Quatre-vingt dix neuf pour cent des Français disposent d'un compte bancaire. Ils sont aussi les champions de l'épargne en Europe : selon l'Insee, 16,8 % du revenu des ménages est épargné. Les crises, financière et économique, ont braqué les projecteurs sur les pratiques des banques et entraîné de nombreuses questions : que font les banques de l'épargne ? Dans quoi investissent-elles ? Avec quels risques ? Pourquoi ne financent-elles pas davantage l'économie nationale ?
Alors que la pédagogie et la transparence semblent plus que jamais nécessaires, un outil développé pour répondre à ces attentes est en voie d'être abandonné après avoir été expérimenté par la Caisse d'épargne entre 2008 et 2010 : l'étiquetage des produits financiers. Les Amis de la Terre demandent au contraire au nouveau gouvernement d'étendre l'obligation d'information environnementale, prévue pour les produits de consommation courante, à tous les produits financiers distribués en France.
L'étiquetage des produits financiers
Initiative sans équivalent à l'étranger, développée par Utopies et validée par un panel composé par l'Ademe, le WWF, les Amis de la Terre et Testé pour vous, cette étiquette prend en compte le risque, l'engagement des banques dans le développement durable (critères environnementaux et sociaux) et l'impact de leurs investissements sur le climat.
Imaginée en 2007 pour différencier la Caisse d'épargne de ses concurrents en termes de développement durable, l'étiquette a débarqué en 2008 dans le réseau des Caisses d'épargne. Mais 2008, c'est aussi l'année de la crise financière : dans les mois qui suivent, la direction de la Caisse d'épargne change, la banque fusionne avec la Banque populaire et les priorités évoluent. Résultats : l'étiquette va progressivement être mise aux oubliettes.
Pour justifier l'arrêt de l'étiquetage en 2010, la BPCE indique que les informations fournies constituaient une difficulté d'appréhension pour les conseillers et qu'elles n'étaient pas comprises par les consommateurs. Pourtant, pour Stanislas Dupré, ancien DG d'Utopies très impliqué dans l'élaboration de l'étiquetage, "le premier intérêt était de développer une logique de conseil dans les ventes de produits bancaires : expliquer là où va l'argent, les risques associés, et guider le client vers un choix réfléchi, contrairement à la pratique très répandue consistant à fixer des objectifs de vente de tel ou tel produit aux conseillers. Car si les ventes en ligne de produits financiers constituent encore une niche, elles pourraient se développer et menacer la distribution classique. Deux voies s'offriront alors aux banques : apporter une vraie valeur ajoutée à travers le conseil ou rester dans la logique actuelle qui conduira nécessairement à des réduction d'effectifs dans les agences. La Caisse d'épargne s'était engagée dans la première voie, il semble que la BPCE ait finalement opté pour la seconde ".
L'annonce par la banque de l'abandon de l'initiative casse une véritable dynamique. En effet, la MAIF et la Macif venaient de rejoindre l'initiative et de réaliser leurs premiers tests. Une association pour la transparence et l'étiquetage des produits financiers (ATEPF) avait été créée.
A cela s'ajoute un manque d'enthousiasme des pouvoirs publics. Au sein de la plateforme Ademe/Afnor, dédiée à l'affichage environnemental des produits, s'était installé un groupe de travail sur les produits financiers. Mais la méthodologie présentée pour cet étiquetage est retoquée par l'Ademe et le ministère de l'Ecologie. La raison invoquée ? Elle ne comporte qu'un seul critère quantitatif environnemental (le CO2) alors que la feuille de route pour l'affichage environnemental des produits porte sur une approche multicritères. La variété des activités financées par les banques rend pourtant difficile la définition d'autres indicateurs partagés.
N'ayant plus le soutien de la Caisse d'épargne et n'étant pas appuyé par les pouvoirs publics, l'étiquetage des produits financiers est abandonné.
Orienter l'utilisation de l'épargne
Pour Stanislas Dupré, "l'étiquette en elle-même a un rôle direct assez faible : les épargnants en faisant un critère de choix majeur resteront une minorité. Mais c'est le premier pas indispensable vers une traçabilité obligatoire et une fiscalité modulée".
Explications : si les trois dernières années ont été dures pour le secteur des énergies renouvelables, sur huit ans, l'investissement dans ce secteur s'est montré autant, voire parfois plus performant que l'investissement dans le pétrole. Pourtant, les fonds investissent aujourd'hui à hauteur de 12 % dans le pétrole et seulement 0,5 % pour les énergies renouvelables. "Ce n'est pas une question de rentabilité mais plutôt une problématique marketing : les fonds doivent reproduire la composition sectorielle d'un indice boursier classique comme le CAC 40 pour rassurer les clients", explique Stanislas Dupré, ajoutant : "Aujourd'hui, les pouvoirs publics et les économistes constatent qu'il est réellement difficile de financer l'économie avec l'épargne des citoyens, en France comme en Europe. Les niches fiscales sur l'épargne, qui représentent une dépense de 13 milliards d'euros par an en France, orientent pour l'heure très mal vers le financement de l'économie. L'étiquette, et la traçabilité qu'elle crée, permettraient justement de moduler la fiscalité : bonus pour les placement qui financent la transition énergétique et le long terme, malus pour les investissements polluants ou ultra-spéculatifs".
L'ancien DG d'Utopies va lancer, à la rentrée 2012, un groupement auxquels participeront des banques, des associations, des chercheurs… "Investissement 2°" sera consacré à la recherche et au lobbying autour de la question du financement de la transition énergétique et de la façon dont la réglementation peut inciter les banques et les épargnants. "La transition climatique est le seul enjeu économique global qui fait consensus. Le risque économique qui en découlerait nécessite une planification. C'est aussi le seul point sur lequel il y a des objectifs quantifiés en besoins de capitaux. Or, le seul système qui permettrait d'agir sans pénaliser la compétitivité, contrairement à une logique de quotas sur les émissions d'un pays, serait une taxe sur les investissements en fonction de leur caractère plus ou moins polluant", explique l'économiste.