"Je n'ignore rien du ras-le-bol fiscal français". L'ex-président du Comité sur la fiscalité écologique Christian de Perthuis est revenu, lors d'une audition par la commission Développement durable du Sénat, sur les difficultés d'instaurer une fiscalité écologique en France. Mais "la question du verdissement de notre fiscalité reste entière", souligne-t-il. Car la mise en place d'outils incitatifs ou dissuasifs est la condition sine qua non à la mise en œuvre concrète des politiques en faveur de l'environnement.
Selon lui, ce volet manque dans le projet de loi sur la transition énergétique : "Si on ne règle pas la question des instruments économiques, on aura une loi déclarative". Idem pour le climat : "Tant que le charbon ne coûtera pas cher, on l'utilisera. Il faut tarifer le coût d'émission du CO2".
"C'est dans cette approche globale que nous pourrons poser bien clairement les valeurs de droits et de devoirs de chacun" au regard de la protection de l'environnement. Interrogé par l'AFP, l'économiste a déclaré n'avoir pas encore reçu de feuille de route, mais qu'il rencontrerait la ministre de l'Ecologie en fin de semaine.
La substitution et la redistribution, clés du succès
"Ce qui est en jeu, ce n'est pas d'ajouter des impôts mais de faire de la substitution. C'est-à-dire remplacer des impôts qui, par leur assiette, pèsent sur des facteurs de production (capital, travail) par une fiscalité qui pèse sur la pollution". Selon lui, il ne faut donc pas parler de fiscalité punitive, dénoncée par la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, mais de fiscalité de substitution.
Christian de Perthuis donne l'exemple de la Suède qui, dans les années 90, a remis à plat l'ensemble de sa fiscalité et a, à cette occasion, instauré une fiscalité écologique tout en abaissant les niveaux de prélèvements obligatoires. Cette vaste réforme fiscale n'a pas nui à la compétitivité du pays, bien au contraire.
Cette approche par la substitution renvoie à un autre débat qui n'est pas encore tranché en France : que faire du produit de la fiscalité écologique ? Alors que l'Etat est tenté de l'utiliser pour rétablir les finances publiques, le ministère de l'Ecologie et d'autres parties prenantes plaident pour l'allocation de ce produit à la lutte contre les nuisances environnementales. "Il y a une troisième voie : la réduction d'autres impôts, souligne l'économiste, ajoutant : Mais cela pose un problème de redistribution. La fiscalité écologique renvoie à cette question : qui paie, qui reçoit ?".
Selon lui, le péage urbain de Stokholm est exemplaire : "Il est très efficace car il tarifie en fonction de l'usage des véhicules, de l'heure…" mais surtout il est "efficace socialement" car il permet des investissements dans les transports en commun. L'expert regrette l'abandon de l'écotaxe poids lourd qui, justement, était une "tentative intéressante", puisqu'elle s'appuyait sur les usages. Et une part de ses recettes devait permettre d'abonder le budget de l'agence de financement des infrastructures de transport (Afitf)…
Bien que le gouvernement ait freiné ses ambitions en termes de fiscalité écologique, tout n'est pas négatif ! L'introduction d'une composante carbone dans la fiscalité française sur trois ans est "une avancée très importante", alors que les gouvernements précédents avaient échoué dans sa mise en place, estime l'expert. Il s'étonne néanmoins qu'il n'y ait pas davantage de communication sur cette réussite…
Climat : plus qu'un accord, il faut un marché mondial du carbone
Sur le climat, l'économiste estime que "si on veut réellement infléchir le rythme des émissions de CO2, il faut obtenir des engagements crédibles des gros émetteurs". La Chine, les Etats-Unis et l'Union européenne constituent à eux seuls 56% des émissions mondiales. Les dix premiers émetteurs représentent 83% des émissions. Mais les engagements ne suffisent pas : "Il faut des instruments économiques puissants".
La Chaire Economie du climat, que préside Christian de Perthuis, propose deux systèmes de tarification du carbone. Le premier, réservé aux Etats, est un système de bonus-malus sur les émissions de gaz à effet de serre des pays. Ce dispositif présente deux vertus, selon lui : "Ce système permet une redistribution entre les gouvernements et incite les pays à entrer dans la mesure et le contrôle des engagements climatiques (MRV)". Le second système est destiné à l'économie. La Chaire propose de poser les jalons d'un marché transcontinental du carbone entre 2015 et 2020. Cela passerait par la mise en place d'une plateforme commune aux trois plus gros contributeurs de gaz à effet de serre et concernerait, dans un premier temps, le secteur électrique et l'industrie.
Sur l'écueil du marché carbone européen, l'économiste pose un diagnostic sans appel : "Il y a un problème de gouvernance et une absence de leadership". Il plaide donc pour une autorité de régulation indépendante, comme c'est le cas pour les monnaies.
Le bon signal prix du carbone ? A partir de 40€ la tonne de CO2, des changements significatifs sont opérés dans les choix d'investissement. Autour de 60-65€ la tonne, le captage et le stockage de carbone (CCS) commence à être rentabilisé et des effets massifs de substitution ont lieu dans l'industrie, du charbon vers la biomasse, les énergies renouvelables.