Society, parue le 18 octobre 2017 dans la revue PLOS One, démontre ainsi qu'en 27 ans, plus de 75 % de la biomasse des insectes volants a disparu au sein d'espaces pourtant protégés en Allemagne. Des travaux conduits en France par le CNRS Plaine et Val de Sèvre confirment le même déclin des insectes : 80 % depuis 25 ans.

Une publication conjointe du Muséum national d'histoire naturelle et du CNRS le 20 mars dernier, révèle « une accélération de ce déclin sur les sites de deux réseaux de suivi ». Le suivi temporel des oiseaux communs montre une chute de 38 % des effectifs d'oiseaux des milieux agricoles en quinze ans à peine. Ce déclin est même de 50 % en Europe depuis 19805. Les quinze espèces menacées, inscrites sur la Liste rouge des oiseaux nicheurs métropolitains, ont décliné de 75 %. L'année 1979 a enregistré la première disparition d'une espèce d'oiseau en France (la Pie-grièche à poitrine rose). Plus de 40 % des espèces d'amphibiens, près de 33 % des récifs coralliens et plus d'un tiers de tous les mammifères marins sont menacés, etc.

De même pour les espaces marins, les enjeux sont très importants puisque la France possède le deuxième espace maritime au monde, dont 22,3 % sont justement classés « Aires Marines Protégées ». Pourtant dans ces zones, en dépit des recommandations des scientifiques et malgré l'effondrement de la biodiversité marine, de nombreuses activités ayant un impact significatif sur les espèces et habitats, continuent de se développer. Résultat : seulement 1,5 % des mers françaises sont en réalité correctement protégées.

Selon le rapport 2019 de l'IPBES (le « GIEC » de la biodiversité), « la nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine, et le taux d'extinction des espèces s'accélère, provoquant, dès à présent, des effets graves sur les populations humaines du monde entier ». « La réponse mondiale actuelle est insuffisante ». L'IPBES conclut que des « changements transformateurs » sont nécessaires pour protéger et restaurer la nature, et que « les intérêts particuliers doivent être dépassés pour le bien de tous ». Lamarck ne disait pas autre chose en 1820…

Le réchauffement climatique : triple peine pour la biodiversité

Dans ce contexte déjà fortement préjudiciable pour la biodiversité, le réchauffement climatique se traduit par des atteintes supplémentaires. L'élévation des températures conjuguée aux sécheresses, inondations et autres cataclysmes, provoque déjà la dégradation des habitats et la modification de la biologie des espèces. À cette peine, s'ajoute celle des mesures prises contre la sécheresse qui génèrent d'autres impacts sur la biodiversité comme les barrages et retenues collinaires, ou les pompages pour l'irrigation de terres agricoles. Le décret 2019-827 du 3 août 2019 a gravement accentué cette situation, en abaissant considérablement l'exigence de débit minimal biologique garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces aquatiques.

Jusqu'alors, conformément à l'article L.214-186, ce débit minimal ne devait pas être inférieur au dixième du module7 du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage. La circulaire du 5 juillet 2011, relative à l'application de cet article, précise que le débit minimum biologique doit être déterminé sur la base d'une étude spécifique dans le cadre de la procédure d'autorisation. Cette étude doit analyser les incidences d'une réduction des valeurs de débit à l'aval de l'ouvrage sur les espèces vivant dans les eaux, et doit tenir compte des besoins de ces espèces aux différents stades de leur cycle de vie, ainsi que du maintien de l'accès aux habitats qui leur sont nécessaires. « Le débit minimum biologique qui sera fixé à l'ouvrage, ne doit pas être inférieur à une valeur plancher qui est, pour la règle générale, le 10e du module interannuel du cours d'eau ».

