"Les constructeurs automobiles doivent organiser de toute urgence l'abandon progressif des véhicules diesel et essence, hybrides compris, et mettre un terme aux ventes de voitures neuves carburant au pétrole d'ici 2028". Telle est la conclusion d'un rapport publié par Greenpeace mardi 10 septembre, alors que l'Assemblée nationale débute la nouvelle lecture du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) en séance publique.
L'ONG a étudié les impacts sur le climat de la production et de la vente de voitures par douze grands constructeurs automobile mondiaux. Par extrapolation, elle parvient à la conclusion que les 86 millions de véhicules vendus en 2018 dans le monde représentent un volume d'émissions de gaz à effet de serre (GES) équivalent à 9 % des émissions annuelles mondiales. Soit un volume supérieur aux émissions annuelles de l'Union européenne.
Promotion de gros modèles plus émetteurs
"Chaque année, explique Greenpeace, malgré leurs promesses soi-disant « vertes », les constructeurs automobiles mettent sur le marché des millions de nouvelles voitures polluantes et promeuvent de gros modèles plus émetteurs en CO2. Ils nous enferment ainsi dans une trajectoire d'émissions de CO2 incompatible avec une limitation de la hausse globale des températures à 1,5°C".
"Les évolutions en matière de consommation en carburant sont au point mort, voire en recul", rapportent les auteurs de l'étude. Greenpeace pointe en particulier les véhicules tout-terrain de loisir (SUV), dont les émissions de CO2 sont bien supérieures à celles des autres voitures. Or, les SUV représentent 32 % des ventes de voiture en 2018 en Europe (contre 8 % en 2008) et 69 % aux Etats-Unis. Les voitures hybrides ne trouvent pas non plus grâce aux yeux des auteurs, dans la mesure où elles peuvent être source d'émissions non négligeables de CO2 et qu'elles "freinent le déploiement rapide d'alternatives réelles".
En bref, pour Greenpeace, l'industrie automobile fonce "droit dans le mur", à défaut d'avoir bâti des stratégies compatibles avec l'objectif de l'accord de Paris. "Les constructeurs qui survivront seront ceux qui fabriqueront des véhicules électriques plus petits, plus légers et plus efficaces sur le plan énergétique", explique l'ONG, tout en prenant en compte la réduction de l'usage individuel de la voiture et en optant pour la connexion à des smart grids fonctionnant avec une énergie 100 % renouvelable.
D'où sa conclusion, fondée sur un rapport du Centre aérospatial allemand (DLR) commandé par Greenpeace Belgique, de mettre fin à la vente des véhicules diesel et essence d'ici 2025 et des véhicules hybrides d'ici 2028. Selon le rapport, cette mesure donnerait 66 % de chance de maintenir le réchauffement mondiale en-dessous de 1,5°C.
Contraintes et réglementations
"Il est maintenant évident que, sans contraintes et réglementations, les industriels de l'automobile ne réagiront pas à temps pour enrayer la crise climatique. Nous attendons donc que nos responsables politiques, à l'échelle nationale et locale, fassent preuve de courage", exhorte Sarah Fayolle, experte des transports à Greenpeace France. Or, dans le projet de loi LOM, la France se fixe "seulement" pour objectif de mettre fin à la vente des voitures utilisant des énergies fossiles d'ici 2040. La majorité a jusque-là repoussé les amendements de l'opposition visant à avancer cette échéance à 2030.
Ceux-ci reviennent à la charge à l'occasion de la nouvelle lecture du projet de loi. "Le dernier rapport du Giec annonce qu'il reste douze années pour agir et contenir les effets du réchauffement climatique à 1,5° C. En France, ni la date de 2050 adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture (…), ni celle de 2040 proposée par le plan Climat ne sont compatibles avec les conclusions du rapport Giec", plaide l'ancienne ministre de l'Environnement Delphine Batho. Le rapport de la Commission des comptes des transports de la Nation, publié le 29 août et mis en avant par le Réseau Action Climat (RAC), va dans le même sens. Il montre que, pour être compatible avec l'accord de Paris, le rythme moyen annuel de réduction des émissions de GES des transports doit être deux fois plus important que celui constaté entre 2017 et 2018. Appelant les députés à agir, le RAC rappelle également les conclusions du Haut Conseil pour le climat réclamant une accélération de la décarbonation des transports.
"Veillons à ne pas provoquer de découragement, si l'on veut emmener toute une filière", avait rétorqué la ministre des Transports, Elisabeth Borne, pour repousser les amendements en première lecture. "Alors que le cycle de vie moyen d'un véhicule est de 12 ans, cet objectif [de 2030] est adapté au cycle de l'industrie automobile et constitue le seul moyen réaliste d'atteindre l'objectif fixé par le Gouvernement et la majorité parlementaire [de parvenir], d'ici à 2050, [à] la décarbonisation complète du secteur des transports terrestres", estiment au contraire le député socialiste Christophe Bouillon. Pour réussir cette transition, il plaide pour un mécanisme d'accompagnement des particuliers et des entreprises dans le renouvellement de leur parc, "notamment par une meilleure affectation du produit de la fiscalité écologique".
Calendrier local de sortie du diesel/essence
Au niveau local, la question du climat se superpose avec celle de la pollution de l'air. C'est pourquoi Greenpeace France demande aux grandes villes d'adopter un calendrier de sortie du diesel et de l'essence.
Ce qu'a fait la Ville de Paris en inscrivant dans son plan climat air énergie l'objectif "zéro véhicule diesel en 2024 et zéro véhicule essence en 2030".
Deux publications viennent conforter cette conclusion. L'avis de l'Anses de juillet dernier réclamant de réduire prioritairement le trafic routier pour lutter contre la pollution de l'air. Et l'étude ICCT, dévoilée par la Ville de Paris ce mardi 10 septembre, qui montre l'écart entre les émissions polluantes réelles des véhicules en circulation avec celles annoncées par les constructeurs. Un écart mis en lumière lors du Dieselgate en 2015 mais qui reste toujours d'actualité.