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La fiducie, un outil pour résoudre les obligations environnementales

La fiducie environnementale est une réponse possible à l'obligation de remise en état des sites, à celle de la compensation environnementale et à la réparation du préjudice écologique.

DROIT  |  Étude  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°320
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°320
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La fiducie, un outil pour résoudre les obligations environnementales
Thibault Soleilhac
Docteur en droit de l’environnement, avocat associé, Hélios Fiducie
   

Tout praticien du droit de l'environnement est très rapidement confronté au besoin de recourir à un ou plusieurs instruments afin de garantir l'effectivité des obligations environnementales. Les instruments juridiques qu'il utilise peuvent être variés (contrat, police, …) et doivent être choisis en fonction de leur pertinence respective dans chaque dossier environnemental. Instrument contractuel, la fiducie, prévue aux articles 2011 et suivants du code civil, est souvent louée pour sa souplesse et sa robustesse puisqu'elle permet de créer un patrimoine d'affectation. Un bien, un droit ou une sûreté est transférée par un constituant à un fiduciaire qui va le gérer au profit exclusif d'un ou plusieurs bénéficiaires.

Force est de constater que l'effectivité du droit de l'environnement laisse souvent à désirer. Le droit de l'environnement lui-même ne paraît pas en cause. Il connaît une inflation normative soutenue et a même été constitutionnalisé avec la Charte de l'environnement depuis 2004. C'est bien la mise en œuvre de la règle - souvent des obligations administratives - qu'il convient d'améliorer, comme le demandent souvent les services instructeurs de l'État ou divers organismes consultatifs (Autorité environnementale ou Conseil national de la protection de la nature (CNPN)). Il s'agit d'obtenir des pétitionnaires qu'ils détaillent comment ils vont garantir la bonne exécution des obligations administratives qui leur seraient prescrites par arrêtés et en particulier la pérennité et l'effectivité de leur mise en œuvre.

La réponse à une demande de garantie peut logiquement prendre la forme d'une sûreté et, à choisir, la plus sécurisée d'entre elles, car les obligations administratives en cause sont des obligations de résultat. Deux obligations environnementales se prêtent particulièrement à cette sécurisation au regard des enjeux financiers et des problématiques de long terme et donc d'effectivité : la compensation environnementale des atteintes à la biodiversité (II) et la remise en état des sites industriels (I). Dans ce cadre, la fiducie intervient comme garantie d'obligations administratives. Mais la garantie d'effectivité peut également être appliquée à la réparation du préjudice écologique (III).

I. La fiducie et la remise en état des sites

Le cadre juridique de la remise en état reste complexe, les responsabilités entremêlées entre dernier exploitant et propriétaires et la quête des responsables s'avère souvent longue et aléatoire en cas de procédure collective ou de disparition des anciens exploitants. L'obligation de remise en état du site d'une installation soumise à autorisation est prévue à l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement, avec une concertation pour le choix de l'usage futur. Le problème essentiel de la mise en œuvre de la remise en état réside dans son financement. Nombreuses sont les fins d'exploitation causées par des difficultés financières et le passif environnemental n'est pas légalement prioritaire. Il est souvent supporté in fine par la collectivité dans le cadre d'une socialisation du risque, non financée. Dans ce contexte, le recours à la fiducie apparaît comme une solution concrète.

