La filière forêt-bois française peut-elle s'inspirer de son homologue allemande, perçue comme plus compétitive, notamment pour ce qui concerne la première transformation et les produits à forte valeur ajoutée ?
Pour tenter de répondre à cette question, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) s'est lancé dans un travail de comparaison (1) des deux modèles.
La réflexion autour de l'amélioration de la gestion de la forêt française n'est pas nouvelle : de nombreux documents ont tenté d'apporter des solutions pour relever la filière. Le rapport de mission sur l'avenir de la forêt française a d'ailleurs contribué à alimenter le volet forêt du projet de loi d'avenir pour l'agriculture.
Au final, si la mission du CGAAER n'incite pas à "reproduire le modèle allemand, lié à la culture et à l'histoire même de ce pays et de ses habitants", elle a en revanche mis en lumière "les pistes d'action nouvelles qui pouvaient être adoptées dans le contexte français".
Pour cela, elle s'est appuyée sur le retour d'expérience de trois Länder : la Rhénanie-Palatinat (limitrophe de la France et proche de celle-ci par ses caractéristiques foncières), la Thuringe (qui jusqu'en 1990 faisait partie de l'Allemagne de l'Est), et le Bade-Wurtemberg (une des grandes régions forestières de l'Allemagne).
Premier constat : sur les 11,1 millions d'hectares boisés de l'Allemagne (31% de son territoire), 56% de la superficie appartiennent à des entités publiques (2/3 aux Länder et 1/3 à des collectivités) et 44% sont privés.
Pour comparaison, en France, la majorité (75%) des 16 millions d'hectares de parcelles forestières du territoire (31%) relève de propriétaires privés et 25% sont publics.
Tandis que la forêt allemande se compose en majorité d'épicéas, adaptés aux besoins des industries, en France la répartition est de deux tiers de feuillus et un tiers de résineux.
Adapter la sylviculture française aux besoins des industries
Pour le CGAAER, le choix des essences et les modalités de replantation notamment (densité des peuplements, interventions sylvicoles pour éclaircies et élagages, préférence donnée à des bois moyens valorisables par des lignes canter (2) très performantes) devraient intégrer les besoins des industries.
Toutefois, comme l'épicéa est une essence particulièrement menacée par le réchauffement climatique, la mission préconise d'engager une réflexion concertée sur l'adaptation des forêts au changement climatique dans les régions aux caractéristiques similaires à l'Allemagne (grand Nord Est de la France).
Elle souhaite également voir renforcer dans les programmes de formation des propriétaires, gestionnaires ainsi que des étudiants, les aspects commerciaux et d'utilisation du bois par les industriels.
"Si en France, la planification de la gestion forestière (aménagements forestiers ou plans simples de gestion) est très cadrée, ce processus est global et plus souple en Allemagne, laissant plus d'initiatives au gestionnaire de terrain", constate le CGAAER.
Elle conseille d'initier un audit de l'organisation générale de la gestion forestière en France et d'évaluer les procédures de gestion en forêt privée. La mission souhaiterait également que les propriétaires privés soient amenés à se regrouper par l'intermédiaire une incitation financière au m3 sorti sur les fonds communautaires. En forêt publique, elle estime que les procédures relatives aux aménagements devraient être simplifiés (aménagements par massif et non par parcelle, révision des procédures d'assiette, etc.).
Le choix de l'Allemagne de sortir du nucléaire s'est accompagnée d'une politique de promotion des énergies nouvelles, selon le CGAAER : valorisation du bois énergie et installation d'éoliennes en forêt.
Quels impacts des éoliennes en forêt ?
"La politique allemande de soutien aux énergies renouvelables rend l'utilisation du bois très compétitive, tant pour la production de chaleur que d'électricité", pointe le CGAAER. La mission recommande d'augmenter en France les prix d'achat d'électricité, afin de développer des entreprises intégrées (dans le cadre de l'arrêté du 27 janvier 2011).
En outre, en Bade-Wurtemberg, le loyer annuel d'une éolienne de 3 MW en forêt serait de 20.000 à 35.000 € en moyenne.
Le CGAAER souhaite également inscrire dans le cadre de la mission sur les indicateurs de gestion durable (prévue en 2014), une analyse de l'impact des éoliennes en forêt.
Il préconise de développer la coopération dans le cadre de l'office franco-allemand des énergies renouvelables, afin d'examiner les paramètres d'un équilibre entre la biomasse et l'éolien. "Cela permettrait de s'informer plus finement de l'évolution de la demande allemande, du marché (hausse en cours), et des potentialités d'affaires, ainsi que de promouvoir d'éventuelles initiatives conjointes auprès de la Commission européenne", détaille le CGAAER.
Enfin, il recommande de favoriser une convergence franco-allemande sur la réglementation et la certification de la gestion durable.
Concernant l'approvisionnement des industriels, la mission estime qu'il faut renforcer la concertation nationale et régionale en France sur les volumes disponibles et les besoins, tant en volume qu'en essences et qualités mais également envisager la délégation des responsabilités au niveau régional ou interrégional.
Pour elle, les contrats à l'unité de produits sont à développer, en particulier pour les bois feuillus. Les contrats d'approvisionnement quant à eux devraient présenter des procédures simples qui tiennent compte des attentes diverses des entreprises.
Malgré une tendance globalement positive, l'Allemagne pourrait devenir déficitaire à partir de 2020. Selon des prévisions de l'université de Hambourg, à l'horizon 2020, elle utilisera 90 Mm3/an de bois matériau, et autant en bois énergie.
"L'Allemagne ne pourra équilibrer son bilan bois, que si elle se procure des ressources à l'étranger", souligne le CGAAER.
Ce dernier conseille d'ailleurs de suivre l'évolution des échanges bilatéraux "en particulier, afin d'éviter une fuite de la matière première pour combler le déficit en bois allemand à venir, encourager une valorisation sur place avec valeur ajoutée sur le territoire, économe en transport et émissions de CO2 et une localisation de projets industriels à proximité de la ressource", pointe-t-il.