Afin d'améliorer les études coûts-bénéfices des projets publics, il conviendrait d'augmenter la valeur des aménités (la valeur statistique de la vie, le coûts de la pollution atmosphérique et des nuisances sonores, ou encore la valeur tutélaire du carbone) et d'intégrer la biodiversité au calcul sous la forme du coût de son maintien au niveau actuel. Telle est la principale recommandation concernant les questions environnementales du rapport relatif à l'évaluation socioéconomique des investissements publics présenté en septembre par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) qui, depuis avril 2013, remplace le Centre d'analyse stratégique (CAS). Le document suggère aussi d'élargir le champ des effets pris en compte, de tenir compte des incertitudes et de mieux évaluer les impacts à long terme.
Jusqu'à présent, les derniers travaux français sur l'évaluation socioéconomique des projets publics
Cette approche s'appliquait déjà aux domaines des transports et de l'énergie, mais depuis la loi d'évaluation pluriannuelle des finances publiques du 31 décembre 2012, elle devient obligatoire pour tous les investissements civils financés par l'Etat, soit 15% de l'ensemble des investissements réalisés en France.
A titre d'exemple, l'approche socioéconomique dans le cadre de la prévention des inondations comparerait les coûts de construction et d'entretien d'une digue avec les avantages liés à la protection des terres agricoles et des habitations.
De manière générale, la démarche de l'évaluation socioéconomique consiste à recenser les agents impactés positivement ou négativement par le projet et à évaluer les conséquences en terme monétaire pour s'assurer que les bénéfices l'emportent sur les coûts. S'agissant des impacts, "les effets sur l'environnement se mesureront en quantité de polluants ou de bruits émis", rappelle le document, ajoutant qu'"en matière de santé, les effets se traduiront en nombre de malades guéris et d'années de vie gagnées". Bien sûr, ces impacts sont difficilement traductibles en terme de coûts. De manière générale, les différentes méthodes disponibles visent à apprécier, pour les agents qui subissent les effets en question, ce qu'ils seraient prêts à payer pour ne pas les subir.
Dans le cadre de ce rapport, les auteurs ont constaté que ces coûts sont sensiblement sous-évalués. Un constat qui avait déjà été fait par divers experts du sujet, et notamment ceux chargés d'évaluer le coût de la pollution atmosphérique en France. En conséquence, "la valeur statistique de la vie, ce paramètre qui intervient lorsqu'on doit évaluer l'intérêt de mesures qui réduisent le risque de décès par accident, est augmentée de près de 100 % par rapport aux valeurs antérieures", explique le document, ajoutant que "les coûts de la pollution atmosphérique sont accrus d'environ 50% ainsi que ceux des nuisances sonores".
De même, la valeur tutélaire du carbone, c'est-à-dire la valeur monétaire des émissions de CO2 retenue pour évaluer les investissements, pourrait être revue. Se basant sur le rapport Quinet réalisé pour le CAS en 2008, les auteurs du présent rapport jugent qu'il conviendrait de rehausser la valeur actuelle du carbone de 32 euros (en "euros 2010") à 42 euros. Néanmoins, compte tenu de la crise, ils suggèrent de la maintenir à 32 euros tout en s'assurant qu'elle "croît plus fortement dans le temps".
Maintenir en l'état la biodiversité
Le rapport se penche aussi sur la prise en compte de la biodiversité et constate tout d'abord que les connaissances sont pour l'instant insuffisantes pour déterminer des valeurs de référence reconnues. "Certes, l'idéal serait de disposer de valeurs permettant une prise en compte des multiples atteintes à la biodiversité", explique le rapport, mais, pour l'instant, "les valeurs de la biodiversité estimées dans [le rapport Chevassus-au-Louis de 2009 et les travaux du CGDD en 2011] sont des valeurs a minima ne représentant qu'une partie du champ des services éco-systémiques produits par les écosystèmes en question".
Aussi propose-t-il d'intégrer la biodiversité sous la forme du coût de son maintien au niveau actuel. "Lors de l'évaluation socioéconomique jointe au dossier d'enquête publique, il convient d'intégrer les coûts des mesures « éviter, réduire et compenser » dans les dépenses du projet", recommandent les auteurs du rapport. Ils estiment qu'en s'appuyant sur ce triptyque, il est possible de prendre en compte les objectifs de biodiversité, non en évaluant le coût des réductions de biodiversité entraînés par l'infrastructure, mais en intégrant dans le coût de réalisation du projet les suppléments nécessaires au maintien du niveau antérieur de biodiversité.
Réduire les taux d'actualisation
Enfin, le rapport traite de diverses questions permettant de fiabiliser les évaluations socioéconomiques des projets et de mieux prendre en compte le long terme. Ainsi, la révision à la baisse des taux d'actualisation, qui permet de ramener à une même date des euros dépensés ou gagnés à des années différentes, pourrait sensiblement modifier les résultats des études. "Le taux d'actualisation a (…) un rôle central, dans la mesure où il fait l'arbitrage entre le présent et le futur : un taux élevé donne un faible poids au futur, un taux bas signifie que nous nous préoccupons davantage des générations futures", rappelle le rapport qui suggère "[d'abaisser] le taux d'actualisation sans risque à 2,5% pour les prochaines années, et 1,5% dans le futur éloigné".
De même, les évaluations socioéconomiques n'ont d'intérêt que si elles sont prises en compte par les décideurs. Pour améliorer la gouvernance, le document recommande de fiabiliser les évaluations en développant des contre-expertises indépendantes et en faisant expertiser et certifier les modèles complexes. De même, il propose d'engager un effort de communication pour traduire les démarches du calcul socioéconomique en langage simple, et éviter l'effet "boîte noire". Dernière suggestion, il faudrait étendre le champ d'utilisation de l'analyse socioéconomique, d'une part en élargissant sa pratique à tous les secteurs, et d'autre part en l'appliquant non pas seulement aux investissements, mais également à l'entretien et à la conservation des infrastructures existantes.