S'exprimant dans le Journal Du Dimanche (JDD) du 21 octobre, André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a commenté ses déclarations relatives à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) exprimées mi-octobre devant les parlementaires de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Rappelant que "nous ne sommes pas dans une dictature, il ne suffit pas que le chef de l'État dise « ça s'arrête » pour que ça s'arrête", il a mis l'accent sur la procédure légale permettant une éventuelle fermeture des deux réacteurs nucléaires fin 2016. Depuis la confirmation par François Hollande de sa volonté de fermer la doyenne des centrales française, la question agite nombre d'experts.
Une procédure balisée
Pour le président de l'ASN, "c'est maintenant à EDF – qui possède et exploite les réacteurs de Fessenheim, et a des actionnaires électriciens [suisse et allemand] ayant un droit de tirage sur cette centrale –, de constituer un dossier de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement".
Il s'agit là de la procédure "classique" débutant avec le dépôt par EDF auprès de l'ASN d'une demande de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement de l'installation qui comprend notamment une étude d'impact et divers documents relatifs aux étapes du démantèlement. L'Autorité instruit le dossier et rend un avis au Gouvernement. Le Gouvernement peut alors prendre un décret en Conseil d'Etat, après enquête publique.
Henri Legrand, conseiller du directeur général de l'ASN pour les questions juridiques, confirme la longueur des délais de la procédure : la préparation du dossier par EDF devrait prendre environ deux ans et l'instruction par l'ASN trois ans. Dans ces conditions, il est impossible de tenir le délai fixé par le Président de la République, tout au moins d'un point de vue strictement formel.
Surtout que le délai le plus court, environ six ans, ne serait respecté qu'avec un dossier "parfait" et sans recours devant les tribunaux. Autant de difficultés illustrées par le cas du démantèlement de la centrale de Brennilis.
Presque fermée fin 2016…
"Ca n'empêche pas la mise à l'arrêt, [ni] un certain nombre d'opérations", avait indiqué André-Claude Lacoste devant l'Opecst, ajoutant que "ça empêche l'opération de démantèlement proprement dite". Ainsi, bien que le décret ne puisse être publié d'ici fin 2016, la centrale pourrait néanmoins être considérée comme fermée. Tout au moins si la majorité présidentielle devait être reconduite en 2017.
En effet, "juridiquement, un retrait de la demande de démantèlement déposée par EDF en cours d'instruction n'est pas prévu par la loi", explique Marie Frachisse, coordinatrice des questions juridiques du Réseau "Sortir du nucléaire" (RSN), même si "politiquement EDF pourrait peut-être retirer son dossier de demande de démantèlement", avec notamment le soutien d'un nouvel exécutif opposé à la fermeture…
Reste que cette procédure classique ne peut être privilégiée actuellement, puisque "EDF ne nous a fait part d'aucune intention d'arrêter Fessenheim dans l'immédiat", indiquait André-Claude Lacoste au JDD.
Vers une loi ?
Est-il pour autant impossible de tenir le délai fixé par le Président de la République ? Pas forcément. Une des voies possibles serait l'adoption d'une loi validant l'arrêt de Fessenheim. Cette façon de procéder serait d'autant plus élégante qu'elle place la volonté politique au cœur de la décision.
C'est l'option présentée par Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement, dans une tribune qui a suscité de nombreuses réactions. "Le Gouvernement veut fermer Fessenheim pour des raisons de politique énergétique et non pas pour des motifs de sûreté", rappelle l'avocat, ajoutant que "pour cela il faut nécessairement une loi". "La sincérité de François Hollande pourra être jugée par la rapidité avec laquelle le projet de loi sera déposé", analyse l'avocat qui par ailleurs exprime ses doutes sur la volonté du Président de fermer la centrale.
Interrogée sur le sujet par Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, Delphine Batho, ministre de l'Ecologie, a affirmé que l'engagement de fermer Fessenheim "figurera dans le projet de loi de programmation pour la transition énergétique". Le dénouement devrait donc être connu d'ici quelques mois.
Néanmoins, si l'option législative a l'avantage de la clarté politique, elle n'est pas sans inconvénient. En premier lieu, la majorité au Sénat ne tient qu'à six voix avec l'appui des 20 élus du groupe communiste. Le manque d'enthousiasme des communistes au sujet de la réduction de la part du nucléaire en France est connu et l'examen de la loi Brottes illustre à quel point le débat énergétique peut être houleux à la Chambre haute. Par ailleurs, l'actualité des alternances politiques n'a de cesse d'illustrer que le travail législatif peut être rapidement et facilement défait…
En effet, l'espace disponible entre la cuve du réacteur et le radier n'étant que de 65 cm, toute prescription d'une hauteur minimale est délicate, pour ne pas dire impossible. Il semble que le dossier présenté par EDF en décembre 2011 prévoie un renforcement du radier en jouant sur l'épaisseur du béton et sa qualité.
