
Selon Christopher Carcaillet, les incendies de forêt sont un thème peu étudié sur la longue durée. Nos travaux sont fondés sur une démarche rétrospective et sur de longues périodes temporelles. Ils démontrent la corrélation entre le changement de régime des feux et les périodes passées de réchauffement climatique. Une première étude, parue dans Nature en 2008, a démontré que les périodes de décroissance des températures s'illustrent par une baisse des incendies. A contrario, un réchauffement climatique d'amplitude comparable à celui qui s'annonce pour le XXIème siècle s'accompagne d'une augmentation de la fréquence des incendies. La période de sortie de l'ère glaciaire, comprise entre 15.000 et 10.000 années avant nos jours, s'est aussi accompagnée d'une extension du couvert forestier. Cette augmentation de la biomasse coïncide avec une période de réchauffement climatique. Les recherches de l'équipe de Christopher Carcaillet retracent un accroissement rapide des feux de végétation vers 11.700 avant nos jours, c'est-à-dire au tout début de la période climatique chaude, dite Holocène, dans laquelle nous vivons encore à l'heure actuelle.
Archives de la Terre
Comment les chercheurs sont-ils parvenus à de telles conclusions ? Sur la base des archives du passé, reconstituées à partir de l'enregistrement de charbon de bois sédimentaire. L'équipe de Christopher Carcaillet est partie en expédition dans les forêts du nord des Etats-Unis et du Canada. Dans quelques jours, ces chercheurs repartiront au cœur de l'hiver dans le nord du Québec en 4x4 et à skis pour rejoindre des lacs reculés et glacés. Sur place, ils installent des forages pour prélever au fond des lacs des sédiments qui forment des couches de charbon stratifié. Ce sont des travaux longs, depuis les prélèvements sur place jusqu'à l'analyse en laboratoire. On mesure le temps grâce au carbone 14 et on retrace ainsi la provenance temporelle des éléments contenus dans ces sédiments. Ce qui permet de comprendre comment les écosystèmes ont évolué lors des périodes de changement climatiques antérieures, explique Christopher Carcaillet.
Les chercheurs se penchent sur des analogies. Ils retracent les modifications des écosystèmes à l'époque du Dryas récent, soit 11.700 ans environ avant nos jours. Cette ère précède la nôtre et marque la sortie de la dernière période glaciaire déclenchée par un réchauffement naturel. Dans le passé, il y a peu de périodes où l'on observe une amplitude de températures comparable à ce que l'on va connaître au XXIème siècle. A la sortie du Dryas Récent vers aujourd'hui, c'est du même ordre : cela a pris au moins quelques décennies. La vitesse du processus est assez semblable, à la grande différence près qu'aujourd'hui on part du chaud pour aller vers du plus chaud, explique Christopher Carcaillet. Or l'analyse des charbons de bois recueillis dans le grand Nord démontre qu'une plus grande fréquence des incendies accompagnent cette période de réchauffement.
Des feux autorégulés
En soi, ce phénomène n'a rien d'inquiétant. Les feux font partie des processus naturels d'autorégulation des écosystèmes. Des feux, il y en a tous les ans, en Sibérie, en Alaska au Canada. Ils ne sont pas toujours spectaculaires, car les flammes sont moins hautes que celles qu'on observe actuellement en Australie. Ces feux-là sont naturels, ou utilisés pour améliorer la gestion forestière. Les feux créent aussi de la biodiversité. Dans ce cas, ils sont un outil de gestion, précise Christopher Carcaillet. En revanche, ce qui se passe en Australie ne relève pas du même phénomène d'autorégulation. La combinaison d'une longue période de sécheresse dans l'Etat de Victoria, combinée avec des températures extrêmes, amplifie des feux d'autant plus spectaculaires que cette partie méridionale du bush australien recèle des espèces très inflammables, qui s'enflamment très rapidement. Composée d'eucalyptus, la canopée diffuse en période de canicule des gaz inflammables qui s'enflamment à distance. C'est un phénomène comparable à celui qui se produit sur les pins d'Alep en Provence, favorables au déclenchement des flammes.
Dans un système autorégulé, la végétation a le temps de se reconstituer entre les incendies. Comme les forêts ont tendance à s'étendre depuis le Dryas Récent, il est normal que plus de combustible s'accompagne d'une nouvelle activité d'incendies autorégulateurs. Au final, l'incendie ne brûle pas toute la forêt. Dans ce cas de figure, l'écosystème est restitué dans sa forme initiale. Le problème survient dès lors que les incendies sont plus fréquents. Dans ce cas, l'écosystème n'a pas le temps de retrouver son élasticité. Un article à paraître dans la revue Ecology analyse la découverte dans la Vanoise, à partir de charbon de bois, d'une séquence de quatre feux qui se sont produits 6.500 ans avant nos jours. Co-auteur de cette publication, l'équipe de Christopher Carcaillet observe qu'une telle fréquence des feux a déclenché la disparition de la forêt, qui a mis quelques siècles pour se reconstituer.
Un avenir incendiaire