Premièrement, il peut s'agir de constituer volontairement des garanties financières séparées du patrimoine et affectées à la remise en état, à l'abri des créanciers. Deuxièmement, outre l'externalisation de la charge financière nécessaire à la réhabilitation d'un immeuble, l'exploitant pourrait transférer un site à dépolluer ou un immeuble bâti à réhabiliter afin que ces missions soient gérées par le fiduciaire. Le transfert doit être accompagné des sommes nécessaires à l'opération dans le cadre d'une fiducie-gestion. Cette dernière peut parallèlement être doublée d'une fiducie-sûreté, les biens servant de garantie à l'organisme qui financera les travaux d'autant plus volontiers qu'ils sont à l'abri des autres créanciers du constituant. La possibilité de prévoir une absence de dépossession du constituant malgré le transfert de propriété rend ce montage attractif. Non seulement le passif environnemental sort du patrimoine social – et du bilan – mais l'activité peut se poursuivre concurremment à la réhabilitation. Le site et les fonds nécessaires sont logés dans la fiducie, ce qui allègera l'exploitant constituant et lui permettra de se concentrer et de se recentrer sur son activité. Ils sont isolés dans le patrimoine fiduciaire et donc mis à l'abri des créanciers, ce qui est de nature à sécuriser le prêteur de deniers qui assure le financement. C'est l'effectivité même de l'objectif de remise en état qui est dès lors elle-même sécurisée.

Par ailleurs, la constitution de fiducies trouve sa place dans le cadre des procédures collectives au regard de la sécurisation du patrimoine fiduciaire (1) vis-à-vis des créanciers. Enfin, outre l'insuffisance de financement, le manque d'effectivité des remises en état tient pour une grande part au découplage entre l'obligation administrative qui pèse sur le dernier exploitant et la propriété foncière. La loi du 24 mars 2014 dite loi « Alur » a introduit dans le code de l'environnement (2) le dispositif permettant au préfet, sur initiative d'un tiers intéressé, de lui prescrire la réalisation de travaux de réhabilitation d'une installation classée mise à l'arrêt définitif, en substitution du dernier exploitant. Ce nouvel opérateur spécialisé, financièrement intéressé à l'opération dépollution/reconversion vient soulager l'exploitant historique de son obligation.

Le tiers demandeur demeure néanmoins un prestataire et, s'il libère contractuellement l'ancien exploitant de sa responsabilité administrative, il lui manque toutefois la maîtrise foncière. Cet outil du tiers demandeur, innovant en soi, trouvera tout son efficacité si on le couple à une fiducie. Le mécanisme fiduciaire apparaît parfaitement adapté aux problématiques de passifs environnementaux puisqu'il permet de transférer un passif (le site pollué) du moment que le constituant transfère en même temps un actif, même d'un montant inférieur, qui est affecté au service de la « dette environnementale ». La figure du tiers demandeur permet en premier lieu une substitution de responsabilité. Le transfert fiduciaire permet de contourner la difficulté de vendre des sites dont la valeur est souvent négative. Il s'agit de transférer en l'état des sites pollués à un fiduciaire dont la mission sera celle que la loi offre au tiers demandeur : assurer leur dépollution et leur donner une nouvelle vie. Au-delà, prévoir ab initio une fiducie dédiée à la remise en état serait un gage de responsabilité. Les arrêtés préfectoraux pourraient ainsi vraisemblablement viser le fiduciaire, professionnel objectif dédié à cette mission, pour peu que la fiducie soit correctement financée.

II. L'obligation de compensation des atteintes à la biodiversité

L'obligation de compensation environnementale existe en droit français depuis la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, et figure depuis la loi du 8 août 2016 aux articles L. 163-1 à 5 du code de l'environnement. Elle vise à compenser les atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d'un projet de travaux ou d'ouvrage ou par la réalisation d'activités ou l'exécution d'un plan, d'un schéma, d'un programme ou d'un autre document de planification. L'objectif est celui d'une absence de perte nette, voire de gain de biodiversité.

La particularité de cette obligation administrative est qu'il s'agit d'une obligation de résultat, sanctionnée, et dont le non-respect constitue un vice substantiel non régularisable des autorisations environnementales délivrées. Mais surtout, la compensation doit être effective pendant toute la durée des atteintes. L'État a d'abord préconisé des durées standard de 30 ans, puis de 50 ans pour la plupart des projets d'importance.