Début avril, des sources proches du dossier indiquaient que l'ASN avait demandé "des éléments complémentaires" et qu'elle envisageait alors de se "prononcer dans les semaines suivantes".
Une troisième option s'offre au Gouvernement, même si paradoxalement ce dernier prendrait du recul, laissant à l'ASN le soin de piloter la fermeture de Fessenheim. Elle consisterait à s'appuyer sur une décision de l'Autorité qui remettrait en cause la sûreté de la centrale.
Si Delphine Batho a rappelé en réponse à Hervé Mariton que "[le président de l'ASN] est dans son rôle quand il rappelle que la décision de fermer Fessenheim aurait pu être prise par l'ASN pour des raisons de sûreté [et] cela n'a pas été le cas", la situation n'est cependant pas aussi claire pour tous. Il y a bel et bien matière, semble-t-il, pour une telle décision.
A l'issue du 3ème réexamen de sûreté du réacteur 1, l'ASN a autorisé l'exploitation pour dix ans de plus mais à une condition de taille : "Avant le 30 juin 2013, le radier du bâtiment réacteur sera renforcé afin d'augmenter très fortement sa résistance au corium en cas d'accident grave avec percement de la cuve", stipule la décision de l'Autorité publiée au bulletin officiel de l'ASN. Si cette demande a été médiatisée, la seconde partie de la prescription l'a été nettement moins. L'ASN précise que "EDF soumettra pour accord à l'ASN (…) le dossier analysant les solutions envisageables".
Concrètement, Henri Legrand confirme que les cinq membres du collège de l'Autorité de sûreté nucléaire devront délibérer et adopter une décision publiée au bulletin officiel de l'Autorité, c'est-à-dire un acte officiel d'une nature comparable à la délivrance d'une autorisation de mise en service d'un réacteur nucléaire. A l'heure actuelle, rien n'est acquis (voir encadré). Il est impossible de prédire qu'elle sera la décision du collège. Surtout, on ne peut ignorer que le 12 novembre André-Claude Lacoste quittera ses fonctions de président de l'ASN et de membre du collège et que son successeur sera nommé par François Hollande.
Mise à l'arrêt définitif
L'absence de validation du dossier de renforcement du radier aurait des conséquences expéditives qui permettrait à la fois de tenir les délais et d'empêcher tout retour en arrière.
Concrètement, la loi prévoit que si les travaux ne sont pas fait au 30 juin 2013, l'ASN mette en demeure EDF. L'Autorité fixerait alors un nouveau délai pour présenter une méthode satisfaisante et réaliser les travaux. Dans un second temps, elle pourrait prendre des sanctions administratives et obliger EDF à consigner le montant prévisionnel des travaux auprès du comptable public. Le délai ? "Quelques mois", indique le conseiller juridique de l'ASN, au cours desquels l'autorisation délivrée au réacteur serait officiellement suspendue, soit par l'ASN elle-même, soit par le Gouvernement.
La seconde étape serait alors une mise à l'arrêt définitif du réacteur. "Les textes juridiques sont clairs", explique la juriste de Sortir du nucléaire, rappelant que "un décret en Conseil d'Etat pris après avis de l'ASN peut ordonner la mise à l'arrêt définitif et le démantèlement d'une installation nucléaire qui présente des risques graves que les mesures prévues ne sont pas de nature à prévenir ou à limiter de manière suffisante". Le délai fixé par François Hollande serait ainsi tenu.
Une alternative à ce scénario serait la procédure de mise à l'arrêt pour motif de sûreté. "En cas de risque grave, les ministres chargés de la sûreté nucléaire peuvent engager immédiatement une procédure de mise à l'arrêt", explique Marie Frachisse, précisant que "la mesure est prise par décret en Conseil d'Etat après avis de la commission consultative des installations nucléaires de base et de l'ASN". En l'occurrence, le recours à cette procédure "dépend de l'interprétation de la notion de « risque grave ne pouvant être prévenus ou limités de manière suffisante »", analyse la juriste de RSN.
L'absence de réalisation des travaux demandés par l'ASN justifie-t-elle une telle procédure ? Rien n'est moins sûr puisque l'ASN considère que si les travaux doivent être réalisés au 30 juin 2013, leur absence n'impose cependant pas une mise à l'arrêt du réacteur d'ici là. Un argument que ne manquerait pas de faire valoir EDF.