Un débit minimal biologique est un débit minimal. On en conviendra. Mais plus maintenant avec le décret du 3 août 2019 précité. Et cela pour satisfaire les demandes des agriculteurs (rappelons que la France est de très loin le premier pays européen producteur de maïs, avec 48 % du total). Désormais, sur une grande partie de la France, il y a encore plus minimal que minimal : il est introduit la notion de « débit minimal inférieur » qui ne peut pas être inférieur au quarantième du module, soit quatre fois plus faible que le débit minimal biologique… qui était jusqu'alors le plancher minimal. Le ministère de « la Transition écologique » précise toutefois que le décret « limite ce débit à une durée de trois mois à l'intérieur de la période d'étiage estival ». La vie biologique est donc priée d'attendre trois mois, en pleine sécheresse. Cela n'a nullement empêché le même ministère de saluer, dans le même temps, l'inscription de « l'urgence écologique » dans l'article 1er du projet de loi relative à l'énergie et au climat.

Enfin, troisième peine : pour lutter contre l'émission de gaz à effet de serre, les énergies renouvelables se développent mais elles ne sont souvent pas sans conséquence sur les milieux naturels, la faune et la flore, où elles sont implantées (parcs solaires, éoliennes terrestres et offshore). Ainsi, il vient d'être décidé que les « friches » militaires seraient mobilisées pour l'implantation de grands parcs solaires. Or ces milieux, épargnés de tout aménagement et dérangement, recèlent une très riche et rare biodiversité. Les conséquences néfastes sur la biodiversité pourraient être majeures.

L'évaluation environnementale : un formidable rendez-vous manqué

L'évaluation environnementale est en soi un formidable outil, comprenant l'élaboration par le maître d'ouvrage d'une évaluation des incidences sur l'environnement (étude d'impact dans de nombreux cas), la réalisation de consultations ainsi que l'examen par l'autorité décisionnaire des informations recueillies dans ce cadre et se trouvant dans l'étude d'impact. Le contenu de cette étude, visé par l'article R.122-5, devrait permettre d'analyser, de façon efficace, les incidences notables générées par les projets, et d'y remédier par la démarche ERC (éviter, réduire et compenser les impacts). Or, d'omissions en dérogations, en régressions, le résultat est connu de tous : le bilan est largement négatif.

Les régressions du droit de l'environnement sont devenues un fondamental de notre droit

Rappelons qu'au fil des modifications de la nomenclature, ce sont des pans entiers qui ont basculé, au mieux, dans le régime de l'examen au cas par cas, quand ce n'est pas hors du régime de toute évaluation environnementale. Ainsi, les barrages de retenues (retenues agricoles ou pour les stations de sports d'hiver) ont longtemps été soumis à l'évaluation environnementale systématique compte tenu de leurs impacts. Ne sont maintenant soumises à évaluation que les installations dont le volume d'eau est supérieur ou égal à un million de mètres cube, ou dont la hauteur est supérieure ou égale à vingt mètres.

Le décret n°2017-1845 du 29 décembre 2017 autorise des préfets à déroger aux normes réglementaires dans de nombreux domaines (dont l'environnement). Un autre décret du 29 décembre 2017, permet à des directeurs des agences régionales de santé de déroger aux normes dans leur domaine de compétences. Le décret n°2018-1217 du 24 décembre 20188 remplace, dans certaines régions, les enquêtes publiques par de simples consultations électroniques du public (sans affichage sur le terrain et avec des durées de consultation souvent réduites à quinze jours). Comme de bien entendu, devant les députés, mardi 29 octobre 2019, le secrétaire général du Gouvernement a indiqué que ces dispositifs expérimentaux, accordés fin 2017, s'étaient « avérés utiles » et que le Premier ministre envisageait, en 2020, « de passer à une étape supplémentaire à la fois sur les matières et sur les territoires géographiques ».

Ce sont aussi les projets de décret qui prévoient la déconcentration de la délivrance des autorisations de travaux dans les sites classés (préfets au lieu du ministre de l'Environnement), la désinscription de 557 sites considérés comme irrémédiablement dégradés, preuve supplémentaire de la défaillance des mesures de protection, ou couverts par une autre mesure de protection. C'est également le projet de décret qui, au nom de la déconcentration des décisions, a pour objet de dessaisir le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) pour 80 % des dossiers qui lui sont encore soumis (lequel déplaît pour donner « trop d'avis défavorables » en matière de dérogation pour la destruction d'espèces protégées).

