Afin de sortir de la crise et de relancer la croissance et l'emploi à l'horizon 2020, l'Union européenne a adopté un pacte de stabilité et de croissance, qui s'appuie sur une nouvelle gouvernance économique. Les politiques économiques et budgétaires des Etats membres sont étroitement surveillées. Chaque année, pendant six mois, période appelée le "semestre européen", la Commission, les Etats membres et le Conseil planchent sur une meilleure coordination des politiques structurelles, macroéconomiques et budgétaires. C'est dans ce cadre que la Commission a publié, le 28 février, un rapport sur le potentiel d'une réforme fiscale environnementale dans douze Etats membres, dont la France. "Le processus du semestre européen est l'occasion de veiller à ce que les politiques macroéconomiques sont durables, non seulement économiquement et socialement, mais aussi sur le plan environnemental", souligne le rapport.
Dans son examen annuel de croissance adopté en novembre 2013, la Commission identifiait plusieurs priorités à inclure dans les programmes nationaux de stabilité, attendus pour avril 2014. Parmi ces priorités de croissance : le transfert de la charge fiscale du travail vers la consommation, les biens et la lutte contre la pollution ; l'augmentation de l'efficacité des ressources et la réduction de la dépendance énergétique. L'examen annuel soulignait également la nécessité de réduire les subventions préjudiciables à l'environnement. "La nécessité d'avoir à la fois un système fiscal plus favorable à la croissance et une économie plus efficace en ressources souligne le caractère central d'une réforme fiscale environnementale", analyse le rapport. L'étude estime le potentiel de revenus supplémentaires d'une réforme fiscale verte dans ces douze pays à 35 milliards d'euros (soit 0,63% du PIB) et à 101 Mds€ en 2025 (1,57% du PIB). "En outre, en 2016, environ 24 Mds €, soit 0,43% du PIB, pourraient être économisés en supprimant certaines subventions préjudiciables à l'environnement".
Un fort potentiel en France
En France, en 2012, les recettes fiscales représentaient 46,7% du PIB. La plus grande part (41%) a été réalisée grâce aux contributions sociales. La fiscalité écologique ne représente que 1,83% du PIB (en diminution depuis 2001), reposant essentiellement sur des taxes sur l'énergie. Au niveau de l'UE, la France fait partie des mauvais élèves en se classant au 25ème rang.
Les taxes environnementales pourraient pourtant augmenter le PIB français de 1,71% en 2025, estime le rapport. Ainsi, les revenus supplémentaires sont estimés à 12,1 Mds € en 2016 et 42,9 Mds € en 2025. Les économies générées par la suppression des subventions dommageables à l'environnement sont estimées entre 3,6 et 6 Mds€ en 2016, soit l'équivalent de 0,17 et 0,29% du PIB. "Il n'a pas été possible d'identifier tous les avantages environnementaux découlant des taxes proposées. Cependant, ceux qui ont été identifiés s'élèvent à environ 0,7 Md €, soit 0,03% du PIB en 2025".
En 2013, la Commission européenne préconisait déjà à la France de prendre des mesures supplémentaires pour transférer la charge fiscale du travail vers la consommation et l'environnement. Dans ce nouveau rapport, elle dresse une liste de suggestions pour créer de nouvelles taxes ou ajuster des taxes existantes.
Transport et énergie : une forte marge de progression
Concernant la taxation sur l'énergie, le rapport propose un traitement plus équilibré (cf. tableau) entre les différents combustibles (essence, gazole, charbon, gaz, électricité…) en fonction du contenu énergétique et des émissions de CO2 (sur une base de 20 €/t). Ainsi, la taxation de l'essence serait inchangée (607 €/1.000 l) tandis que celle du gasoil serait largement augmentée, passant de 428 €/1.000 l à 655 €. L'augmentation des droits d'accises sur les autres carburants de transport pourrait fournir 6 Mds€ de recettes supplémentaires en 2025, note le rapport.
Celui-ci dénonce les prix réglementés du gaz et de l'électricité, qui maintiennent des prix artificiellement bas, loin de refléter les coûts réels. Parmi les mesures critiquées également : la taxe sur l'électricité consommée par les entreprises, le taux de TVA réduit pour les coûts fixes de la facture d'électricité, "qui représente une subvention implicite", et les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz, peu pertinents. Selon le rapport, il vaudrait mieux "envisager un système de « chèques verts » avec une rémunération fixe par personne, pas liée à la consommation d'énergie".
Autre point faible du système fiscal français : les taxes sur les transports, qui sont nettement inférieures à la moyenne européenne (0,24% du PIB par rapport au niveau de 0,50% du PIB de l'UE28). "Le système de bonus-malus français a été efficace pour décarboniser la flotte de véhicules, mais il a généré un déficit, qui pourrait être assimilé à une aide d'État illégale", analyse le rapport. Celui-ci préconise d'augmenter les taxes sur les véhicules entre 2015 et 2020 et de les généraliser aux véhicules de tourisme (aujourd'hui, seuls les véhicules commerciaux sont taxés). Une taxe sur les véhicules lourds pourrait également être envisagée, bien que l'écotaxe ait "fait l'objet d'un débat considérable récemment". Au total, la taxation des véhicules pourrait générer 27 Mds€ en 2025.
