Signe du caractère stratégique d'un secteur à la croisée de nombreux enjeux (environnement, souveraineté industrielle et énergétique, relocalisation de l'activité économique et des emplois), c'est à Bercy que Federec a obtenu de présenter les chiffres 2021 du recyclage en France. En préambule du tableau, la diffusion d'une vidéo dans laquelle le ministre de l'Industrie, Roland Lescure, a rappelé que le développement de l'industrie du recyclage est un « enjeu décisif pour accomplir [les] ambitions écologiques [du gouvernement] ». Et que ce dernier partage avec les recycleurs un objectif commun, celui de « faire de la France un leader mondial du recyclage ».
Les ambitions sont donc grandes pour cette industrie, qui a signé, en 2021, une année historique. Si l'on devait ne retenir qu'un chiffre dans la série présentée, mardi 8 novembre, à Bercy, ce serait sans doute celui de 10 milliards d'euros. En effet, pour la première fois, en 2021, le chiffre d'affaires de la filière a franchi cette barre symbolique, pour s'établir à 10,8 milliards d'euros – en hausse de 42 % par rapport à 2020, quand il avait décliné de 10,7 %, à 7,6 milliards.
En parallèle de cette hausse des tonnages collectés, les prix des matières premières issues du recyclage (MPiR) ont fortement progressé, « signe d'une demande forte sur les marchés », a commenté Manuel Burnand, directeur général de la fédération.
Métaux : une année d'exception
Pour les ferrailles, les prix de vente ont ainsi bondi de 50 % en moyenne entre 2020 et 2021, ce qui, avec la progression des tonnages vendus (+ 14 % à 12,2 Mt), a permis à la filière de dégager un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros, en hausse de 62 % sur un an.
Les mêmes causes ont produit les mêmes effets sur le segment des non-ferreux (MNF). Comme José de Azevedo, son collègue de la filière ferreux, Thierry Cochet, président de la filière MNF, évoque ainsi une « année d'exception », avec une augmentation de 19 % pour le prix du cuivre, monté au niveau record de 9 500 euros la tonne à la Bourse de Londres. L'envolée a été de 45 % pour l'aluminium, très recherché des consommateurs. Au point que certains recycleurs ont pu demander des hausses de 20, 30, voire 40 euros la tonne à chaque négociation de contrats, selon Thierry Cochet. Sous l'effet de cette hausse des prix de vente et de celle des tonnages vendus (+ 24 %, à 2,106 Mt), la branche MNF a vu son chiffre d'affaires bondir de 60 % sur un an, à 3,99 milliards d'euros.
Autre filière de poids – les métaux représentent un peu plus de 61 % du chiffre d'affaires total –, les papiers-cartons ont, eux aussi, connu une année 2021 exceptionnelle, avec un chiffre d'affaires qui s'est envolé de 95 % sur un an, à 1,052 milliard d'euros, là aussi sous l'effet combiné de la hausse des tonnages collectés et vendus (+ 8,8 %, à 6,874 Mt) et de l'explosion des cours.
Année assez inédite, enfin, que celle de 2021 pour les recycleurs des plastiques : pour la première fois, la filière a en effet passé le cap du million de tonnes collectées et recyclées, « soit une hausse de 13 % sur une seule année : du jamais vu », a commenté Christophe Viant, son président. Le chiffre d'affaires a grimpé de 79,7 %, à 260,6 millions d'euros, sous l'effet de cette augmentation des tonnes collectées et valorisées, mais également de prix de vente élevés. Ceux-ci ont surfé sur l'explosion de la demande, à cause des pénuries liées à la crise sanitaire, et de nombreuses incitations à accroître l'incorporation de recyclé dans les nouveaux produits. Conséquence, a encore expliqué M. Viant, « les prix de vente ont triplé (…). Pour la première fois, on a parlé en euros le kilo ».
Une année 2022 chahutée, des perspectives 2023 plutôt ternes
Seulement, les choses ont beaucoup évolué ces derniers mois : dans les filières des plastiques et du métal notamment, les cours ont enregistré « des chutes abyssales en 2022 ».
Sur le segment des ferreux, les prix de vente des déchets étaient « très élevés en début d'année 2022 », mais ont connu « une forte baisse à partir du deuxième trimestre ». Ils « restent cependant une fois et demie supérieurs à ceux d'avant la pandémie ». L'envolée du coût de l'énergie consécutive à la guerre en Ukraine a entraîné la diminution, voire l'arrêt de la production chez certains sidérurgistes, avec à la clé une baisse des débouchés pour les ferrailles.
L'inquiétude est plus diffuse sur le segment des non-ferreux, où l'on peine encore à mesurer les effets qu'aura la flambée de l'énergie sur la filière. On y confirme cependant un effondrement des cours depuis le printemps 2022 : - 30 % environ pour l'aluminium et - 22 % pour le cuivre entre avril et fin juin.
Trouver sa place dans un contexte mouvant
Au-delà des menaces que la géopolitique, l'inflation et la crise énergétique font peser sur les marchés, les recycleurs doivent composer avec des évolutions réglementaires qui bousculent les équilibres : sur le plan européen, ils appellent Bruxelles à « prendre du recul avant de mettre en œuvre la restriction des exportations de MPiR ». Il en va, selon le président François Excoffier, de la capacité des recycleurs à disposer « des débouchés suffisants », les capacités de consommation françaises se révélant, en effet, insuffisantes pour absorber la production des filières ferreux et papiers-cartons.
En France, les inquiétudes portent sur le rôle des opérateurs historiques du recyclage dans les nouvelles filières de responsabilité élargie du producteur (REP), celles du bâtiment ou des emballages industriels et commerciaux par exemple.
Federec tire aussi le signal d'alarme sur la REP sur les véhicules hors d'usage (VHU), dont les évolutions pourraient priver les recycleurs de la propriété de la matière, « le carburant » dont ils ont besoin pour investir et s'adapter à des évolutions technologiques importantes, notamment liées à l'arrivée dans les casses des véhicules électriques. Les pouvoirs publics entendent également pousser le réemploi dans une filière qui affiche déjà d'excellents résultats en matière de réutilisation, recyclage et valorisation.
L'augmentation du réemploi figure aussi au menu de la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE), qui, alors qu'elle vient de se voir assigner de nouveaux objectifs, s'inquiète de la révision prochaine de la directive européenne sur le sujet. Selon Tess Pozzi, chargée de la filière chez Federec, la réglementation française va en effet souvent au-delà de celle de l'UE, ce qui fait craindre une perte de compétitivité des professionnels hexagonaux face à leurs rivaux du reste de l'Europe.