L'enjeu est donc celui de la pérennité et de l'effectivité de la compensation sur de telles durées. Cela suppose de relever un double défi : assurer la sécurisation foncière du terrain d'assiette des programmes de compensation sur des décennies et garantir le financement des programmes de compensation sur des durées qui peuvent être supérieures aux durées de vie de nombre de sociétés porteuses de projet.

Ainsi, de la même façon que le fiduciaire peut assurer les missions du tiers demandeur pour la remise en état des friches industrielles, il peut exercer les fonctions d'opérateur de compensation et entreprendre une réhabilitation ou renaturation de fonciers, avec pour objectifs de leur rendre une certaine naturalité sur la longue durée par la conduite notamment d'actions de restauration, reconquête, préservation, gestion et valorisation de la biodiversité.

Les maîtres d'ouvrage soumis à l'obligation de compensation peuvent donc constituer des fiducies pour réaliser leurs opérations de compensation d'une part, par des transferts de foncier affectés à la compensation et d'autre part, par le transfert au fiduciaire du financement des mesures de compensation. Le fiduciaire se voit alors déléguer le pilotage des actions nécessaires, du plan de gestion à la réalisation des travaux de génie écologique ainsi que du suivi de la gestion sur le long terme. Il rend compte au constituant ou aux autorités de contrôle et devient surtout le garant d'une gestion qui dépasse la seule conservation des milieux. Le recours à la fiducie permet de fournir à l'État des garanties d'effectivité et de pérennité en cantonnant les fonds et le foncier et en les affectant.

Au-delà des débats scientifiques sur le recours à la compensation, la critique récurrente porte en effet sur le risque d'ineffectivité d'une obligation dont la mise en œuvre implique une temporalité inhabituelle pour les acteurs économiques. Assurer l'effectivité d'une telle obligation suppose donc le recours à un mécanisme à même de la garantir. La fiducie, notamment par le transfert de propriété qu'elle permet sur la durée apparaît toute désignée.

III. La fiducie au soutien de la réparation du préjudice écologique

Issue d'un long cheminement jurisprudentiel, la notion de préjudice écologique consacrée par la Cour de cassation (3) a vu sa définition codifiée à l'article 1247 du code civil par la loi du 8 août 2016. Désormais, il convient donc de faire une distinction entre deux types de réparation cumulables avec, d'un côté, la réponse au préjudice écologique affectant exclusivement l'environnement et, de l'autre, la réparation des dommages causés par l'infraction en elle-même, qui relève de l'indemnisation classique (4) des préjudices matériels et moraux et suit les règles de droit commun. Dans la logique de réparation du préjudice écologique, l'article 1249 pose un principe de réparation en priorité en nature. En cas d'impossibilité, la réparation s'effectuera par le versement de dommages et intérêts « affectés à la réparation de l'environnement ». Un principe d'effectivité des mesures de réparation se dégage donc de la lettre du texte.

L'appréhension juridique du préjudice écologique inclut donc de garantir l'effectivité de sa réparation. Le recours à la fiducie apparaît à nouveau particulièrement pertinent. Ce fut tout d'abord le cas avec les conventions judiciaires d'intérêt public environnementales (CJIP) issues de la loi du 24 décembre 2020 (article 41-1-3 du code de procédure pénale). Ce mécanisme d'une convention initiée par le parquet dans les cas où une personne morale serait mise en cause pour des délits prévus par le code de l'environnement et les infractions connexes permet la répression d'infractions environnementales, l'indemnisation civile des victimes et la réparation du préjudice écologique dans le cadre d'une procédure accélérée.

La réparation du préjudice écologique prévue par la CJIP suppose donc pour elle de prévoir une réparation en nature et à défaut une indemnisation dédiée au financement de cette réparation. Il est en effet primordial que la réparation d'un tel préjudice ne se transforme pas en un mécanisme automatique de versement de dommages et intérêts sans bénéfice direct pour l'environnement endommagé. Même en cas d'impossibilité avérée et justifiée de réparation en nature, le système subsidiaire de réparation par versement de dommages et intérêts doit tout de même présenter des garanties d'affectation à la réparation de l'environnement.