Enfin, le rapport estime qu'augmenter la taxe sur les billets d'avion, entre 2015 et 2017 en fonction de la distance parcourue, permettrait de générer 3,6 Mds € de revenus supplémentaires en 2025.
Taxer davantage l'utilisation des ressources
Le rapport passe ensuite en revue les taxes liées à l'utilisation des ressources. Il préconise d'augmenter la taxe sur l'extraction de granulats, de 0,20 € la tonne aujourd'hui à 2,40 € la tonne en 2016. Cette taxe pourrait également être appliquée au marbre, à la craie, à l'ardoise, au calcaire, au gypse, au sable et au gravier. Le rapport suggère également de taxer l'ensemble des emballages à partir de 2016, selon le niveau suivant : aluminium, 197 €/t; plastique, 64 €/t ; acier, 54 €/t ; papier et carton, 20 €/t ; verre, 18 €/t et bois, 13 €/t.
Depuis le 1er janvier 2014, les sacs plastique à usage unique sont taxés, à 10 €/kg, soit l'équivalent de 0,08€ par sac (un sac pèse en moyenne 8,5 g). Le rapport suggère d'augmenter cette taxe à 0,11 € par sac et de suivre l'indice d'inflation afin de maintenir un signal prix dissuasif. Concernant les autres déchets, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pourrait être portée à un taux minimum de 50 €/t en 2017, contre 30 €/t pour l'enfouissement et 14 €/t pour l'incinération en 2013.
Le rapport s'attaque ensuite à la fiscalité de l'eau, déjà pointée du doigt dans de nombreux rapports. Il dénonce les grandes variations régionales et saisonnières de la taxe sur les prélèvements d'eau, qui créent des écarts allant de 50 €/1.000 m3 à 150 €/1.000 m3. Il suggère d'appliquer un taux de 300 €/1.000 m3 pour l'approvisionnement public en eau, de 180 €/1.000 m3 pour l'industrie et de 25€/1.000 m3 pour l'agriculture. "Étant donné l'ampleur de la hausse des taux, une période de transition de 2015 à 2020 est proposée", précise le rapport. En 2025, les revenus supplémentaires générés pourraient atteindre 1,5 Md €.
Quant à la taxe sur la pollution de l'eau, gérée par les Agences de l'eau, "les plafonds sont relativement faibles", note le rapport. "Pour l'un des principaux polluants de l'eau, la DBO [émissions de polluants organiques dans l'eau], le taux le plus élevé a été identifié dans le bassin Seine-Normandie (à 0,7 € / kg DBO)". L'étude suggère de faire passer cette taxe à 2,51 €/kg et de mettre en place une taxe sur le phosphore et l'azote.
Enfin, tandis que les pesticides sont imposables en France en fonction de leur charge de pollution diffuse, avec des taux allant de 0,9 € à 5 € par kg, le rapport suggère d'augmenter fortement cette taxe à 12,50 €/kg de matière active, avec une période de transition allant de 2016 à 2018. Il suggère également la mise en place d'une taxe sur l'utilisation de l'azote non-organique à un taux de 0,25 € / kg à partir de 2016.
Taux d'imposition de l'énergie suggérés par rapport aux tarifs en vigueur en France
Unité | Taux proposés | Taux existants |
|
---|---|---|---|
COMBUSTIBLES DE TRANSPORT |
|||
Essence | €/1000 litre | 607 | 607 |
Diesel | €/1000 litre | 655 | 428 |
GPL |
€/1000 kg | 846 | 108 |
Kérosène | €/1000 litre | 659 | 417 |
Gaz naturel |
€/GJ | 18 | 0 |
COMBUSTIBLES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX |
|||
Gasoil | €/1000 litre | 72 | 72 |
Kérosène | €/1000 litre | 71 | 25 |
GPL | €/GJ | 2 | 0.33 |
CHAUFFAGE INDUSTRIEL |
|||
Gasoil | €/1000 litre | 57 | 57 |
Fioul lourd |
€/1000 kg | 68 | 19 |
Kérosène | €/1000 litre | 57 | 57 |
GPL | €/1000 kg | 65 | 0 |
Gaz naturel |
€/GJ | 1.27 | 0.33 |
Charbon | €/GJ | 2.04 | 0.33 |
CHAUFFAGE NON-INDUSTRIEL |
|||
Gasoil | €/1000 litre | 57 | 57 |
Fioul lourd |
€/1000 kg | 68 | 19 |
Kérosène | €/1000 litre | 57 | 57 |
GPL | €/1000 kg | 65 | 0 |
Gaz naturel |
€/GJ | 1.27 | 0.00 |
Charbon | €/GJ | 2.04 | 0.00 |
ELECTRICITE | |||
Electricité - usage industriel |
€/MWh | 25.23 | 17.03 |
Electricité - usage non-industriel |
€/MWh | 25.23 | 25.23 |