C'est encore tout récemment qu'une nouvelle mission parlementaire relative à l'accélération des procédures obligatoires préalables à une implantation industrielle, va conduire à de nouvelles modifications légales en vue de nouvelles dérégulations. Etc., etc. Dans le même temps, on se targue du projet d'inscrire à l'article 1er de la Constitution : « La République favorise toutes les actions en faveur du climat et de la biodiversité ».

 

Avis d'expert proposé par Gabriel Ullmann, docteur en droit, docteur-ingénieur, MBA de HEC.
Gabriel Ullmann a été membre de l'Autorité environnementale durant six années.

1 JB. Lamarck, ''Système analytique des connaissances positives'', 1820, publié par PUF, 1988, pp. 154-155
2 Respectivement rapport 2018 de l'Agence européenne de l'environnement sur la qualité de l'air, Rapport 2016 de l'Agence Santé Publique France, étude publiée dans The Lancet Planetary Health, le 29 juin 2018
3 Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES),
4 Rapport parlementaire sur pesticides et santé, avril 2010
5 Commission européenne, « 40 ans de Directive Oiseaux », Natura 2000, n° 46, août 2019
6 Tous les articles cités relèvent du code de l'environnement
7 Correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années.
8 Pris en application des articles 56 et 57 de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance (sic). Incidemment, relevons les dates de tels décrets qui encadrent la période de Noël.

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3 Commentaires

Pégase

Le 14/11/2019 à 9h47

Au fil du temps, on a défriché, cultivé, aménagé, construit et artificialisé en partant du plus facile vers le plus technique et coûteux. Ne reste plus aujourd'hui que de la démolition/reconstruction, du réaménagement de l'existant et de l'artificialisation de ce qui ne l'est pas encore, soit parce qu'il s'agit d'opérations complexes techniquement et économiquement, soit parce que les sites "vierges" jouissent d'un certain niveau de protection juridique. Or, quoi de plus plus économique pour aménager que d'affaiblir, voire supprimer, cette dernière ?! C'est ce qui est en train de se passer : on détricote le droit de l'environnement (comme celui du travail du reste) en douce, c'est une constante. Mais attention, on a l'art et la manière en France : on sait manier la langue pour mieux endormir le quidam ! Il y aura toujours des plumitifs talentueux pour écrire de fumeux rapports et des discours lénifiants assénant qu'avec moins, c'est mieux... puisqu'on vous le dit ! La main droite continue d'ignorer ce que fait la gauche, toujours cette même schizophrénie.
Et peu importe s'il y a d'autres AZF, Lubrizol, Seveso ou même Tchernobyl : sur les volumes de cash-flow générés, il y a forcément un taux d'accidents, de "déchets", c'est inévitable (le risque zéro est un mythe)... Et du moment que les décideurs ne sont pas directement touchés, où est le problème pour eux ?
Cette fuite en avant ne porte rien de bon en elle.

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Sirius

Le 14/11/2019 à 10h45

Tableau aussi juste que lamentable . Comment agir sur un président en réalité hostile à tout ce qui relève de l'écologie ?

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La souris verte

Le 19/11/2019 à 18h57

Merci pour ce long article si bien documenté qui ne fait que nous confirmer dans ce que nous savons déjà, hélas. Sarkosy disait: ' l'écologie ça commence à bien faire! Macron ne le dit pas, c'est pire, il détricote tout ce qui pourrait faciliter les mesures écologiques capables de sauver ce qui reste de biodiversité, de qualité de l'air et de l'eau, mais tout en proférant de beaux discours. le et en même temps a des limites, basta.
Partageons cet article autant que faire se peut.

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