Il est impératif que le demandeur bénéficiaire des sommes fasse l'effort d'une démonstration des mesures utiles qu'il prendra permettant la bonne affectation de celles-ci à la réparation de l'environnement. Rien ne s'oppose - et même tout semble motiver - qu'il détaille un programme de mesures ainsi qu'un calendrier de mise en œuvre. La technique conventionnelle facilite l'exposé de ces mesures utiles d'affectation, notamment en prévoyant directement au sein de la CJIP des mesures de sûreté à même de garantir l'affectation voulue par les textes et, partant, l'effectivité de la réparation. On comprend ici tout l'intérêt d'une fiducie environnementale adossée à une CJIP qui prévoira le transfert des sommes versées en conséquence d'un préjudice écologique à un fiduciaire qui agira dans le but déterminé et contractualisé de réparation de l'environnement. À ce jour, deux ordonnances du tribunal judiciaire du Puy-en-Velay ont validé deux CJIP (5) le 12 septembre 2022, prévoyant une fiducie destinée à recueillir les sommes affectées à la réparation du préjudice écologique d'une fédération départementale de pêche à la suite de pollutions de cours d'eau.

Le mécanisme étant éprouvé pour garantir l'effectivité de la réparation du préjudice écologique dans le cadre particulier des conventions judiciaires, la même question se posait logiquement dans un cadre contentieux « classique ». Le législateur ayant prévu une réparation par priorité en nature et a minima une affectation des sommes, prononcer seulement une condamnation à l'indemnisation correspondant à ce préjudice spécifique ne répond pas totalement aux prévisions du texte. Il paraissait nécessaire que le jugement rendu prévoie, au-delà de la reconnaissance du préjudice écologique et du montant, le modus operandi permettant de se conformer au texte en termes d'affectation et donc d'effectivité de la réparation.

C'est chose faite avec le jugement rendu par le tribunal correctionnel d'Aurillac le 15 décembre 2022 qui prévoit, outre le prononcé d'une peine d'amende pour un délit de pollution de cours d'eau, la condamnation de la société prévenue à une somme en réparation du préjudice écologique, à verser sur un compte fiduciaire dans le cadre d'une fiducie préalablement constituée par l'auteur de la pollution au bénéfice de la Fédération départementale des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique du Cantal, sous le contrôle de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Le constituant de la fiducie est donc la personne morale condamnée. Le fiduciaire assurera la gestion des fonds destinés au financement de la réparation du préjudice que l'association bénéficiaire mettra en œuvre, les opérations se faisant sous le contrôle de l'OFB dont on peut supposer qu'il pourrait être tiers contrôleur au sens de l'article 2017 du code civil.

Enfin, il faut noter une décision récente du juge administratif encore plus exigeante en termes d'effectivité de la réparation. Le tribunal administratif de Nancy (6) a en effet rejeté la demande de réparation du préjudice écologique formulée par une association qui ne justifiait pas de la méthode de calcul employée « ni même, le cas échéant, de l'affectation de cette somme à la réparation de l'environnement ». Ainsi, suivant une lecture rigoureuse du texte, la démonstration de l'affectation des sommes deviendrait une condition d'allocation juridictionnelle de la réparation du préjudice écologique.

1. C. civ., art. 2024 et 2025 ; C. com., art. L. 622-13 VI2. C. env., art. L. 512-213. Cass. crim., 25 sept. 2012, n° 10-82.938 : Bull. crim. 2012, n° 1984. Cons. const., 5 févr. 2021, n° 2020-881 QPC5. V. la page dédiée à la CJIP sur le site du MTE6. TA Nancy, 3 nov. 2022, n° 2101336, Assoc. Oiseaux Nature 88

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