Les substances chimiques à risque sont présentes dans l'alimentation humaine et animale à faible dose, voire à l'état de traces. Pour ces niveaux d'exposition, les données toxicologiques sont souvent limitées ou inexistantes, et les effets difficilement identifiables. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il n'y en a pas !
L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) envisageait donc, dans un projet d'avis publié en septembre dernier, d'utiliser l'approche du seuil de préoccupation toxicologique (SPT) pour estimer les risques liés à ce type d'exposition. Une consultation publique a été lancée à cette occasion, et après avoir obtenu les avis desparties intéressées et des partenaires européens et nationaux (agence européenne des produits chimiques, agence européenne des médicaments et comités scientifiques non alimentaires de la Commission européenne), le comité scientifique de l'EFSA recommande l'utilisation de l'approche "en tant qu'outil de filtrage utile pour évaluer les risques chimiques".
Intégrer la probabilité dans l'évaluation du risque
"L'approche SPT est fondée sur le principe que la probabilité de toxicité est liée à l'étendue et à la durée de l'exposition à une substance. Pour de nombreux types d'effets toxiques, un seuil de dose en dessous duquel les effets nocifs ne sont pas observés peut être identifié lors d'études expérimentales", rappelle l'EFSA. Par analogie, des seuils génériques d'exposition aux produits chimiques (valeurs SPT) ont été établis, pour des groupes de substances présentant une structure chimique et une probabilité de toxicité similaires. "En adoptant une approche prudente, les structures chimiques ont été groupées en trois grandes catégories: toxicité faible, modérée et élevée (nommées respectivement classes de Cramer I, II et III). Des valeurs SPT en ont été dérivées pour chaque classe de Cramer".
Ainsi, "les substances non testées peuvent être évaluées de manière conservatrice en comparant la valeur SPT appropriée avec des données fiables sur l'exposition humaine. Si l'exposition humaine à une substance donnée est inférieure au seuil de préoccupation correspondant à sa classe structurale, la possibilité d'effets nocifs est considérée comme très faible". Cette méthode permettrait, selon l'EFSA, de consacrer les ressources disponibles à l'évaluation des risques des substances prioritaires, autrement dit celles auxquelles la population est la plus exposée ou pour lesquelles il existerait une population particulièrement sensible.
L'évaluation conventionnelle recommandée pour certaines substances
"Contrairement à certaines critiques formulées à l'encontre de l'EFSA, l'approche SPT ne remplace pas l'évaluation complète des risques associés à des produits réglementés tels que les pesticides ou les additifs utilisés en alimentation humaine et animale, pour lesquels la législation exige la soumission de données toxicologiques précises", indique l'agence.
Pour ces deux types de substances ainsi que pour les cancérogènes hautement puissants, les substances inorganiques, les métaux et les composés organométalliques, les protéines, les stéroïdes, les substances bioaccumulables connues ou soupçonnées, les nanomatériaux, les substances radioactives et les mélanges de substances de structures chimiques inconnues, l'EFSA estime que les valeurs SPT ne devront pas être utilisées comme alternative à l'évaluation conventionnelle des risques.
"L'approche SPT ne peut être utilisée que lorsque la structure chimique de la substance est connue et lorsqu'on s'attend à ce que l'exposition soit très faible, précise l'agence. (…) Elle peut potentiellement être utilisée en relation avec de faibles niveaux d'exposition à des impuretés, des produits de dégradation et de réaction, des métabolites (par exemple des pesticides) et d'autres contaminants dans l'alimentation humaine et animale. Une utilisation plus large de l'approche SPT pourrait aussi, au cas par cas, inclure des approches à plusieurs niveaux où les exigences en matière de tests de toxicité seraient liées au niveau d'exposition humaine".
Parmi les critiques, celles de Générations futures qui indiquait en septembre dernier que si les seuils de préoccupation toxicologique étaient appliqués aux pesticides, ''d'un seul coup tous les pesticides deviendraient sans danger pour les humains''. Plus largement, l'association déclarait que cette méthode ''n'a rien à voir avec la science. Elle est une construction artificielle pour laquelle l'industrie a fait pression à tous les niveaux dans les quinze dernières années pour garantir l'accès au marché à un large éventail de produits chimiques'' et qu'elle constituait "une menace majeure pour la santé des citoyens de l'UE".
L'agence se dit "consciente du fait qu'en ouvrant la voie à une utilisation plus large de l'approche SPT, elle peut ne pas être bien reçue ou comprise. Nombreux sont ceux qui considéreront que tout produit chimique présent dans l'alimentation humaine ou animale doit être soumis à des tests de toxicité suivis d'une évaluation des risques fondée sur des données provenant d'expériences sur des animaux".