La mission d'information de l'Assemblée nationale sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) a rendu son rapport, ce mercredi 6 octobre. Vincent Thiébaut (LREM, Bas-Rhin), son rapporteur, estime que les difficultés de reconversion rencontrées par le territoire sont en grande partie dues au manque d'anticipation des élus locaux. Évidemment, l'État peut améliorer certaines dispositions règlementaires et fiscales, mais l'élu estime que la fermeture d'un site nucléaire doit être pensée et préparée par les élus locaux « le plus tôt possible ». « C'est tellement évident », martèle le député, qui critique la procrastination d'élus qui considéraient comme impossible la fermeture du site.
La fermeture actée dès 2015 ?
Un des points clés du rapport est l'analyse de « la construction de la décision de fermeture », explique Vincent Thiébaut. Pour les élus locaux, il s'agit d'une décision politique qui remonte à la promesse électorale de François Hollande formulée en 2011. Une promesse qui n'avait pas forcément vocation à être tenue… Le décret de 2017 puis la fermeture effective des deux réacteurs de 900 mégawatts (MW) en février et juin 2020 ont fait l'effet d'un coup de massue.
En réalité, défend le rapport, le décret de 2017 a été précédé de nombreuses démarches. Deux éléments montrent que, dès 2015, EDF avait décidé de fermer le site : l'électricien n'a pas réalisé d'études pour renforcer le radier et n'a pas installé les diesels d'ultimes secours (DUS). Faute de mettre en œuvre ces deux dispositifs « post-Fukushima », le prolongement au-delà de quarante ans de la durée de fonctionnement de la centrale était impossible.
L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et les membres de la commission locale d'information (CLI) ont confirmé à la mission parlementaire qu'EDF s'inscrivait bien, dès l'adoption de la loi de transition énergétique de 2015, dans une démarche de fermeture du site. D'ailleurs, alors que la loi permettait à EDF de proposer l'arrêt de deux autres réacteurs, l'entreprise ne l'a jamais fait. Mais le silence d'EDF « a entretenu de faux espoirs », regrette Vincent Thiébaut.
Pour éviter que la même situation ne se reproduise, le rapport formule une première recommandation importante. Il demande qu'EDF publie au plus vite la liste des 12 prochains réacteurs de 900 MW à fermer, entre 2029 et 2035, pour abaisser à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité en 2035. Pour l'instant, explique Vincent Thiébaut, EDF ne compte prévenir les sites retenus que deux ou trois ans avant la mise à l'arrêt des tranches. « C'est totalement insuffisant », juge-t-il.
Ne pas entrer dans une logique de rente
Le potentiel était pourtant là, puisque Fesseinheim disposait d'une réserve foncière pour développer des activités sur son territoire. Mais, mis à part l'implantation d'un centre de recherche de DuPont de Nemours, ces terrains ont été laissés en friche. À tel point, qu'aujourd'hui, la nature a repris ses droits et qu'ils sont passés en zone protégée. Seuls 80 hectares restent disponibles pour accueillir de nouvelles activités.
Cette analyse, signale le rapporteur, est l'un des principaux points de désaccord entre le président de la mission parlementaire, le député LR de la circonscription, Raphaël Schellenberger, et lui. Raphaël Schellenberger plaide notamment pour qu'un arrêt de réacteur ne puisse être engagé qu'après qu'un territoire ait préparé sa reconversion. Mais, interroge Vincent Thiébaut, si un territoire n'est pas prêt après quarante ans, pourquoi le serait-il après cinquante ou soixante ans ?
Améliorer le cadre fiscal et règlementaire
L'État a bien mis en place un plan d'accompagnement du territoire de Fessenheim, mais celui-ci ne résout pas tout. Actuellement, la principale source de difficulté concerne la « dette » laissée par la réforme de la taxe professionnelle. Afin de compenser la baisse de dotation de certaines collectivités, un fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), abondé par les communes, a été créé. Aujourd'hui, la commune de Fessenheim doit toujours verser près de 3 millions d'euros par an à cet outil de redistribution. Mais ses ressources fiscales ne sont plus ce qu'elles étaient lorsque la centrale, à elle seule, apportait 6 millions au budget communal… Pour l'instant, seul un gel partiel du dispositif pendant trois ans est prévu pour les communes contributrices qui subissent une importante baisse de ressources. Le rapport recommande donc de réformer rapidement le dispositif.
Enfin, la mission parlementaire estime qu'il est indispensable de renforcer le cadre juridique en vue des prochains démantèlements de réacteurs. Les députés ont surtout en tête la mise en place d'un cadre règlementaire permettant la valorisation de certains déchets radioactifs de très faible activité (déchets TFA). Aujourd'hui, EDF porte à Fessenheim un projet de Technocentre, une fonderie de déchets métalliques TFA. Mais, prévient le rapporteur, rien ne garantit qu'il aboutisse, car le land voisin du Bade-Wurtemberg s'y oppose. Or, « l'histoire de Fessenheim montre que l'Allemagne a toujours pesé sur la vie de la centrale ».
Plus globalement, le cadre juridique doit aussi permettre de mieux anticiper la contractualisation en vue du démantèlement. Il s'agit de passer d'une logique expérimentale à une logique industrielle, plaide le rapport, qui estime qu'une filière d'excellence peut ainsi émerger en France.